Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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La Commission pour la Justice et la paix internationales de la Conférence épiscopale des Etats-Unis et l’Institut de recherche pour la paix de l’Université catholique américaine Notre-Dame ont organisé à Londres, les 24 et 25 mai 2016, une conférence sur « les approches catholiques de la prolifération et du désarmement nucléaires ».

Des représentants des conférences épiscopales des États-Unis, d’Angleterre et du Pays de Galles, d’Allemagne, de France et des universitaires d’Instituts de recherche sur la paix y ont participé, soit au total 40 évêques et spécialistes des relations internationales provenant de 9 pays. Cette initiative a été appuyée par l’ONG Nuclear threat initiative animée par Desmond Browne, ancien ministre britannique de la Défense. La Conférence des évêques de France était représentée par Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes et président de Pax Christi France. Deux membres de Justice et Paix France y ont également participé.

Les débats ont porté sur les enjeux éthiques et politiques de l’élimination progressive et contrôlée de l’arme nucléaire. Desmond Browne a fait valoir que, si la sécurité nationale relève des responsables politiques, les religions ont le devoir de s’engager lorsque sont en cause le bien commun et même la survie de l’humanité. Pour sa part, le Cardinal Vincent Nichols, président de la conférence épiscopale d’Angleterre et du Pays de Galles a reconnu que le débat stratégique sur le désarmement devait aussi être guidé par des considérations morales.

En matière de désarmement nucléaire, « le débat politique est très en avance sur le débat éthique » a regretté Mgr Oscar Cantú, président de la Commission des évêques américains sur la Justice et la paix internationales. Les nouvelles générations de responsables catholiques doivent être mieux informées sur les arguments politiques et éthiques qui militent en faveur de la réduction et, à terme, de l’élimination des armes nucléaires.

Pour sa part, Mgr Stenger a rappelé les graves objections morales qui pèsent sur l’arme nucléaire elle-même. Comment accepter sans discussion une arme destinée à détruire des villes entières et une grande partie de leurs habitants ? Il a remarqué que, selon les experts, la puissance d’une seule des 300 têtes nucléaires françaises est supérieure de 10 à 20 fois à celle de la bombe d’Hiroshima. Après avoir souligné que l’armement nucléaire ne répond à aucun des critères qui conditionnent la moralité du recours à la force selon la doctrine de la guerre juste développée par l’Église, il a relevé que l’emploi de cet armement serait également incompatible avec le droit international humanitaire.

En conclusion, il a insisté sur la nécessité d’intégrer les questionnements éthiques sur l’armement nucléaire dans une réflexion globale sur le fonctionnement de nos sociétés contemporaines, devenues à la fois incertaines de leurs finalités, fragiles, dures et parfois violentes. Il a cité Mgr Bernardito Auza, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies, selon qui « les armes nucléaires ne peuvent pas créer un monde stable et sûr ». Au contraire, « la paix doit être construite sur la justice, le développement socio-économique, la liberté, le respect des droits de l’homme, la participation de tous dans les affaires publiques et la construction de la confiance entre les peuples » D’autres intervenants, notamment universitaires, ont souligné que le désarmement nucléaire devait être intégré dans une perspective plus vaste : celle d’un système international fondé sur le règlement pacifique des différends et la lutte contre les facteurs structurels de guerre tels que les inégalités et exclusions sociales, le mal-développement ou la violation des droits fondamentaux.

La conférence s’est accordée sur un constat décevant : alors que les négociations sur le désarmement nucléaire ne progressent plus et que les forces nucléaires existantes sont sans cesse « modernisées », les chrétiens manifestent peu d’intérêt pour ces questions. De plus, le désarmement nucléaire, contrairement au développement durable ou à la lutte contre les changements climatiques, ne semble plus faire partie des priorités de l’agenda international. Les risques de guerre nucléaire représentent pourtant une menace majeure pour l’humanité et la Création.
La conférence s’est ainsi conclue sur la nécessité d’un éveil des consciences. Elle a appelé à un plus grand engagement catholique en faveur du désarmement nucléaire. Les chrétiens français se doivent d’entendre cet appel en approfondissant leur questionnement éthique et politique sur la stratégie nucléaire de leur pays.

Début septembre 2015, la photo du petit Aylan, mort sur une plage turque, a fait la Une de la presse internationale. Ce drame, après tant d’autres, a semblé pendant quelques semaines réveiller les Etats de l’Union européenne.

Las ! Un an plus tard cet accès de générosité s’est fracassé sur les réalités d’une Europe en pleine crise morale et existentielle. Car si le terme de crise est adapté, il caractérise d’abord l’état de l’Europe et secondairement celui d’un afflux de réfugiés hors norme et ingérable.

Des chiffres et des personnes

Certes, depuis plusieurs années, les demandes d’asile ne cessent de croître au sein de l’UE. Le nombre total de demandes s’élevait en effet à 332 000 en 2012, à 434 000 en 2013, à 625 000 en 2014, pour atteindre le chiffre de 1,2 million en 2015. Si on parle de migrants, il s’agit pour la très grande majorité de réfugiés. Selon Eurostat, sur les 1 255 600 personnes ayant introduit une demande de protection internationale dans les États membres de l’Union européenne en 2015, on relève 362 800 Syriens, 178 200 Afghans et 121 500 Irakiens. Les personnes fuyant la corne de l’Afrique sont également nombreuses, venant notamment d’Erythrée ou du Soudan. Les pays de provenance sont ravagés par la guerre, la violence généralisée et des régimes dictatoriaux.

L’immense majorité de ces personnes ne sont pas des migrants économiques, mais des réfugiés. Les Etats de l’UE, eu égard à leurs valeurs comme au respect des textes internationaux qu’ils ont ratifiés – la convention de Genève sur les réfugiés de 1951 – leurs doivent une protection ou s’assurer qu’ils en ont réellement une dans un pays tiers.

L’Europe est pourtant en pleine démission, en pleine panique, face à une question qu’elle pourrait gérer dans la sérénité. Car si l’afflux de réfugiés y a pris une dimension importante en 2015, cette augmentation significative doit être mise en perspective avec la situation dans les premiers pays d’accueil : la Turquie accueille près de 3 millions de réfugiés, le Liban, plus d’un million, ce qui correspond au tiers de sa population. Important en valeur absolue, le million de réfugiés arrivés dans l’Union Européenne en 2015 est donc modeste si on le met en perspective avec les 500 millions d’habitants des Etats de l’UE, première puissance économique du monde.

L’impréparation de l’Europe

Alors que la crise en Syrie et en Irak allait depuis 2011 nécessairement provoquer un exode de grande dimension, , les Etats membres de l’UE n’ont rien anticipé. Les quelques outils communs (accords de Dublin et de Schengen) élaborés au début des années 90 se sont rapidement avérés dépassés, et surtout en contradiction avec l’élaboration d’une démarche européenne commune.
L’aveuglement principal porte sur le système de Dublin : l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile est celui par lequel le migrant est entré dans l’espace européen. Cette disposition fait reposer une responsabilité considérable sur les Etats frontaliers. Chacun défend ses frontières pour se protéger des flux migratoires, et l’Etat qui laisse entrer un migrant sur son territoire doit se débrouiller ! C’est le principe du chacun pour soi : faire reposer l’accueil sur le voisin, puis sur le voisin du voisin etc., jusqu’à l’externalisation du contrôle des frontières.

C’est ainsi que, depuis des années, le Maroc est devenu un cul-de-sac pour les migrants africains. Cette route une fois contrôlée, la Libye est devenue la principale voie d’accès à l’Europe, via la mer. Le colonel Kadhafi fit monter les enchères pour que ses forces de sécurité contrôlent et bloquent l’accès maritime. Et la route maritime fut globalement bloquée.

Mais à partir de 2011, les révolutions arabes et leurs suites ont fait tomber cette barrière. L’Irak sombrant dans un état de violence permanent, la guerre en Syrie prenant une dimension internationale, la Libye sombrant dans l’anarchie,  des mouvements d’exils importants s’amplifièrent vers l’Europe proche.

Les traversées de la Méditerranée se développèrent en 2012 grâce aux réseaux des passeurs criminels. Naufrage après naufrage, le nombre de morts était déjà l’indicateur d’une faillite morale de l’Europe qui laissait mourir au large de ses côtes des milliers de personnes dans l’indifférence la plus totale. En juillet 2013, la première visite du nouveau pape François pour l’île italienne de Lampedusa marqua les esprits par son interpellation forte : « Qui est responsable du sang de ces frères et sœurs ? Personne ! Nous répondons tous ainsi : ce n’est pas moi, c’est sans doute quelqu’un d’autre (..) nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle. »

Le réveil timoré de 2015

Les Etats de l’UE ne firent pas grand-chose. Il fallut attendre des mois, une amplification de la guerre, une amplification de l’exode, et deux naufrages d’ampleur à la mi-avril 2015 pour qu’enfin les chefs d’Etat européens convoquent un premier sommet européen consacré à cette question et y adoptent le premier plan Juncker. Durant l’été 2015, à partir de la Turquie, les mouvements de réfugiés vers l’Europe prirent un tour nouveau, via la Grèce. Des colonnes de milliers d’exilés syriens se mirent à traverser la mer Egée pour atteindre la Grèce puis les pays frontaliers pour se rendre en Allemagne par tous les moyens. La presse internationale s’empara de ces images, un exode sur les routes d’Europe qui renvoyait aux images de la seconde guerre mondiale.

Le discours profondément nouveau d’Angela Merkel, déclarant sans concertation avec ses collègues européens que l’Allemagne accueillerait les réfugiés, puis la photo du petit Aylan et l’émotion internationale qu’elle déclencha donnèrent l’impression qu’enfin l’Europe allait se réveiller et assumer en acte les valeurs qu’elle défend.

De nouveaux sommets européens se réunirent pour adopter un second plan Juncker. Loin de faire l’unanimité au sein des 28, ce nouveau plan donna une dimension plus vaste au premier, mais en garda les grandes lignes : tout en maintenant en vigueur les accords européens de Dublin, le plan Juncker proposait d’organiser une « relocalisation » de 160 000 réfugiés arrivés en Grèce et en Italie via des centres de tri (« hotspots »), pour « soulager » ces pays frontaliers. Le plan intégrait également un plan de « réinstallation », à savoir l’accueil de quelques milliers de réfugiés présents en Turquie, au Liban ou en Jordanie. La protection des frontières ne fut pas en reste, avec le renforcement des moyens de l’agence Frontex (la surveillance des frontières européennes) et un plan quasi militaire de lutte contre les organisations de passeurs.

Un an plus tard, force est de constater que l’élan d’accueil de l’été 2015 a fait long feu !
Sur les 160 000 relocalisations prévues par les deux plans Juncker à partir de la Grèce et de l’Italie, seules 3 056 ont été réalisées pour toute l’UE au 11 juillet 2016! Sur les 22 500 réinstallations prévues, 8 268 ont été effectives !

Fermetures de frontières

Dans le même temps, les frontières et les murs au sein même de l’Europe ont été beaucoup plus rapidement reconstruits. Dès septembre 2015, l’Allemagne durcit sa politique d’accueil et réintroduit temporairement des contrôles à sa frontière avec l’Autriche. La France, au lendemain des attentats de novembre, réintroduit les contrôles à ses frontières. En décembre 2015, la Suède restreint ses conditions d’accueil et limite les passages à sa frontière avec le Danemark. En Europe centrale, un groupe de pays emmené par l’Autriche organise progressivement la fermeture des frontières. Après avoir déclaré en janvier qu’elle limiterait à 37 500 le nombre de personnes accueillies sur l’année (en contradiction avec la convention de Genève), l’Autriche annonce en février qu’elle ne laisserait désormais entrer sur son territoire que 80 demandeurs d’asile par jour et 3 200 en transit, ce qui déclenche un effet domino. La Macédoine, la Slovénie, la Croatie et la Serbie annoncent des mesures similaires.

Des barrières physiques sont édifiées aux frontières extérieures de l’Europe, d’abord entre la Hongrie et la Serbie, puis, à l’intérieur même de l’Union, entre la Slovénie et la Croatie. La fermeture complète de la route des Balkans, à compter du 9 mars, à l’initiative de la Slovénie, imitée par la Croatie, la Serbie et la Macédoine, finit d’isoler la Grèce qui risque d’être complétement asphyxiée.
Cette impasse conduit l’UE, sous l’impulsion de l’Allemagne, à reprendre les négociations avec la Turquie qui débouchent, le 18 mars 2016, sur un accord politique dont l’objet est de faire réadmettre dans ce pays la plupart des migrants arrivant en Grèce depuis son territoire. Tous les nouveaux migrants en situation irrégulière arrivant en Grèce depuis la Turquie à compter du 20 mars 2016 sont renvoyés en Turquie. Cet accord a suscité de très vives critiques, car l’UE y renonce à assumer ses obligations en matière d’asile. Il ne s’agit plus, en effet, de distinguer à leur arrivée sur le sol européen entre les migrants pouvant prétendre à une protection et les autres, mais de les renvoyer tous, y compris ceux qui seraient éligibles à une protection, dès lors qu’ils sont en mesure de la trouver en Turquie.

Avec un tel dispositif, la route des Balkans s’est de nouveau fermée. Mais comme prévu, d’autres routes se sont réactivées ou ouvertes. La traversée de la Méditerranée a repris de plus belle, au profit des passeurs, et l’Italie est redevenue la principale porte d’entrée… Avec pour conséquence un nombre de morts très élevé : plus de 3000 depuis début 2016.
Symbole dérisoire illustrant l’impasse actuelle, la Norvège a entamé en août la construction d’une barrière à sa frontière avec la Russie ! L’idée d’une politique européenne commune semble au point mort.

***
La question de l’accueil des réfugiés n’est bien sûr qu’un facteur, parmi d’autres, qui pousse des forces centrifuges à détricoter mois après mois le projet européen. Mais au-delà du renoncement à des traités internationaux de protection des droits de l’homme, au-delà des petits calculs électoralistes et égoïstes de la plupart des gouvernements européens en place, la crise que traverse l’Europe, à travers son incapacité à penser collectivement une politique commune d’accueil et de protection des réfugiés est la marque d’un délabrement de grande ampleur.

Dans Le Monde du 27 février dernier, Sylvie Kauffmann dressait un parallèle saisissant : « L’historien Christopher Clarke a brillamment décrit, dans son livre Les Somnambules (Flammarion, 2013), la marche des puissances européennes vers la guerre, les yeux fermés, au cours de l’été 1914. Un siècle plus tard, le même aveuglement semble frapper les Etats membres de l’Union européenne face à la crise migratoire. Somnambules du XXIe siècle, ils se transforment en fossoyeurs inconscients de leur propre Union, cette organisation unique au monde, bâtie pour conjurer les fantômes de la seconde guerre mondiale. »

Qui saura réveiller cette Europe qui s’enfonce jour après jour dans la « globalisation de l’indifférence », selon les termes du pape François à Lampedusa ?