Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Contribution des évêques européens à la stratégie globale de l’Union européenne pour la politique extérieure et de sécurité commune.

 

 L’Union européenne (UE) est, depuis l’origine, un projet de paix et de réconciliation entre des nations qui s’étaient longtemps combattues et, au premier chef, entre la France et l’Allemagne. Cette démarche a été couronnée de succès puisqu’un conflit entre les pays membres de l’Union est devenu aujourd’hui proprement impensable. L’UE porte donc en elle des ferments de paix qu’elle doit cependant toujours entretenir et faire fructifier tant en son sein qu’au dehors.

En se dotant en 1992 d’une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) dans le cadre du traité de Maastricht, les États membres de l’Union ont entendu projeter vers l’extérieur de manière organisée et systématique leur expérience de paix et de coopération. Par la suite, le traité de Lisbonne (2009) a précisé que la PESC a notamment pour objectifs de :

  • sauvegarder les valeurs de l’Union, ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance et son intégrité ;
  • consolider et soutenir la démocratie, les droits de l’homme et les principes du droit international ;
  • préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale ;
  • soutenir le développement durable dans le but essentiel d’éradiquer la pauvreté ;
  • promouvoir à l’échelle mondiale une coopération multilatérale renforcée et une bonne gouvernance mondiale.

Pour orienter cette politique extérieure, l’Union a adopté, dès décembre 2003, une stratégie européenne de sécurité qui mettait en évidence cinq menaces principales : le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux, les États en déliquescence et la criminalité organisée. En réponse, la stratégie européenne de sécurité préconisait un engagement préventif avant le déclenchement des crises et conflits. Construire la sécurité dans le voisinage de l’UE devenait une priorité, tout comme le renforcement de l’ordre international fondé sur la règle de droit.

L’évolution de l’environnement stratégique de l’Union a nécessité une actualisation de ce document (usage de la force par la Russie en Ukraine en violation du droit international, extension des crises dans le pourtour méditerranéen, aggravation de la menace terroriste et tensions nouvelles en Asie). La Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union s’est donc vu confier dans cette perspective la charge d’établir une « stratégie globale pour la PESC ».

La préparation de ce document a donné lieu à une large consultation des institutions européennes, des États membres et des différentes organisations impliquées dans le débat public sur l’avenir de la construction européenne. C’est dans ce cadre que la conférence des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) a établi, à l’intention des institutions de l’UE, un rapport intitulé « Promouvoir la paix dans le monde, vocation de l’Europe ». Un représentant de Justice et Paix France a participé à la préparation de ce rapport au sein du groupe de travail des commissions Justice et Paix d’Europe qui joue également le rôle de commission de la COMECE sur les relations extérieures de l’UE.

A la veille de la campagne électorale française, il est intéressant de prendre connaissance des principales recommandations de ce rapport :

  • renforcer les capacités d’alerte précoce de l’UE et développer les initiatives et mesures destinées à instaurer ou rétablir la confiance ;
  • mieux s’appuyer sur l’instrument politique des partenariats stratégiques et promouvoir la coopération avec les Nations unies et les organisations régionales ;
  • mieux utiliser l’instrument de la médiation en coopération avec tous les acteurs clefs de la région concernée, en tenant dûment compte des intérêts des populations ;
  • au terme d’un conflit, soutenir la reconstruction d’un État efficace et la création de conditions de vie justes, mettre en cause la responsabilité des auteurs de violations des droits humains et surtout révéler la vérité́ sur les abus commis, et venir en aide aux victimes ;
  • utiliser de manière cohérente tous les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme;
  • dans chaque partenariat bilatéral ou multilatéral de l’UE, intégrer le droit universel à la liberté́ religieuse ;
  • en matière de migration, créer de nouvelles formes de partenariat avec les pays hôtes, dans le plein respect des obligations internationales relatives aux droits de l’Homme et garantir la protection des réfugiés et déplacés ;
  • dans la lutte contre le terrorisme fondamentaliste, combiner les mesures de prévention urgentes et à plus long terme, notamment en contribuant à un règlement pacifique des conflits et en luttant contre la radicalisation ;
  • soutenir les initiatives en vue d’un développement durable, tout en respectant la dignité́ de chaque être humain, la diversité́ culturelle et les valeurs ancrées dans les sociétés des pays tiers; promouvoir les pratiques agricoles à petite échelle pour lutter contre la famine ; tenir l’engagement de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’aide au développement (dont 0,2 % en faveur des pays les plus pauvres) ;
  • fournir aux régions en crise une aide humanitaire reposant sur les principes humanitaires fondamentaux d’humanité́, de neutralité́, d’impartialité́ et d’indépendance ;
  • promouvoir des relations commerciales justes et équitables avec les pays tiers en garantissant un traitement spécial et différencié des pays en développement ;
  • promouvoir, tant au niveau européen que mondial, l’adoption de règles contraignantes sur les activités des multinationales, ainsi que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ;
  • respecter les engagements pris pour réduire les émissions de gaz à effets de serre ;
  • assurer, tant au niveau européen qu’international, une meilleure gestion des ressources énergétiques et règlementer leur extraction et leur commerce; progresser dans la construction d‘une union européenne de l’énergie ;
  • développer une stratégie de désarmement général, y compris de désarmement nucléaire et convertir progressivement les industries militaires en capacités civiles ; réduire les arsenaux militaires sous un contrôle international strict et efficace, compte dûment tenu de la situation mondiale en matière de sécurité́ ; contribuer à la mise en œuvre rigoureuse, transparente et non discriminatoire des garanties de l’Agence internationale de l’énergie atomique et autres mesures de désarmement nucléaire ; relancer le traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) ;
  • veiller à l’universalisation du traité sur le commerce des armes ; renforcer les instruments européens de contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires, notamment en accroissant leur transparence et en intensifiant les efforts de prévention des flux illicites d’armes légères et de petit calibre ;
  • définir une position commune de l’UE concernant la recherche et la technologie dans le domaine de la défense ; pallier les vulnérabilités face notamment aux attaques informatiques ; appuyer les efforts en vue d’un accord international sur l’usage de drones armés; travailler à une interdiction à l’échelle internationale des armes autonomes létales ;
  • prendre en considération le rôle des Églises et des communautés religieuses dans la prévention des conflits, la lutte contre la radicalisation et la gestion des situations de sortie de conflit ; renforcer le dialogue entre l’Union européenne et les Églises et communautés religieuses conformément aux dispositions des traités ;
  • favoriser une réforme globale du système des Nations unies, y compris le Conseil de sécurité.

Si l’on compare la stratégie établie par la Haute Représentante et le document de la COMECE, on constate une convergence sur des points importants, comme le soutien des efforts internationaux en faveur du développement durable, la priorité donnée à la lutte contre la pauvreté et à la défense des droits humains, l’attachement au droit international et au rôle central des Nations unies, l’importance de la prévention des conflits et de leur dimension civile ou encore le rôle essentiel du dialogue des religions.

Néanmoins la stratégie de l’UE insiste, contrairement aux recommandations de la COMECE, sur la dimension proprement militaire de la sécurité : elle recommande ainsi le relèvement des budgets militaires et manifeste peu d’intérêt pour le désarmement. Le débat stratégique sur la sécurité européenne n’est donc pas clos et d’autres options devront toujours être défendues : en particulier celles consistant à faire prévaloir le dialogue politique et la négociation sur le seul rapport des forces militaires.

 

Conseil sur les approches chrétiennes de la défense et du désarmement

 

Le Conseil sur les approches chrétiennes de la défense et du désarmement (Council on Christian approaches to Defense and Disarmament : CCADD) rassemble des fonctionnaires civils, des militaires, des experts et des théologiens catholiques et protestants. Il est né en 1963 à l’initiative d’un groupe de personnalités britanniques, majoritairement anglicanes, qui proposaient de porter un regard éthique et plus spécifiquement chrétien sur les questions stratégiques.

Le CCADD se réunit une fois par an dans le cadre d’une conférence annuelle organisée par un des pays participants.

Les pays représentés au CCADD appartenaient tous à l’origine à l’Europe occidentale et à l’Amérique du Nord, les participants britanniques, allemands, néerlandais et américains y étant les plus nombreux. Après la fin de la guerre froide, des représentants d’Europe centrale et orientale ont été régulièrement invités aux conférences annuelles.

Après Paris (2014) et Baltimore (2015), c’est Bratislava qui, cette année, a accueilli le CCADD. 34 personnes représentant 12 pays ont participé à cette conférence dont le thème était « Les frontières de la peur : dilemmes moraux, politiques et de sécurité au cœur de la tempête ».

Les discussions ont porté sur l’afflux des migrants et de réfugiés en Europe, les menaces terroristes, les crises syrienne et ukrainienne, le sommet de Varsovie de l’OTAN, les défis de la cyber sécurité et l’avenir de l’Union européenne après la décision britannique de s’en retirer.

Pour l’essentiel, les participants ont cherché à identifier les causes des crises sécuritaires et proposé d’y apporter une réponse politique, une intervention armée occidentale au-delà des engagements actuels leur paraissant inadaptée et génératrice de risques supplémentaires. En ce qui concerne le terrorisme islamiste, la majorité des participants a considéré qu’il était favorisé par la situation de marginalisation et d’exclusion où se trouvent trop souvent les minorités musulmanes en Europe. Enfin, s’agissant des rapports entre les Occidentaux et la Russie, la plupart des participants ont proposé une stratégie alliant fermeté, y compris sous la forme de nouveaux déploiements militaires, et offre de dialogue.

 

Le mur de Berlin n’était pas encore tombé et peu de gens connaissaient l’ampleur des contacts entretenus par frère Roger et la communauté de Taizé dans les pays de l’Est.

 

Pourtant, le 4 mai 1989 à Aix-la-Chapelle, le jury du Prix Charlemagne – qui avait distingué jusque-là des personnalités du monde politique ou diplomatique engagées pour l’unification européenne (Churchill, Monnet, Kissinger, Mitterrand et Kohl ; depuis lors, Jean-Paul II était distingué en 2004 et le pape François en 2016) – attribue sa récompense à frère Roger en faisant une lecture politique de son influence et de son action : « L’équilibre recherché à Taizé entre les confessions peut être un modèle pour mettre fin aux tensions et créer la coexistence pacifique dans toute l’Europe, non seulement au plan religieux mais aussi politique. » Taizé, un modèle politique ? Telle n’était sûrement pas la vision de frère Roger qui préférait le langage de l’Evangile, où les chrétiens sont invités à vivre comme des ferments pour travailler la pâte.

L’attention aux plus fragiles

Le fondateur de Taizé s’est toujours intéressé à la politique au sens large du terme. On peut retrouver en lui l’héritier d’un grand-père pasteur dont il ne parlait jamais. Correspondant du Moniteur des syndicats ouvriers de France, Journal républicain socialiste, cet homme d’Eglise attentif aux questions de justice sociale était pacifiste. Frère Roger porte attention à toute forme de souffrance, de conflit ou de division. Poussé par une nécessité intérieure, sans baisser les bras face à des situations d’une extrême complexité, il exhorte : « Il faut faire quelque chose ! », convaincu qu’« avec presque rien », un petit nombre de personnes peuvent infléchir le cours de l’histoire : « Par eux se renversent certains déterminismes de brutalité et de haine. Ils rétablissent une harmonie avec le Christ. »

Faire quelque chose

En 1956 – il y a alors des frères sous les drapeaux et une fraternité à Alger -, il envoie à Hubert Beuve-Méry, directeur du Monde, une lettre pour transmettre le S.O.S. des consciences inquiètes de soldats envoyés en Algérie et obligés de « tirer des rafales sur tout ce qui bouge, sans chercher à comprendre ». Impossible de mesurer l’impact d’une telle alerte publiée sous le titre : « La conscience chrétienne et le drame de l’Afrique du Nord ». Mais frère Roger n’était pas un homme naïf ou plein d’illusions. Pour lui, il y avait urgence au moins à se faire porte-parole. Et de regretter l’attitude de certaines Eglises : « Aujourd’hui comme hier, par notre refus de prendre des risques, par nos silences, nous pouvons soutenir, le sachant ou sans le savoir, des régimes politiques. »

Des ferments de réconciliation

On le voit stimulé par le courage d’évêques comme Mgr Larraín au Chili ou Dom Helder Camara au Brésil, qui, au nom de l’Evangile, prennent des risques pour la justice. Les analyses sociopolitiques latino-américaines soulignant l’interdépendance entre pays et continents conduisent ce tempérament constructif à chercher les formes concrètes d’une solidarité fondée sur une relation personnelle avec le Christ. Confronté à des jeunes très politisés, en 1969, il ose en envoyer vivre une simple présence dans des lieux d’affrontement, au Biafra et au Moyen-Orient, sans prendre parti, « comme un trait d’union ». Sans solution, pour écouter et témoigner. Il propose la voie pascale d’une « violence des pacifiques », celle d’une confiance indéfectible dans le demain des hommes, se rappelant peut-être, qu’adolescent, en pleine crise spirituelle, lui-même professait généreusement des « vues politiques qui [étaient] à part un point ou deux, analogues au communisme ». Cet idéal de jeune intellectuel était cependant la première étape de son engagement en vue de la « construction de la famille humaine ».

Rendre la terre habitable par tous

Ayant progressivement élargi ses horizons, de sa Suisse natale à la France humiliée de 1940, de l’Europe à l’Amérique et à tous les continents, il se défie de la politique de parti, craignant tout ce qui oppose les gens entre eux. À temps et à contretemps, il encourage les jeunes à chercher « la paix du cœur » et à imaginer des moyens alternatifs pour « rendre la terre habitable par tous » avec pour tout programme, le réalisme d’une foi agissante et une référence au pape Jean XXIII annonçant l’esprit œcuménique du concile : « Nous ne ferons pas un procès historique. Nous ne chercherons pas qui a eu tort et qui a eu raison. Nous dirons seulement : « Réconcilions-nous ! »
En période pré-électorale, à bon citoyen du monde, salut !

 

S’il est crucial de mieux mesurer les risques financiers, il ne faut cependant pas créer un climat qui conduise la finance à se recroqueviller sur elle-même au détriment du financement à long terme et au bien commun.

A savoir

Une agence de notation évalue la capacité d’un emprunteur à rembourser le capital et les intérêts de ses dettes. Cet emprunteur peut être un Etat, une collectivité locale ou une entreprise. Dans ce cadre, les agences émettent des notes de crédit qui fournissent des analyses de risques aux investisseurs et augmentent ainsi la confiance entre partenaires.

Un rôle important dans le système financier
Les agences de notation jouent un rôle important dans la finance par les informations qu’elles envoient sur les risques courus par les investisseurs (signaux plus ou moins pris en compte par le marché) et informent ainsi les différents acteurs financiers. Elles interviennent aussi dans la régulation financière en indiquant les zones à risque et en orientant les capitaux vers des investissements plus sûrs. Elles vérifient si les banques ont des fonds propres suffisamment importants pour accorder des prêts.

La notation reste cependant un exercice délicat car il mesure la perception d’un risque de non-remboursement d’une dette[1]. Il s’agit de l’opinion de l’agence de notation sur le risque de crédit à un instant donné, sur un horizon de temps particulier et une durée; la part d’incertitude dans les prévisions de ces  agences demeure inévitable et de sérieuses défaillances ont pu être observées dans les pratiques des agences. La note de crédit est le plus souvent exprimée par un symbole composé d’une ou plusieurs lettres et chaque agence  utilise son propre système de notation. Une note composée de plusieurs « A » indique un risque  de non remboursement plus faible qu’une note composée de plusieurs « C ». La note de crédit peut évoluer dans le temps selon la conjoncture.

La note de crédit peut être sollicitée par un emprunteur qui veut démontrer sa fiabilité à rembourser –ce que demandent certains prêteurs avant de s’engager-  et c’est lui qui rémunère l’agence de notation pour ce service. D’autres notes, non sollicitées, peuvent être établies à l’initiative des agences elles-mêmes, sans accord préalable ; ces notes peuvent être vendues à des investisseurs en quête d’informations.

Toutes ces notes peuvent porter sur des risques de défaut de remboursement de manière globale ou pour des emprunts particuliers ou obligataires[2] par exemple)

Les imperfections du contrôle

  • Le marché des agences de notation est dominé en 2015 par Moody’s (40% du chiffre d’affaires mondial), Standard & Poor’s (35%) et Fitch (16%). La forte concentration du marché des notations entre un nombre limité d’acteurs ne  stimule pas une plus grande recherche de qualité dans la prospective.
  • Un excès de simplicité dans les méthodologies actuelles des agences nuit au service rendu. Cette simplicité tient en particulier au faible nombre de critères pris en compte dans les analyses. La méconnaissance de critères non strictement financiers -liés notamment aux ressources naturelles ou énergétiques- et leur non prise en compte ont d’importantes conséquences pour l’analyse des pays et des entreprises.
    Dans la majorité des cas, les agences de notation sont rémunérées par les entités qu’elles notent. Les agences peuvent, par ailleurs, avoir des activités de conseil, ce qui peut être une source de conflits d’intérêt et biaiser les notations.
  • Avant la crise de 2008, les agences ont été conduites à noter des produits dont elles n’étaient pas réellement en capacité de mesurer le risque, notamment dans le cas d’actifs structurés regroupant plusieurs créances. Il pouvait ainsi être possible d’évaluer le niveau de risque de chaque créance prise individuellement, mais pas la corrélation de leurs risques ni l’impact que pouvait avoir la faillite de l’un des emprunteurs. Les agences de notation ont cependant noté de tels produits et leur ont accordé des notations souvent trop élevées, ne protégeant pas les investisseurs.
  • La crise de la zone euro a également mis en évidence les enjeux éthiques auxquels font face les agences de notation et notamment la crise de la dette grecque. Il est ainsi apparu que la Grèce avait maquillé ses comptes avec la complicité d’acteurs économiques. La qualité des activités de notation est fortement dépendante de la qualité des informations dont disposent les agences.
  • L’importance donnée par les média aux notes des agences a un effet d’accélération. Plutôt que de faciliter un équilibre du marché, les acteurs financiers réagissent aux notes en précipitant la manifestation des risques (ventes massives de titres à risques) ou en stimulant la spéculation (achats de titres décotés).

L’approche de Justice et Paix

Il faut, bien sûr, apporter des solutions aux problèmes évoqués ci-dessus pour améliorer les activités de notation, mais il est certain que cela ne libérera pas de l’incertitude inhérente à toute prévision sur l’avenir. Cependant l’impact des agences est si grand qu’il faut non seulement promouvoir des bonnes pratiques éthiques, mais aussi surveiller et sanctionner leur travail afin de défendre le bien commun.

Contrôler le contrôleur
Depuis la fin 2009, les agences de notation sont régulées à l’échelle européenne et, depuis juillet 2011, c’est le rôle de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). La législation européenne a introduit des règles de transparence et de bonne gouvernance. Les agences doivent publier leurs méthodes de notation et les appliquer de façon stable. Elles doivent agir avec indépendance et, par exemple, ne peuvent pas noter une entreprise qui détient plus de 10% de leur capital social. Une entreprise peut désormais plus facilement poursuivre une agence de notation qui aurait enfreint la réglementation européenne intentionnellement ou par négligence grave.

Pour avoir le droit d’exercer en Europe, une agence de notation doit bénéficier de l’autorisation de l’ESMA. Cette dernière évaluera de manière continue les procédures de l’agence et sa gouvernance. L’ESMA peut procéder à des inspections. En cas d’infractions, elle peut infliger des amendes et même retirer le droit d’exercer.

Ces contrôles sont de nature à favoriser un meilleur fonctionnement du système.

Justice et Paix soutient ces approches et se préoccupe aussi d’une régulation internationale.

Chacun à sa place
Il faut aussi veiller à ce que les agences de notation ne se substituent pas aux agents économiques. La notation ne peut pas les évincer mais elle doit guider leurs décisions.  Les agents économiques devront inévitablement faire des choix, en prenant en compte d’autres critères que ceux des agences de notation, car le risque est  double :

  • risque que les notations des agences ne prennent une ampleur démesurée dans les décisions des entreprises, des banques et surtout pour la politique économique des Etats. Le risque est que des critères non financiers comme le bien commun ne se retrouvent affaiblis.
  • risque que se développe dans le monde économique une culture centrée sur la peur des risques, conduisant à une sous-utilisation des ressources financières massives disponibles. Ces ressources sont en effet essentielles pour répondre aux enjeux actuels de la relance économique, la réduction du chômage, la réalisation de la transition énergétique et le renouvellement des infrastructures, le développement des pays émergents…

S’il est crucial de mieux mesurer les risques financiers, il ne faut cependant pas créer un climat qui conduise la finance à se renfermer sur elle-même au détriment du financement à long terme et du bien commun.

Des outils de mesure ouverts
Les éléments utilisés pour produire les notes sont bien souvent peu nombreux et uniquement comptables. De nouveaux types d’agences de notation sont apparus qui proposent une gamme plus large de critères et, en particulier, des critères sociaux, d’environnement et de gouvernance. C’est le cas, en France, de Vigeo, Ethifinance, Innovest ou BMJ Core rating… pour ne citer que les quatre agences les plus importantes.

Ces agences ont une vision plus large de la solidité d’une entreprise et prennent en compte le bien commun. Justice et Paix soutient cette approche encore peu répandue et utilisée surtout pour des PME ou des fonds de placement ISR, solidaires ou éthiques. Par-delà ces agences, c’est une autre vision de l’efficacité économique qui est recherchée.

Des pistes pour agir

Les agences de notation sont des outils qui peuvent aider à mieux se situer dans le marché de la finance Elles rendent un vrai service, mais il faut exercer un discernement sur les informations qu’elles fournissent et ne pas sacraliser ces informations.

Le recours à ces agences est souvent utile pour allouer des actifs de la manière optimale. Il est donc pertinent pour des placements d’épargne de congrégations, de paroisses, de fondations. Mais il faut interroger ces agences sur les critères de notation pris en compte. Intégrer des critères sociaux et environnementaux dans les éléments qui permettent de prendre des décisions économiques a pour résultat de mieux insérer l’économique dans la société et la recherche du bien commun.

La réflexion sur les agences de notation invite à réfléchir sur des procédures pour réguler les investissements au niveau international et sur la notion d’efficacité économique.

Pour aller plus loin :

  • Quel rapport au risque est-ce que j’entretiens dans mes décisions économiques et dans ma vie d’une manière générale ?
  • A quels risques suis-je le plus sensible, et comment est-ce que je les mesure ?
  • Quelle place est-ce que je laisse à la confiance dans mes décisions ?
  • Quels autres critères que l’analyse des risques peuvent orienter mes décisions ?

Bibliographie

Les agences de notation, Norbert Gaillard, Editions La Découverte, Collection Repères, février 2010.
Le site http://www.novethic.fr/ donne de nombreuses informations sur les agences de notation, en particulier celles qui font des analyses extra-financières.

 

ANNEXE

La finance catholique : quels en sont les inspirations et les principes ?[3]

 9 octobre 2015
Entretien issu du Recueil Dalloz du 8 octobre 2015

Antoine Cuny de la Verryère est docteur en droit et président-fondateur de l’Observatoire de la Finance Chrétienne (OFCCFO)

L’agence de notation Standard and Poor’s a lancé, le 19 août 2015, un produit intitulé « S&P 500 Catholic Values Index ». Cet événement a parfois été perçu comme marquant la naissance d’une « finance catholique ».

Qu’entend-on par « finance catholique » ?
En l’absence de texte officiel, il convient de se référer aux travaux de la doctrine. Le texte le plus récent et le plus abouti est la Charte fondamentale de la finance éthique chrétienne. Elle a été publiée le 15 août 2015, à Paris, par l’Observatoire de la finance chrétienne (OFCCFO) et rédigée par des laïcs financiers, juristes et universitaires européens. Cette charte, disponible en plusieurs langues, se veut être une synthèse des pratiques et principes financiers chrétiens recensés à travers le monde. Elle est aussi une tentative laïque de normalisation internationale dans un contexte où l’Église soutient la moralisation de l’économie.

Selon son article 1er, « doivent être identifiés comme faisant partie du domaine de la finance éthique chrétienne, l’ensemble des acteurs, activités, produits, comportements, concepts et organisations, relevant du secteur bancaire, financier ou assurantiel, respectueux des principes fondamentaux ». Or une analyse sommaire de ces « principes fondamentaux » prouve, tout d’abord, que la finance chrétienne est une finance éthique qui cumule, à la fois, les critères de la finance durable (« finance ISR ») et ceux de la finance solidaire. En outre, elle ajoute d’autres critères éthiques spécifiques à la religion chrétienne.

La « finance catholique », pour sa part, est un sous-genre de la finance chrétienne au même titre que la « finance protestante » ou l’éventuelle « finance orthodoxe ». Elle se caractérise par des critères éthiques alignés sur la doctrine sociale de l’Église catholique romaine. .

Quels sont les principes de la finance éthique chrétienne ?
La finance chrétienne reprend les principaux objectifs de la finance ISR : long-termisme ; protection de la biodiversité ; défense des libertés fondamentales ; bonne gouvernance. Elle se confond souvent avec la finance solidaire et reconnaît comme vertueux le partage des revenus de l’épargne avec une association ou fondation, et l’investissement dans des entreprises solidaires, notamment pour aider les personnes fragiles, ce qui inclut la protection de l’enfance, la réinsertion des personnes en difficulté, l’aide à l’éducation, la lutte contre l’illettrisme, l’aide aux plus démunis, et l’aide aux personnes souffrant d’un handicap mental ou physique.

En sus, et c’est sa principale spécificité, la finance chrétienne applique des critères éthiques religieux. Ses principes fondateurs en réfèrent, on s’en doutait, aux textes bibliques et à la doctrine de l’Église, comme par exemple, les vertus de charité, force, prudence et tempérance. La finance éthique chrétienne, telle que décrite par la Charte, revendique également une position œcuménique et interconfessionnelle. Elle se veut fondamentalement inclusive, et elle repose sur le libre arbitre. Par ailleurs, à un niveau plus pratique, la Charte distingue entre des objectifs positifs (vertueux) et des objectifs négatifs (non vertueux). Sont présumés être positifs, par exemple : la protection de la vie; le développement « de tout homme et de tout l’homme ». À l’inverse, sont présumés être négatifs, par exemple, les investissements favorisant la marchandisation de l’être humain ; la promotion de l’infidélité ; les manipulations génétiques sur le corps humain à d’autres fins que thérapeutiques

À noter que les techniques financières sont expressément visées. Ainsi, sont considérés comme non vertueux inter alia : l’endettement excessif ; le recours aux sociétés écrans et aux mécanismes juridiques de déresponsabilisation des personnes physiques ; le financement excessif des multinationales au détriment des petites entreprises ; la spéculation à l’origine de l’instabilité financière ou de la rupture de l’accès aux ressources. La finance chrétienne se présente fréquemment comme l’anti-modèle d’une certaine finance ultralibérale. En ce qui concerne la finance catholique, elle est censée respecter les principes établis par l’Église catholique, à l’instar du produit « S&P 500 Catholic Values Index » qui dit se conformer aux recommandations de la Conférence des évêques des États-Unis.

Existe-t-il des acteurs ou des produits financiers catholiques ?
Il existe de nombreux acteurs chrétiens et catholiques. L’Allemagne compte plus de dix établissements de crédit chrétiens, pour certains créés au début du XXe siècle. L’ouvrage Finance catholique (EMS, 2013) recense un grand nombre d’acteurs, notamment aux États-Unis et en Angleterre. Le phénomène est mondialisé.

La France connaît plusieurs opérateurs issus de la finance solidaire présumés compatibles (finance « catho-compatible ») par la Charte, notamment dans le domaine du microcrédit et des fonds de partage. Mais ces derniers temps ont vu l’apparition de plusieurs entités ostensiblement chrétiennes, par exemple : Credofunding, les Projets de Rosalie, le fonds Proclero ou le Cèdre finance éthique. L’OFCCFO travaille à l’émergence d’une supervision laïque internationale. Il a créé un label et institué un comité de notation. Il cherche à réunir le plus de partenaires possible afin de promouvoir le développement d’une finance plus juste et plus humaine.

 

[1] http://www.amf-france.org  Cf. Les agences de notation: comprendre et utiliser leurs notes de crédit

[2] Un emprunt obligataire est un instrument financier émis par une personne morale (Etat, collectivité publique, entreprise publique ou privée) qui reçoit en prêt une certaine somme d’argent de la part de souscripteurs. Il s’agit d’un titre de créance, c’est-à-dire qu’il représente une dette, remboursable à une date, pour un montant fixé à l’avance et qui rapporte un intérêt.
Une obligation fonctionne sur le même principe qu’une reconnaissance de dette, alors qu’une action représente une part du capital de la société. Le cours d’une action dépend des fluctuations du marché et n’est pas connu à l’avance. La valeur de l’action peut augmenter, mais elle peut aussi baisser. Pour une obligation à taux fixe le rendement est connu à l’avance. L’émetteur s’engage à rembourser intégralement la valeur d’achat au terme fixé, ainsi que, chaque année, un intérêt régulier défini à l’avance.
https://www.caisse-epargne.fr/alsace/definition-emprunt-obligataire.aspx

[3] http://www.village-justice.com/articles/finance-catholique-quels-sont-les,20618.html