Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Plusieurs associations prenant en charge l’aide alimentaire viennent d’alerter sur leurs difficultés grandissantes à assurer ce service de première nécessité. Il y a des raisons conjoncturelles liées à l’inflation, mais surtout une forte augmentation du nombre de demandeurs qui se comptent en millions de personnes. Autre signal : la croissance inquiétante du nombre des gens à la rue, en particulier des familles avec enfants. La France connaît un problème de grande pauvreté qui relève du politique et, si des associations humanitaires essaient de palier cela, qu’en est-il des solidarités dans notre pays qui affiche Égalité et Fraternité sur ses bâtiments publics ?
De telles conditions de vie mettent en cause la dignité humaine. Pensons à l’humiliation de devoir quémander sa nourriture, de rester dehors avec son enfant. Il faut donc interroger la répartition des ressources dans notre pays ; on prend son parti que certains se trouvent laissés en marge d’une vie commune solidaire, mais la civilisation est en cause quand une société abandonne ses membres les plus fragiles.
La solution de la crise actuelle ne peut se satisfaire de quelques dons ponctuels privés : il faut envisager un partage plus équitable des ressources. Alors que les pouvoirs publics annoncent un pacte des solidarités, on peut évoquer un relèvement significatif des minimas sociaux et le soutien des initiatives locales telles qu’une sécurité alimentaire s’inspirant de la sécurité sociale.
La recherche urgente de solutions politiques ne délégitime pas l’action des associations. Elles savent gérer les situations qui appellent des réponses rapides. Elles disposent d’une expérience inégalable dans un accompagnement humain des personnes les plus fragiles. Mais voulons-nous vraiment changer les problèmes d’invisibilité de notre monde ? Les pauvres qu’on ne veut pas voir, les bénévoles du quotidien qu’on laisse dans l’ombre alors qu’ils contribuent par leur soutien fraternel à une vie commune plus humaine…
Un signe de cette cécité : les débats passionnés à propos de l’âge de la retraite ont peu évoqué l’activité bénévole de nombreux retraités, or celle-ci représente un enjeu vital pour notre société ; les ranger dans la catégorie « inactifs » est donc particulièrement inapproprié. En France et dans l’UE, il faut faire inscrire à l’agenda politique la question de la grande pauvreté. C’est un enjeu de civilisation.
Le lundi 4 septembre 2023, plus d’une cinquantaine de participant-e-s issus du Cameroun, du Congo, de France, de Guinée et de République Démocratique du Congo (RDC) ont pu échanger durant une journée sur les pratiques des Institutions Financières Internationales (IFI) et leur rôle dans l’endettement de ces quatre pays africains.
Les mandats de ces institutions qui disposent de représentations dans chacun des pays portent sur la promotion de la croissance économique, la bonne gouvernance, la lutte contre la pauvreté et/ou encore le changement climatique.
Or comme cela a été souligné durant la journée, si l’endettement n’est pas une mauvaise chose en soi, par un mauvais usage de la dette, un pays peut compromettre l’avenir de sa jeunesse. C’est pourquoi la Société civile veut connaître les tenants et aboutissants de cet endettement pour que les pays concernés ne se retrouvent pas dans des situations d’endettement insoutenables.
L’endettement via les financements de ces institutions pour des projets peut aider à lancer des projets pilotes sur lesquels un pays peut s’appuyer pour impulser son développement. Certes un projet ne peut pas tout résoudre, mais il peut permettre de montrer que quelque chose a marché à une certaine échelle et que cela devrait être transposé à plus grande échelle dans le budget d’investissement du pays ou alors inversement ; que les bénéfices (résultats attendus) du projet n’ont pas été obtenus ou atteints.
Or, un constat largement partagé par les participant-e-s a été celui de la difficulté d’accès aux informations concernant ces IFI et leurs pratiques dans les pays et notamment les conditionnalités adossées à leurs prêts aux Etats et l’impact des projets sur les populations concernées. Même les institutions les plus importantes comme le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale (BM) ou encore la Banque Africaine de Développement (BAD) ne publient que peu d’informations et sont difficiles à contacter, encore plus à rencontrer.
C’est pourquoi, les organisations présentes se sont engagées à mener un plaidoyer dans le but d’obtenir
d’une part, l’institutionnalisation de la participation de la société civile en amont des financements des IFI mais aussi durant la réalisation des projets financés ainsi qu’à leur fin et
d’autre part, une meilleure transparence de l’information des projets et programmes des IFI au niveau national.
04 septembre 2023
Crédit photo : INC, RDC
Plateforme des Citoyens Unis pour le Développement, PCUD, Guinée
Plateforme Dette & Développement, PF2D, Congo
Intersyndicale Nationale du Congo, INC, RDC
Plate-forme d’Information et d’Action sur la Dette, PFIAD, Cameroun
Avec le soutien de la Plateforme Française Dette et Développement, PFDD, France
Objectif 1 : Œuvrer pour l’institutionnalisation de la participation de la société civile avant, pendant et après la mise en œuvre des projets financés par les IFI en :
❖ Créant des mécanismes de participation permanent en amont et à l’échelle nationale avec les ministères concernés, les IFI et les organisations de la société civile (OSC) pour l’identification des secteurs et des besoins des populations à pouvoir dans le cadre des projets à financer.
❖ Impliquant la Société civile aux comités de pilotage des différents projets et programmes.
❖ Rendant effective la mise en œuvre de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au
❖ développement de 2005, concernant l’implication de la société civile dans les projets et programmes de développement;
❖ Impliquant la Société civile dans le choix des responsables des projets financés par les IFI.
Objectif 2 : Améliorer la transparence de l’information des projets/programmes des IFI en :
❖ Facilitant l’accès à l’information de la société civile sur la mise en œuvre des projets à financer suivant les engagements pris en termes promotion de la transparence et de responsabilité dans le cadre de la gestion des fonds publics
❖ Exigeant des Etats une communication officielle sur tout le processus de transaction des prêts auprès des IFI notamment via une loi d’accès à l’information lorsque celle-ci n’existe pas ou n’est pas suffisante
❖ Renforçant la capacité des acteurs de la société civile sur le plaidoyer et l’accès à l’information et le suivi des programmes financés par les IFI et des politiques publiques affectant l’endettement
❖ Menant des actions de communication et de sensibilisation renforcée entre OSCs et IFIs
Mi-septembre 2022. Dernières publications[1] pour la Conférence épiscopale, cours d’Écriture sainte bouclés à la Catho d’Angers, derniers services rendus en paroisse, ultimes obligations familiales assurées : le champ est libre pour un an de recherches à l’École biblique et archéologique française (Ébaf) de Jérusalem. Son sigle cocasse m’évoque les baffes mémorables des BD d’Uderzo et Goscinny, où le Gaulois pagaille emboutit joyeusement la géométrique soldatesque romaine, invariablement déconfite. Des bagarres, autrement meurtrières, hantent le Proche-Orient, son histoire, ses communautés.
Dans l’avion, un chef d’entreprise français d’origine juive, retiré à Netanya[2], confie sa « honte » face à l’évolution du pays. Bientôt vont se lever des vagues de manifestations contre le gouvernement, non sans contre-manifestations ultranationalistes, provocatrices. Certains font leur alyah[3], d’autres leur yéridah. Pour l’heure, le sherout grimpe vers Jérusalem, serpentant dans la montagne, déposant chacun à son lieu. Les paysages défilent : gratte-ciels de Tel Aviv aperçus depuis l’avion, plaine côtière et maraîchère, villages à flanc de colline…
Écrire ?
« Raconte ! », entend-on au retour en France. On me demande un aperçu sur Israël / Palestine. « Tu vis un jour dans un pays, tu composes un livre ; un mois, tu livres un article ; un an, tu te tais », dit-on. Tant de gens parleraient tellement mieux du Proche-Orient : journalistes ou religieux/ses depuis longtemps sur place, et avant tout les habitants, comme Charles Enderlin[4]. Membres d’ONG, historiens, juristes, réservistes, bédouins, diplomates, artisans, négociants des souks, arméniens, druzes, ingénieurs high tech, samaritains, guides, Bahá’is, réfugiés des camps…
Voici cinq ans, j’avais rendez-vous dans un nouveau dicastère au Vatican. Un membre m’accueille, me donnant le planning des rencontres, puis, malicieux, me glisse : « quand vous serez passé dans tous les bureaux, revenez m’expliquer comment cela marche. » Réflexion peu étonnante, eu égard à une institution restructurant quatre anciens conseils pontificaux, chacun ayant ses habitudes. Cette boutade m’est revenue en lisant Éric-Emmanuel Schmitt[5] : « Le mur… « Si tu comprends quelque chose à la situation de Jérusalem aujourd’hui, c’est qu’on t’a mal expliqué », m’avait soufflé un ami juif lors de mon départ ». Faut-il se cantonner au seul silence, nourri par un sentiment d’impuissance devant l’incompréhensible, l’insoluble ?
Résider à l’ÉBAF
Arrivé en soirée, l’accueil du frère Olivier, hôtelier et spécialiste des midrashim, est chaleureux. Le cadre est enchanteur, à deux pas de l’explosive porte de Damas, au nord de la vieille ville. On borde un cimetière musulman et la Garden Tomb, que des traditions improbables attribuent à Joseph d’Arimathie. L’École pratique d’études bibliques a été fondée en 1890 par le P. Lagrange, dominicain audacieux, sur le site de l’ancienne basilique saint Étienne, dédicacée en 439 par Cyrille de Jérusalem. Les jeunes aventuriers dominicains ont écumé le Proche-Orient, fouillant, dessinant, fac-similant des inscriptions, photographiant, publiant. Le frère Jean-Michel conforte l’extraordinaire photothèque.
Reconnue par l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres dès 1920, l’école est un « établissement français d’enseignement supérieur et de recherche, spécialisé dans l’archéologie et l’exégèse biblique. » Frères prêcheurs de France et d’ailleurs, savants du monde entier y enseignent. La bibliothèque est une mine pour exégètes, archéologues, épigraphistes, historiens et linguistes. Les fouilles du P. Roland de Vaux à Qumrân sont célèbres. Au laboratoire d’épigraphie, le P. Émile lit une inscription comme d’autres le journal. Le projet best (la Bible en ses traditions) propose nombre de notices sur la réception des Écritures : Pères de l’Église, arts, liturgie… Le frère Étienne peut vous entretenir sur tout ou presque, assertif. Il faudrait écouter chacun des frères. Leurs opinions peuvent diverger du tout au tout. Sur la Palestine, Israël… Au musée, on répertorie le fruit des fouilles, on publie. Le frère Jean-Baptiste a creusé un espace profond, où sont entreposés de merveilleux ossuaires ; là, certains soirs, on échange à bâtons rompus. Ou l’on fait une pause tisane de plantes locales et citrons du jardin. Au foyer, étudiants et volontaires passent un film, fêtent un anniversaire.
Pèlerinages
Nos voisines Franciscaines Missionnaires de Marie accueillent sœurs âgées du Proche-Orient et pèlerins de tous pays. Environ 80 % des deux millions de touristes en Israël – chrétiens juifs, musulmans… ou non – pérégrinent à Jérusalem. Déjà dans l’Ancien Testament pour Pessa’h (sortie d’Égypte – Pâques), Chavouôt (moisson, don de la Loi – Pentecôte), Soukkôt (récoltes, Tentes)… Méliton (160), Hélène (325-327), l’Anonyme de Bordeaux (333), Égérie (380), Chateaubriand (1806-07), Loti (1894), Debray (2008)[6]… Terre d’hospitalité et de rencontres, on y croise des mystiques de tout poil (cf. le syndrome de Jérusalem). On accueille des amis de passage. On discute, le temps d’un petit-déjeuner avec des pèlerins partant vadrouiller ou revenant d’une messe tôt matin au Saint-Sépulcre.
Violences
Parfois, des amis de France, inquiets, nous informent d’un nouvel attentat ! Le couvent, ceint de murs, abrite des occupants protégés. À peine arrivé, je découvre que la procession célébrant la naissance de Mahomet, de la rue Salah Ed-Din voisine à la mosquée Al-Aqsa, a dégénéré (8 octobre 2022). L’histoire du quartier, Cheikh Jarrah, à majorité palestinienne, est comme un résumé de la complexité du pays. Des âpres batailles judiciaires quant aux propriétés (selon les législations ottomane, anglaise, jordanienne, palestinienne, israélienne) résultent des expulsions. Alors, Jérusalem s’enflamme. « La violence n’engendre que la violence. Basta ! » (Pape François, 9 mai 2021). À Me’a She’arim, quartier voisin juif ultra-orthodoxe et antisioniste, la Torah prévaut sur la loi. Avec six enfants par foyer, est née une guerre des ventres. Une dominicaine revient de balade : elle y a essuyé les crachats des gamins[7].
Archéologie et idéologie
Près du couvent, propriété de l’État français, le Tombeau des Rois, fouillé par l’Ébaf en 2008-2009, est l’objet de manifestations ultra-orthodoxes qui en revendiquent la propriété. L’archéologie, remarquablement développée, est parfois instrumentalisée, pour « prouver » la Bible ou justifier que c’est la terre de toujours. La création de parcs nationaux améliore l’accès aux sites archéologiques, mais leur restauration peut être excessive (à visée touristique) et leur présentation, orientée (par exemple, peu de mention des églises du site). On lira avec profit Vincent Lemire[8].
Lac Tibériade, © ÉBAF
Communautés
Me trompé-je ? Chez un barbier palestinien, le rasage intégral du pourtour des crânes masculins laisse au sommet une sorte de kippa (!) chevelue : au sortir, les palmiers sont ainsi émondés. Les palmiers touffus des quartiers orthodoxes juifs sont, eux, à l’image des longues barbes et pe’ot (papillotes), surmontées du feutre noir des Borsalinos séfarades ou des amples schtreimels hassidiques. Modes prégnantes ? Claires prescriptions religieuses.
Les communautés sont si diverses ! Je suis invité à concélébrer chez les syriaques catholiques, tout proches. Ce jour-là, le curé préside et prêche en arabe. C’est un savoyard français, ayant cheminé dans un couvent de rite syriaque. Après discernement, il le quitte, travaille à Jérusalem et y épouse une américaine. Plus tard, l’Église l’appelle à la prêtrise.
Silicon Wadi
Israël a développé des zones high tech : le Silicon Wadi[9]. Une florissante industrie d’armement (missiles, systèmes de défense, drones, nukes) a émergé, à la pointe d’une innovation, qui infuse dans toute la société : systèmes de micro-irrigation, usines de désalinisation, médecine de pointe, industrie pharmaceutique, diamantaire, solaire… Avec ses logiciels, une nation start-up est née… au risque de mésusages (cf. le scandale Pegasus[10]).
Le pays a développé une agriculture communautaire variée, initiée dans les kibboutz (40 % des terres arables en 2016), les moshavs[11] (50 %) et les propriétés privées (10 %). On a évolué vers une économie de marché et d’exportation. La question de l’eau est stratégique. De même celle des réserves sous-marines de gaz et hydrocarbures. Les voisins sont concernés : Liban, Chypre, Syrie, Jordanie, Égypte. Les mondes arabe et juif-orthodoxe sont souvent confrontés à la pauvreté. Justice et Paix France a fait traduire les documents hautement instructifs de son homologue à Jérusalem. Les sites du Consulat de France et du Vatican rappellent leur positionnement. Aux check points, nous avons constaté des humiliations quotidiennes faites aux Palestiniens. D’aucuns évoquent un apartheid…
Wadi Dragot près de Qumrân, © ÉBAF
[1] Église et Sport, un terrain de rencontres, Documents Épiscopat, avril 2022 ; Pour un numérique au service du bien commun, Odile Jacob, février 2022.
[2] 225 bit000 haants, pour un tiers francophones.
[3] Alyah, « montée » : immigration juive en Israël ; yéridah, « descente » :émigration hors d’Israël ; sherout : taxi partagé.
[4] À paraître fin septembre 2023 : C. Enderlin, Au nom du Temple, Seuil ; et Israël, l’agonie d’une démocratie, Seuil-Libelle.
[5] Éric-Emmanuel Schmitt, Le Défi de Jérusalem, Postface du pape François, Albin Michel, 2023, p. 93.
[6] R. Debray, Un candide en Terre sainte, NRF-Gallimard, 2008.
[7] P. Manker, « Jérusalem, les actes antichrétiens se multiplient », La Vie, 13.06.23 ; reportage de Yossi Eli, HaAretz, 28.06.23.
[8] V. Lemire ; Jérusalem, histoire d’une ville-monde des origines à nos jours, Flammarion, 2016. ; et sa récente BD.
[9] Plaine côtière : Tel Aviv, Jaffa, Herzliya, Ra’anana, Petah Tikva, Netanya, Rehovot, Rishon Letsion, Airport City. Et, plus loin : Haïfa, Césarée, Yoqneam, Beersheva, Kiryat Gat, Jérusalem-Talpiot …
[10] L. Richard, S. Rigaud, Pegasus. Démocraties sous surveillance. L’Enquête mondiale, Paris, Robert Laffont, septembre 2023.
[11] Collectivité rurale dans laquelle chaque famille gère sa propre exploitation agricole.