Privation de liberté : une responsabilité partagée ?

Le Contrôle Général des Lieux de Privation de Liberté vient de publier son rapport annuel 2022 où avec 73 080 détenus au 1er avril 2023 et un taux d’occupation moyen des maisons d’arrêt à 142,2 %, la France a atteint un nouveau record de surpopulation carcérale.

Un constat désolant après l’espérance suscitée lors du premier confinement quand la densité carcérale était descendue à 100 %. Cette baisse exceptionnelle avait conduit un syndicat de directeurs de prisons proche de la CFDT[1] à écrire dans une lettre ouverte au Président de la République : « il ne sera (…) plus jamais possible de prétendre que l’encellulement individuel constitue un objectif inatteignable, que le numerus clausus est une chimère. L’action gouvernementale mise en œuvre pour permettre à la population détenue en France de diminuer de près de 10 000 détenus en 1 mois le démontre et cela constitue un gigantesque espoir pour les femmes et les hommes qui exercent au service de l’administration pénitentiaire ». Celles et ceux qui sur le terrain vivent l’absurdité d’un système qui produit violence, haine et récidive et constitue un danger pour la société, plaident pour une régulation de la population carcérale.

Naïfs sont ceux qui pensent qu’enfermer les gens dans les conditions que décrit le rapport du CGLPL puisse résoudre la délinquance. La loi qui stipule que l’emprisonnement vise à : « préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions » est piétinée par les conditions objectives de détention.

Aumôniers, nous en sommes témoins ainsi que de la souffrance des personnels qui en bout de chaîne assument les conséquences du manque de volonté et de courage politique. C’est indigne d’un pays qui revendique la paternité des « droits de l’homme » et il revient à chacun d’entre nous de lire et faire lire ce rapport pour que nul ne puisse dire qu’il ne savait pas. La responsabilité de chacun(e) est de s’informer sans se contenter des poncifs relayés par les médias et certains politiques sur le prétendu « laxisme » de la justice qui ne correspond à aucune réalité objective. La réalité, c’est que l’annonce de la construction de 15 000 nouvelles places ne résoudra rien, c’est que la nouvelle loi confiance qui a modifié le calcul des réductions de peine va encore contribuer à augmenter la surpopulation carcérale. La réalité, c’est que plus les conditions de détention sont indignes, plus elles conduisent à mettre dehors en bout de course des personnes qui ont accumulé de la haine et pour lesquelles la peine n’a pas fait sens, c’est que le déficit de moyens des services d’insertion et de probation et de solutions pour accompagner la réinsertion (lieux de placement extérieur, de travaux d’intérêt général…), le déficit de moyens alloués à la justice restaurative, contribuent à une justice qui abîme plutôt qu’à une justice qui répare.

L’intérêt de la société est que la justice ne génère pas à terme de nouvelles victimes mais que les conditions d’exécution de la sanction contribuent à accompagner chacun vers le meilleur de lui-même. La naïveté serait de penser que se débarrasser un temps sans en prendre soin de l’auteur d’un crime ou d’un délit puisse résoudre le problème et il est de la responsabilité de chacun(e) d’entre nous de se saisir de la question sans espérer une solution de la part de politiques qui gèrent la prison comme le tapis sous lesquels les négligents glissent la poussière pour donner l’illusion d’avoir fait le ménage. Il est de la responsabilité de chacun(e) d’entre nous de faire en sorte que les lieux d’enfermement cessent d’être le point aveugle de nos sociétés, l’angle mort de nos politiques publiques.

Il est de la responsabilité de chacune et chacun d’entre nous de s’informer et de partager le plus largement cette information[2] pour que la conscience collective provoque un changement de perspective. Il ne manque pas de gens de bonne volonté mais ils manquent d’attention à ce qui malheureusement intéresse trop peu de monde.

Illustration : Mur de la prison de Villeneuve-les-Maguelone

 

[1] SNDP-CFDT, Lettre ouverte au Président de la République du 20 avril 2020

[2] https://www.cglpl.fr/rapports-et-recommandations/rapports-annuels-d%E2%80%99activite/