Quelle stratégie de sécurité pour l’Europe ?

Contribution des évêques européens à la stratégie globale de l’Union européenne pour la politique extérieure et de sécurité commune.

 

 L’Union européenne (UE) est, depuis l’origine, un projet de paix et de réconciliation entre des nations qui s’étaient longtemps combattues et, au premier chef, entre la France et l’Allemagne. Cette démarche a été couronnée de succès puisqu’un conflit entre les pays membres de l’Union est devenu aujourd’hui proprement impensable. L’UE porte donc en elle des ferments de paix qu’elle doit cependant toujours entretenir et faire fructifier tant en son sein qu’au dehors.

En se dotant en 1992 d’une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) dans le cadre du traité de Maastricht, les États membres de l’Union ont entendu projeter vers l’extérieur de manière organisée et systématique leur expérience de paix et de coopération. Par la suite, le traité de Lisbonne (2009) a précisé que la PESC a notamment pour objectifs de :

  • sauvegarder les valeurs de l’Union, ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance et son intégrité ;
  • consolider et soutenir la démocratie, les droits de l’homme et les principes du droit international ;
  • préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale ;
  • soutenir le développement durable dans le but essentiel d’éradiquer la pauvreté ;
  • promouvoir à l’échelle mondiale une coopération multilatérale renforcée et une bonne gouvernance mondiale.

Pour orienter cette politique extérieure, l’Union a adopté, dès décembre 2003, une stratégie européenne de sécurité qui mettait en évidence cinq menaces principales : le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux, les États en déliquescence et la criminalité organisée. En réponse, la stratégie européenne de sécurité préconisait un engagement préventif avant le déclenchement des crises et conflits. Construire la sécurité dans le voisinage de l’UE devenait une priorité, tout comme le renforcement de l’ordre international fondé sur la règle de droit.

L’évolution de l’environnement stratégique de l’Union a nécessité une actualisation de ce document (usage de la force par la Russie en Ukraine en violation du droit international, extension des crises dans le pourtour méditerranéen, aggravation de la menace terroriste et tensions nouvelles en Asie). La Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union s’est donc vu confier dans cette perspective la charge d’établir une « stratégie globale pour la PESC ».

La préparation de ce document a donné lieu à une large consultation des institutions européennes, des États membres et des différentes organisations impliquées dans le débat public sur l’avenir de la construction européenne. C’est dans ce cadre que la conférence des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) a établi, à l’intention des institutions de l’UE, un rapport intitulé « Promouvoir la paix dans le monde, vocation de l’Europe ». Un représentant de Justice et Paix France a participé à la préparation de ce rapport au sein du groupe de travail des commissions Justice et Paix d’Europe qui joue également le rôle de commission de la COMECE sur les relations extérieures de l’UE.

A la veille de la campagne électorale française, il est intéressant de prendre connaissance des principales recommandations de ce rapport :

  • renforcer les capacités d’alerte précoce de l’UE et développer les initiatives et mesures destinées à instaurer ou rétablir la confiance ;
  • mieux s’appuyer sur l’instrument politique des partenariats stratégiques et promouvoir la coopération avec les Nations unies et les organisations régionales ;
  • mieux utiliser l’instrument de la médiation en coopération avec tous les acteurs clefs de la région concernée, en tenant dûment compte des intérêts des populations ;
  • au terme d’un conflit, soutenir la reconstruction d’un État efficace et la création de conditions de vie justes, mettre en cause la responsabilité des auteurs de violations des droits humains et surtout révéler la vérité́ sur les abus commis, et venir en aide aux victimes ;
  • utiliser de manière cohérente tous les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme;
  • dans chaque partenariat bilatéral ou multilatéral de l’UE, intégrer le droit universel à la liberté́ religieuse ;
  • en matière de migration, créer de nouvelles formes de partenariat avec les pays hôtes, dans le plein respect des obligations internationales relatives aux droits de l’Homme et garantir la protection des réfugiés et déplacés ;
  • dans la lutte contre le terrorisme fondamentaliste, combiner les mesures de prévention urgentes et à plus long terme, notamment en contribuant à un règlement pacifique des conflits et en luttant contre la radicalisation ;
  • soutenir les initiatives en vue d’un développement durable, tout en respectant la dignité́ de chaque être humain, la diversité́ culturelle et les valeurs ancrées dans les sociétés des pays tiers; promouvoir les pratiques agricoles à petite échelle pour lutter contre la famine ; tenir l’engagement de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’aide au développement (dont 0,2 % en faveur des pays les plus pauvres) ;
  • fournir aux régions en crise une aide humanitaire reposant sur les principes humanitaires fondamentaux d’humanité́, de neutralité́, d’impartialité́ et d’indépendance ;
  • promouvoir des relations commerciales justes et équitables avec les pays tiers en garantissant un traitement spécial et différencié des pays en développement ;
  • promouvoir, tant au niveau européen que mondial, l’adoption de règles contraignantes sur les activités des multinationales, ainsi que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ;
  • respecter les engagements pris pour réduire les émissions de gaz à effets de serre ;
  • assurer, tant au niveau européen qu’international, une meilleure gestion des ressources énergétiques et règlementer leur extraction et leur commerce; progresser dans la construction d‘une union européenne de l’énergie ;
  • développer une stratégie de désarmement général, y compris de désarmement nucléaire et convertir progressivement les industries militaires en capacités civiles ; réduire les arsenaux militaires sous un contrôle international strict et efficace, compte dûment tenu de la situation mondiale en matière de sécurité́ ; contribuer à la mise en œuvre rigoureuse, transparente et non discriminatoire des garanties de l’Agence internationale de l’énergie atomique et autres mesures de désarmement nucléaire ; relancer le traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) ;
  • veiller à l’universalisation du traité sur le commerce des armes ; renforcer les instruments européens de contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires, notamment en accroissant leur transparence et en intensifiant les efforts de prévention des flux illicites d’armes légères et de petit calibre ;
  • définir une position commune de l’UE concernant la recherche et la technologie dans le domaine de la défense ; pallier les vulnérabilités face notamment aux attaques informatiques ; appuyer les efforts en vue d’un accord international sur l’usage de drones armés; travailler à une interdiction à l’échelle internationale des armes autonomes létales ;
  • prendre en considération le rôle des Églises et des communautés religieuses dans la prévention des conflits, la lutte contre la radicalisation et la gestion des situations de sortie de conflit ; renforcer le dialogue entre l’Union européenne et les Églises et communautés religieuses conformément aux dispositions des traités ;
  • favoriser une réforme globale du système des Nations unies, y compris le Conseil de sécurité.

Si l’on compare la stratégie établie par la Haute Représentante et le document de la COMECE, on constate une convergence sur des points importants, comme le soutien des efforts internationaux en faveur du développement durable, la priorité donnée à la lutte contre la pauvreté et à la défense des droits humains, l’attachement au droit international et au rôle central des Nations unies, l’importance de la prévention des conflits et de leur dimension civile ou encore le rôle essentiel du dialogue des religions.

Néanmoins la stratégie de l’UE insiste, contrairement aux recommandations de la COMECE, sur la dimension proprement militaire de la sécurité : elle recommande ainsi le relèvement des budgets militaires et manifeste peu d’intérêt pour le désarmement. Le débat stratégique sur la sécurité européenne n’est donc pas clos et d’autres options devront toujours être défendues : en particulier celles consistant à faire prévaloir le dialogue politique et la négociation sur le seul rapport des forces militaires.

 

Conseil sur les approches chrétiennes de la défense et du désarmement

 

Le Conseil sur les approches chrétiennes de la défense et du désarmement (Council on Christian approaches to Defense and Disarmament : CCADD) rassemble des fonctionnaires civils, des militaires, des experts et des théologiens catholiques et protestants. Il est né en 1963 à l’initiative d’un groupe de personnalités britanniques, majoritairement anglicanes, qui proposaient de porter un regard éthique et plus spécifiquement chrétien sur les questions stratégiques.

Le CCADD se réunit une fois par an dans le cadre d’une conférence annuelle organisée par un des pays participants.

Les pays représentés au CCADD appartenaient tous à l’origine à l’Europe occidentale et à l’Amérique du Nord, les participants britanniques, allemands, néerlandais et américains y étant les plus nombreux. Après la fin de la guerre froide, des représentants d’Europe centrale et orientale ont été régulièrement invités aux conférences annuelles.

Après Paris (2014) et Baltimore (2015), c’est Bratislava qui, cette année, a accueilli le CCADD. 34 personnes représentant 12 pays ont participé à cette conférence dont le thème était « Les frontières de la peur : dilemmes moraux, politiques et de sécurité au cœur de la tempête ».

Les discussions ont porté sur l’afflux des migrants et de réfugiés en Europe, les menaces terroristes, les crises syrienne et ukrainienne, le sommet de Varsovie de l’OTAN, les défis de la cyber sécurité et l’avenir de l’Union européenne après la décision britannique de s’en retirer.

Pour l’essentiel, les participants ont cherché à identifier les causes des crises sécuritaires et proposé d’y apporter une réponse politique, une intervention armée occidentale au-delà des engagements actuels leur paraissant inadaptée et génératrice de risques supplémentaires. En ce qui concerne le terrorisme islamiste, la majorité des participants a considéré qu’il était favorisé par la situation de marginalisation et d’exclusion où se trouvent trop souvent les minorités musulmanes en Europe. Enfin, s’agissant des rapports entre les Occidentaux et la Russie, la plupart des participants ont proposé une stratégie alliant fermeté, y compris sous la forme de nouveaux déploiements militaires, et offre de dialogue.