Etat d’urgence sanitaire : une situation des personnes pauvres extrêmement préoccupantes

Pour ce 4e numéro de la lettre de l’Observatoire de l’état d’urgence sanitaire et du confinement, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a souhaité évoquer plus particulièrement les difficultés rencontrées par les personnes en situation de pauvreté et aux atteintes aux droits fondamentaux dont elles sont victimes.

Aujourd’hui, 8,9 millions de personnes pauvres (vivant avec moins de 1 041 euros par mois), dont 2,2 millions de personnes en situation d’extrême pauvreté (moins de 694 euros par mois)

1 – pour lesquelles le respect effectif des droits fondamentaux est déjà fragile en temps normal – se retrouvent dans des situations dramatiques. Les informations reçues par la Commission, via ses associations membres, montrent que les inégalités sociales sont exacerbées par la crise sanitaire en France métropolitaine et dans les Outre-mer. Cette situation précarise davantage les personnes en situation de vulnérabilité ou marginalisées qui doivent faire face, au quotidien, à des difficultés plus nombreuses et plus importantes. Les familles monoparentales et les jeunes de moins de trente ans sont particulièrement concernés.

UNE PRIME POUR LES DESTINATAIRES DES MINIMAS SOCIAUX

Le confinement a entraîné une hausse non négligeable des dépenses pour les ménages les plus pauvres : hausse des dépenses en énergie, impossibilité de bénéficier de certaines distributions alimentaires, obligation de se ravitailler dans des commerces de proximité aux prix plus élevés, besoin de fournitures pour assurer la continuité pédagogique. La Commission s’inquiète aussi d’une hausse des prix de certaines denrées, en particulier dans les Outre-mer.

Dans ce contexte, la CNCDH se félicite que la proposition des associations de verser une prime aux destinataires de minima sociaux ait été reprise par le Président de la République dans son allocution du 13 avril. Elle constate cependant que de nombreux ajustements sont encore nécessaires pour assurer une plus grande équité, à la hauteur de l’enjeu pour l’ensemble des familles et des personnes isolées en situation de vulnérabilité (comme cela a pu être mis en place dans le sud de l’Italie). Elle attend des précisions sur les modalités de versement et leur effectivité. Cette aide devrait être renouvelée tout au long de la crise pour soutenir toutes celles et ceux qui vivent au bas de l’échelle des revenus et ne peuvent plus accéder à certaines aides (distribution alimentaire, soutien à la cantine). Par ailleurs, le montant annoncé de la prime demeure insuffisant pour couvrir l’étendue des besoins des personnes au quotidien. Enfin, cette prime laisse de côté des catégories de personnes en situation de précarité tout aussi touchées par la crise sanitaire : les personnes âgées bénéficiaires de l’ASPA (minimum vieillesse), souvent les plus impactées par la hausse de la facture alimentaire, tout comme les bénéficiaires de l’Allocation adulte handicapé (AAH), qui vivent majoritairement seuls et sont souvent dans des situations d’isolement ainsi que l’ensemble des jeunes précaires de moins de 25 ans, étudiants ou non, qui ne peuvent pas bénéficier du RSA. La Commission salue la mise en place des chèques services, et encourage à ce qu’ils soient acceptés par le plus grand nombre de commerces.

La CNCDH salue également l’annonce, par le secrétaire d’État chargée de la lutte contre la pauvreté, du déblocage de 39 millions d’euros supplémentaires pour l’aide alimentaire aux plus modestes, qui devraient «venir soutenir les associations et répondre en urgence à des territoires en souffrance ». Un autre enjeu important est l’accès à l’information sur les aides sociales disponibles et sur le maintien du contact avec les services sociaux. À ce titre, la Commission regrette que la plupart des appels téléphoniques aux services, en particulier depuis un portable, soient payants. Elle recommande de rendre ces appels gratuits, au moins jusqu’à la rentrée scolaire, d’autant que les services étant surchargés, les temps d’attente sont souvent très longs.

LES DIFFICULTÉS D’ACCÈS AUX SERVICES BANCAIRES ET AUX SERVICES PUBLICS

Les difficultés d’accès aux services bancaires et financiers mettent en situation indigne des mères ou pères de famille, des personnes isolées, parfois des personnes sans abri. Clientèle stigmatisée, considérée à risque et pas assez rentable, déjà en temps ordinaire, les plus pauvres sont doublement en peine du fait du contexte de crise sanitaire. Certains ont perdu leur travail ou activité rémunératrice et craignent de ne pas pouvoir redémarrer avant de nombreuses semaines, voire pas du tout. En raison de la crise, celles et ceux qui sont dans une situation précaire, mais arrivent à « se maintenir sur le fil », risquent de basculer vers des situations financières inextricables. Les personnes qui sont sans carte bancaire ont beaucoup de difficultés actuellement pour effectuer leurs paiements, et d’autres personnes n’ont pas accès à la monnaie. Malgré les dispositifs présentés par les banques publiques et privées à la veille du versement des allocations, la fermeture de nombreuses agences bancaires et bureaux de poste de proximité, ou l’éloignement de ceux restés ouverts posent de graves problèmes à de nombreuses familles au quotidien : celles et ceux qui n’ont pas de carte bancaire ont besoin de monnaie pour acheter les denrées alimentaires, les produits frais ou aller à la laverie automatique, ou régler certaines factures en ligne, d‘autres auraient besoin d’aide pour éviter les incidents bancaires à l’heure où des frais nouveaux apparaissent. Des situations d’exploitation sont dues au fait que des personnes sont condamnées à faire du troc pour obtenir des pièces et avoir accès à des denrées de base ou pour payer sur internet des factures qui seront augmentées. La question de l’accès aux moyens de paiement et à l’inclusion bancaire doit rester une priorité pour l’après – confinement (mécanisme de sortie d’endettement, accès à des prêts à taux zéro ou faible…).

LES DIFFICULTÉS PROPRES AUX FAMILLES MONOPARENTALES

Le confinement est particulièrement difficile pour les familles monoparentales, majoritairement des femmes seules avec enfants. Des comportements discriminatoires, visant notamment les enfants, les affectent singulièrement. L’interdiction de sortir de la chambre par des responsables d’hôtels sociaux, parce qu’ils pourraient diffuser le Covid-19, ou l’interdiction d’accès à un parent accompagné de ses enfants à des supermarchés sont des abus de pouvoir qui ne sont pas acceptables. Il est inadmissible et illégal que des agents de sécurité ou des responsables de magasins interdisent l’accès à des besoins de première nécessité ou obligent les femmes à laisser leur enfant à la porte des magasins ou au niveau des caisses. Refuser à des enfants d’entrer dans des magasins alimentaires ne fait pas partie des mesures restrictives relatives à la propagation du virus Covid-19 telles que détaillées dans la loi du 23 mars 2020 relative à l’état d’urgence sanitaire et les ordonnances d’application. Ces pratiques portent atteinte aux droits des parents isolés et à l’intérêt supérieur de leurs enfants qui doivent être protégés contre toute forme de violence, y compris celle provoquée par de tels comportements. Leur situation est d’autant plus difficile que nombre de parents seuls ont été obligés d’arrêter de travailler pour garder leurs enfants. La situation est particulièrement délicate pour les salariés ayant moins d’un an ancienneté, puisque, contrairement aux annonces gouvernementales relayées dans les médias, les salaires ne leur ont pas été entièrement versés à leur grande surprise, mettant en danger leur maigre budget.

LES PERSONNES EXERÇANT DES ACTIVITÉS INFORMELLES

 

Les personnes occupant des emplois précaires sont souvent affectées de manière disproportionnée par la pandémie. Il s’agit notamment des travailleuses et travailleurs migrants (en situation régulière ou irrégulière), des personnes occupant un emploi précaire, y compris des « petits boulots », des personnes travaillant dans le secteur informel, des travailleuses et travailleurs indépendants ou sans statut. Bien souvent, ces personnes n’ont pas de couverture sociale ou ne bénéficient pas de prestations sociales satisfaisantes, ce qui signifie que leur perte de revenus n’est pas couverte quand elles sont mises en quarantaine et qu’elles ne touchent pas d’indemnités maladie. Une baisse importante ou une perte de revenus peut avoir des répercussions dramatiques sur la capacité de ces personnes à subvenir à leurs besoins élémentaires en termes de santé et d’hygiène et à payer les services et biens de première nécessité tels que le loyer, l’eau, le gaz et l’électricité et la nourriture. En conséquence, elles peuvent également avoir plus de mal à se protéger de l’exposition au virus, notamment si elles ne peuvent pas acheter des soins préventifs, tels que le gel hydroalcoolique, ou si elles se retouvent expulsées à la suite de la perte d’emploi (arriérés de loyer, retard dans les versements hypothécaires, etc.). Elles peuvent également se heurter à des obstacles supplémentaires pour se faire dépister et se soigner quand elles sont malades. La CNCDH est donc particulièrement préoccupée par la situation de ces personnes et souligne la nécessité de leur garantir le droit à un niveau de vie satisfaisant.