Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Conférence des Commissions européennes Justice et Paix

La sécurité en Europe : la responsabilité des États, de l’Union et des citoyens
Luxembourg, octobre 2016

Déclaration finale, extraits

(…) Nous mettons donc en garde contre les peurs exagérées vis-à-vis des menaces à notre sécurité, qui nous empêchent de tirer profit des opportunités positives d’aujourd’hui. La paix représente bien plus que la sécurité. Notre but doit donc être de veiller à ce que tout un chacun puisse vivre dans la dignité.
Nous appelons :

L’Union européenne et les États européens à adopter une véritable politique de paix, basée sur le développement humain intégral et sur une approche politique non-violente respectant la dignité de chaque personne humaine.

Les politiques et les responsables de l’élaboration des politiques à tous niveaux à garantir que les lois qu’ils adoptent, les positions qu’ils prennent et le langage qu’ils utilisent respectent la dignité humaine et le principe de l’État de droit, au lieu de refléter une conception réductrice et vouée à l’échec de la sécurité comme fin en soi.

Les médias professionnels et les promoteurs de plus en plus influents des médias sociaux à développer un plus fort sentiment de la responsabilité éthique qu’ils détiennent, à dénoncer les discours haineux et à éviter d’alimenter les stéréotypes, ainsi qu’à toujours montrer le visage humain de l’histoire qu’ils veulent raconter.

 

Registre public des trusts : le Conseil Constitutionnel envoie un signal très négatif en matière de lutte contre la fraude fiscale

La Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires a publié le 21 octobre un communiqué déplorant la décision du Conseil constitutionnel.
Il a en effet a déclaré que le registre public des trusts était contraire à la Constitution, au motif qu’il porte « une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée ». Instauré en juillet 2016, ce registre constituait l’un des éléments de la loi de 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Comme l’a rappelé le scandale des Panama Papers en avril dernier, les trusts, ces structures juridiques qui permettent de cacher l’identité des propriétaires réels d’actifs, sont au cœur des scandales de fraude fiscale, mais aussi de corruption, de détournements d’argent public, de trafics d’êtres humains, d’armes, de drogue. Les organisations de la société civile plaident depuis longtemps pour la création de registres publics : ils permettraient en effet d’identifier les véritables détenteurs des actifs dans ces structures pour lutter, entre autres, contre la fraude fiscale, qui chaque année coûte plusieurs centaines de milliards d’euros aux Etats.

Les parlementaires français avaient fait un pas en avant décisif, en votant en faveur de la création d’un tel registre public, qui devait s’appliquer à tous les trusts dont l’une des parties prenantes (bénéficiaires, constituants, administrateurs) est de nationalité française.

Le décret d’application a été publié en juin 2016 à la suite du scandale des Panama Papers, mais le registre n’est finalement resté en ligne qu’une dizaine de jours, avant que le Conseil d’Etat, saisi par une ressortissante américaine craignant pour sa vie privée, ne suspende le registre, en attendant une décision du Conseil Constitutionnel dont l’avis envoie un signal négatif pour la lutte contre la fraude fiscale, et ce d’autant plus que l’Union européenne s’apprête à débattre, dans les prochains mois, de la création de registres similaires.

« Le Conseil Constitutionnel vient de faire voler en éclat une des grandes avancées du quinquennat en matière de transparence. Une avancée qui permettait à la France de se positionner à l’avant-garde de la lutte contre la fraude fiscale. C’est regrettable, car si le droit à la vie privée est bien sûr très important, le principe d’égalité devant l’impôt est lui aussi inscrit dans la Constitution » regrettent les organisations de la Plateforme Paradis Fiscaux et judiciaires, dont Justice et Paix.

Le ministre des finances a pris acte de cette décision, ajoutant qu’elle « ne remet pas en cause le principe même de l’institution de ce registre mais vient souligner la nécessité de mieux encadrer la diffusion d’informations relevant de la vie privée ».

La Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires appelle le ministre à prendre en compte l’avis du Conseil constitutionnel sans perdre l’esprit de la loi de 2013 et à continuer à prendre position en faveur d’un registre public des trusts au niveau européen.

L’année 2017 sera marquée par des élections importantes, tant pour la France comme nation que pour chacun de ses citoyens.

Les précédents scrutins suscitent des inquiétudes : la méfiance à l’égard de la représentation politique pourrait se traduire par une forte abstention et par un vote au profit de partis populistes, voire extrémistes. Pour que la campagne électorale ne se réduise pas aux postures et aux invectives, chacun doit prendre sa part dans la réhabilitation du politique. La démocratie, en plus des élections périodiques, exige un débat de fond sur les valeurs de référence et les orientations de notre vie commune. À la suite du document publié par le Conseil permanent de la conférence des évêques de France, parlons de nation et d’identité, de religion et de laïcité.

La nation aujourd’hui

Les élections à venir concernent la nation française. Celle-ci a une histoire  qu’il faut prendre en compte pour assumer notre héritage particulier. Mais l’appartenance à une nation comprend surtout la formulation d’un projet commun. Nous bénéficions d’un héritage démocratique fondé sur le respect de la dignité humaine, c’est-à-dire la garantie des libertés, mais aussi des droits économiques, sociaux, culturels. Aujourd’hui, la vie commune est fragilisée par la peur – de l’autre, de l’avenir – et par le repli sur les intérêts individuels au détriment du bien commun. Il nous faut refonder la volonté de vivre ensemble, par le partage de convictions fortes et par des pratiques sociales innovantes.

Demeurons vigilants : la sécurité est nécessaire, mais un état prolongé de restrictions des libertés peut être néfaste. La méfiance se trouve exacerbée par la fragilité sociale de nombreux citoyens. Faute d’analyse politique, chacun est tenté de désigner des boucs émissaires. L’attachement à la démocratie, pour de solides raisons éthiques, implique une participation responsable aux débats publics et aux élections, mais aussi un engagement continu pour promouvoir la justice sociale et la solidarité fraternelle.

Il nous faut interroger la qualité de notre vie démocratique. Prenons au sérieux la défiance à l’égard des responsables politiques, amplifiée par l’usage de l’ironie. La polarisation sur la parole maladroite sature l’horizon médiatique et réduit le débat au choc de petites phrases. D’autant que les candidats aux élections, à défaut d’une vision claire des projets, privilégient le court terme, la personnalisation abusive, la course à l’image. Ils dérivent vers des discours populistes pour capter une opinion fluide. Mais la faiblesse des arguments, avec une communication qui joue sur la séduction, ne doit pas tromper les citoyens. Électeurs, acteurs des médias, responsables politiques, tous sont invités à la responsabilité. Il nous faut enrayer le cycle infernal qui cultive méfiance généralisée et accents populistes. Il vaut mieux se consacrer aux vrais débats.

 

L’identité en question

Nous cultivons notre identité personnelle, nous nous comprenons comme des êtres libres, c’est un acquis précieux de la modernité. Cette identité personnelle se conjugue avec des identités collectives qui la structurent. L’identité nationale permet de nous reconnaître à la fois dans la différence et la solidarité. Toutes ces identités s’inscrivent dans des histoires et relèvent de notre responsabilité continue. Il est dangereux dvoir l’identité comme une essence absolue et intangible, tant pour les individus que pour la vie commune.

L’idée de nation s’est constituée à partir de frontières relativement stables, avec un fort sentiment d’appartenance et une conscience aiguë de la différence entre un dedans formé d’amis supposés, et un dehors peuplé d’ennemis potentiels. Cette image de la communauté nationale, qui a culminé au 19ème siècle, a pu causer des conflits meurtriers qui ont endeuillé le 20ème siècle. L’identité nationale cohabite aujourd’hui avec des solidarités plus larges : l’appartenance à l’Union européenne, la conscience de former une seule humanité. Elle se trouve aussi affrontée à des mémoires douloureuses à respecter liées à l’esclavage, à la colonisation, aux affrontements internes. L’identité nationale demeure riche de diversités, mais aussi de contradictions et de tensions.

La plupart des descendants d’immigrés mettent l’accent sur leur appartenance à la nation française, sans forcément évoquer la part d’héritage venant d’autres cultures. Nombre de candidats aux élections sont marqués par des origines étrangères plus ou moins lointaines. C’est un signe positif de la capacité d’intégration de notre pays, sans oublier l’enrichissement dû à ces arrivées de migrants. Il est regrettable que cette facette de l’identité nationale soit tue, comme si l’intégration devait gommer les particularités. En raison de ces réussites, on peut regretter la méfiance, voire la peur, qui se manifeste face à l’arrivée actuelle de migrants et de réfugiés. Pourquoi ne voir que les risques et non les chances ?

 

L’actualité de la patrie

En plus de la nation, osons parler de la patrie. Ce terme évoque l’héritage des « pères », nous disons aussi « mère patrie », « amour de la patrie », avec ce que cela comporte d’affectif et de reconnaissance d’une dette. Nous sommes les heureux bénéficiaires de biens multiples, de règles de vie, d’une tradition de civisme. Ces héritages demeurent ambigus, il y a la peur de l’étranger, le repli sur des particularismes au détriment du bien commun. Pourtant la reconnaissance des « compatriotes » conforte notre propre identité. Mais ce patriotisme prend-il corps en des engagements solidaires et fraternels avec l’ensemble de nos concitoyens ? Ce bel héritage nous conduit-il aujourd’hui à faire peuple ensemble, à préparer un avenir humain pour ceux qui viendront après nous ? L’évocation de la patrie suscite des passions, on ne peut ignorer que des références à la nation ont pu engendrer des attitudes xénophobes. Certains discours actuels risquent de raviver de telles dérives.

 

Les religions dans la cité commune

Au cœur de ces héritages se trouvent les traditions religieuses. Or une défiance s’exprime envers les religions qui engendreraient la violence. Certes toute institution humaine, dont les religions, laisse un héritage contrasté. Mais une lecture caricaturale du rôle des religions affecte la solidarité nationale tout en privant la société d’apports précieux. La polarisation sur les actes condamnables de quelques extrémistes risque de masquer les signes d’une fraternité qui déborde les frontières confessionnelles et nationales.

Le christianisme rappelle la dignité de chaque personne humaine, à commencer par la plus fragile. Toute idéologie qui conditionne le respect dû à un être humain au genre, à l’identité nationale, ethnique, religieuse, culturelle ou sociale doit être combattue. Nous devons tous nous interroger : sommes-nous contaminés par des idées et des pratiques de mépris, d’exclusion, de repli égoïste ? Il importe aussi de soutenir les associations qui agissent au service des personnes en situation de pauvreté, qui luttent contre les violations de droits fondamentaux, notamment en dénonçant la pratique de la torture et de la peine de mort. Il est heureux que les croyants témoignent de la manière dont ils fondent ces engagements dans une démarche de foi. Lorsqu’ils promeuvent une « civilisation de l’amour » face à un monde du « chacun pour soi », ils peuvent rejoindre les aspirations profondes de leurs compatriotes. Lors d’une campagne électorale, un tel engagement sociétal doit être reconnu comme un élément essentiel du projet politique.

 

La solidarité en pratique

Si l’engagement humaniste se manifeste dans l’accompagnement des personnes les plus fragiles et les plus menacées, il prend aussi une forme institutionnelle. Pensons au plaidoyer des ONG qui militent contre l’évasion fiscale, la corruption, la traite des êtres humains, l’exploitation des enfants et les abus contre eux, l’accaparement des terres, les conditions de travail inhumaines, etc. L’engagement pour la justice sociale à l’échelle nationale, européenne et mondiale doit demeurer un élément central de nos projets.

La solidarité ne peut être considérée comme une vertu facultative, réservée aux âmes généreuses. Fondée sur la justice sociale, elle vient structurer les politiques de répartition pour que chacun puisse accéder aux biens élémentaires, tant au plan national que mondial. L’insolence de l’accaparement d’une part importante des revenus et des patrimoines par une minorité affecte gravement l’appartenance à une même communauté humaine ; de telles pratiques constituent une injustice foncière, une injure envers ceux qui manquent du strict nécessaire.

 

L’avenir de la vie

Le défi majeur concerne l’avenir de la vie sur notre terre. La question écologique doit être au cœur des débats puisqu’il s’agit d’un enjeu de vie et de mort. Il importe aussi de questionner les systèmes de défense et le commerce des armes, de manière à promouvoir un règlement politique des conflits et un désarmement effectif, à commencer par les armes nucléaires. Les critiques adressées aujourd’hui aux religions peuvent masquer un refus d’entendre certaines questions vitales posées à notre avenir commun. Pour récuser des interrogations gênantes, certains caricaturent ceux qui les posent.

La laïcité et la fraternité

L’héritage de la laïcité est précieux. Il vaut la peine de nous entretenir à son sujet pour éviter une vision restrictive qui tendrait à effacer toute trace religieuse dans la vie publique et culturelle, mais aussi pour ne pas sombrer en des combats stériles. Heureusement, le dialogue interreligieux et le travail de croyants avec des personnes agnostiques ou athées sont le plus souvent vécus de manière positive. Il faut aussi redire que la laïcité doit promouvoir la fraternité. À défaut de fraternité, la méfiance des citoyens les uns envers les autres risque de s’amplifier : la différence du voisin, parce qu’il est juif, musulman, chrétien ou athée, étant vue alors comme une menace et non comme une chance.

Les chrétiens considèrent la fraternité comme un critère de vérité de leur démarche croyante. Cette valeur, affichée au fronton des édifices publics, représente un bien commun qui mérite d’être cultivé. Positivement, elle suppose que chaque citoyen se perçoive comme engagé dans la promotion de la dignité d’abord de ses concitoyens, mais aussi de tout humain dans le monde. La fraternité s’épuise lorsqu’elle s’enclôt en des frontières.