Frère Roger de Taizé, un politique pour aujourd’hui ?

Le mur de Berlin n’était pas encore tombé et peu de gens connaissaient l’ampleur des contacts entretenus par frère Roger et la communauté de Taizé dans les pays de l’Est.

 

Pourtant, le 4 mai 1989 à Aix-la-Chapelle, le jury du Prix Charlemagne – qui avait distingué jusque-là des personnalités du monde politique ou diplomatique engagées pour l’unification européenne (Churchill, Monnet, Kissinger, Mitterrand et Kohl ; depuis lors, Jean-Paul II était distingué en 2004 et le pape François en 2016) – attribue sa récompense à frère Roger en faisant une lecture politique de son influence et de son action : « L’équilibre recherché à Taizé entre les confessions peut être un modèle pour mettre fin aux tensions et créer la coexistence pacifique dans toute l’Europe, non seulement au plan religieux mais aussi politique. » Taizé, un modèle politique ? Telle n’était sûrement pas la vision de frère Roger qui préférait le langage de l’Evangile, où les chrétiens sont invités à vivre comme des ferments pour travailler la pâte.

L’attention aux plus fragiles

Le fondateur de Taizé s’est toujours intéressé à la politique au sens large du terme. On peut retrouver en lui l’héritier d’un grand-père pasteur dont il ne parlait jamais. Correspondant du Moniteur des syndicats ouvriers de France, Journal républicain socialiste, cet homme d’Eglise attentif aux questions de justice sociale était pacifiste. Frère Roger porte attention à toute forme de souffrance, de conflit ou de division. Poussé par une nécessité intérieure, sans baisser les bras face à des situations d’une extrême complexité, il exhorte : « Il faut faire quelque chose ! », convaincu qu’« avec presque rien », un petit nombre de personnes peuvent infléchir le cours de l’histoire : « Par eux se renversent certains déterminismes de brutalité et de haine. Ils rétablissent une harmonie avec le Christ. »

Faire quelque chose

En 1956 – il y a alors des frères sous les drapeaux et une fraternité à Alger -, il envoie à Hubert Beuve-Méry, directeur du Monde, une lettre pour transmettre le S.O.S. des consciences inquiètes de soldats envoyés en Algérie et obligés de « tirer des rafales sur tout ce qui bouge, sans chercher à comprendre ». Impossible de mesurer l’impact d’une telle alerte publiée sous le titre : « La conscience chrétienne et le drame de l’Afrique du Nord ». Mais frère Roger n’était pas un homme naïf ou plein d’illusions. Pour lui, il y avait urgence au moins à se faire porte-parole. Et de regretter l’attitude de certaines Eglises : « Aujourd’hui comme hier, par notre refus de prendre des risques, par nos silences, nous pouvons soutenir, le sachant ou sans le savoir, des régimes politiques. »

Des ferments de réconciliation

On le voit stimulé par le courage d’évêques comme Mgr Larraín au Chili ou Dom Helder Camara au Brésil, qui, au nom de l’Evangile, prennent des risques pour la justice. Les analyses sociopolitiques latino-américaines soulignant l’interdépendance entre pays et continents conduisent ce tempérament constructif à chercher les formes concrètes d’une solidarité fondée sur une relation personnelle avec le Christ. Confronté à des jeunes très politisés, en 1969, il ose en envoyer vivre une simple présence dans des lieux d’affrontement, au Biafra et au Moyen-Orient, sans prendre parti, « comme un trait d’union ». Sans solution, pour écouter et témoigner. Il propose la voie pascale d’une « violence des pacifiques », celle d’une confiance indéfectible dans le demain des hommes, se rappelant peut-être, qu’adolescent, en pleine crise spirituelle, lui-même professait généreusement des « vues politiques qui [étaient] à part un point ou deux, analogues au communisme ». Cet idéal de jeune intellectuel était cependant la première étape de son engagement en vue de la « construction de la famille humaine ».

Rendre la terre habitable par tous

Ayant progressivement élargi ses horizons, de sa Suisse natale à la France humiliée de 1940, de l’Europe à l’Amérique et à tous les continents, il se défie de la politique de parti, craignant tout ce qui oppose les gens entre eux. À temps et à contretemps, il encourage les jeunes à chercher « la paix du cœur » et à imaginer des moyens alternatifs pour « rendre la terre habitable par tous » avec pour tout programme, le réalisme d’une foi agissante et une référence au pape Jean XXIII annonçant l’esprit œcuménique du concile : « Nous ne ferons pas un procès historique. Nous ne chercherons pas qui a eu tort et qui a eu raison. Nous dirons seulement : « Réconcilions-nous ! »
En période pré-électorale, à bon citoyen du monde, salut !