Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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La communauté latine (Catholiques Romains) de Gaza n’a pas suivi l’ordre d’évacuation. Les chrétiens de la paroisse ont préféré rester ensemble dans les locaux de la paroisse et de l’école. Elle n’a pas d’électricité et plus d’eau car plus de carburant pour la pompe qui puisait dans le puits. Ils attendent en prière, en silence. S’attendant à la mort. Espérant dans le Seigneur.
Je n’ai pas de mots. Leur foi m’édifie. Je tremble de peur. Je les confie au Seigneur.
La communauté orthodoxe dans son quartier, est elle aussi en prière dans son église. Elle a choisi de ne pas suivre l’ordre d’évacuation. Pour aller où ? Comment ? Sans aucune famille ni secours dans le sud »
« Ils sont palestiniens comme la majorité des chrétiens locaux. Des convois vers le sud ont été bombardés. Le sud est bombardé. La frontière du sud vers l’Egypte est fermée. La situation humanitaire est catastrophique. [Comment évacuer] au milieu des gravats ?
Les sœurs de mère Teresa n’ont pas voulu laisser derrière les personnes handicapées dont elles s’occupent. Alors tout le monde est resté. Pour prier ensemble pour un miracle. Pour mourir ensemble si ça doit être le cas ».
1– Même si c’est difficile, voir plus loin que l’immédiat…
* De nouveau, la région Israël/Palestine connaît un déchaînement de violences brutales qui nie les droits humains les plus élémentaires. Nous le voyons encore, à défaut d’une volonté de paix prenant corps en des traités respectés par les différentes parties, l’état de guerre endémique se mue brutalement en conflit meurtrier. Il s’ensuit des drames, avec la mort ou des blessures pour un grand nombre de personnes, la destruction de biens essentiels. L’avenir paraît sombre, la situation actuelle ravive un climat de haine qui ruine la moindre confiance entre les acteurs, qui amplifie le cycle infernal des violences.
* La guerre en Ukraine conduit les pays européens à augmenter fortement leurs dépenses en armement. On ne peut reprocher aux responsables politiques de prendre les moyens d’assurer la défense des citoyens. Un manque de vigilance à l’égard d’emprises dominatrices peut avoir de graves conséquences. Nous avons été naïfs en baissant la garde face aux menées de la Russie pour profiter de ses ressources énergétiques. Nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles dépendances à l’égard d’autres pays, en vue de profits à court terme. La volonté démocratique et la promotion des droits humains peuvent se trouver contraintes par des puissances usant de leur pouvoir économique, pensons à nos multiples dépendances vis-à-vis de la Chine…
* Même si on ne peut imaginer des accords dans l’immédiat, il est important d’envisager un équilibre mondial reposant sur le respect du droit international et la recherche de relations justes, afin de permettre aux différents peuples d’avoir une vie convenable et des relations correctes avec les autres. Il vaut la peine de travailler sans tarder pour préparer un tel avenir à moyen terme.
* L’arrivée de migrants, souvent en raison de conflits ou de catastrophes, fait la une des journaux. Ce n’est point par plaisir que des hommes et des femmes, avec des enfants, prennent le risque de partir loin de leur pays. Selon l’UNICEF, entre juin et août de cette année, environ 1000 personnes migrantes, dont 300 enfants, sont mortes en Méditerranée. Elles partent en raison de conflits internes et de guerres, de situations politiques et économiques désastreuses, sans oublier les problèmes liés au dérèglement climatique ; autant de motifs qui ne leur permettent pas d’envisager un avenir dans leur pays. Les programmes d’aide à la gouvernance, mais aussi au développement social et économique, en mobilisant des compétences locales qui ne manquent pas, ne sont pas au rendez-vous. S’il est nécessaire de prévoir solidairement un accueil digne aux réfugiés et aux migrants, il importe surtout d’envisager des soutiens pour que ces personnes puissent faire des projets dans leur propre pays.
* Nous restons trop souvent prisonniers du court terme, en raison de peurs collectives et de discours populistes, sur fond de collusions dangereuses avec des pouvoirs autoritaires et de crispations sur nos intérêts immédiats. Il nous faut prendre collectivement les moyens de raisonner, afin d’organiser un développement humain dans le long terme. N’oublions pas de le rappeler à nos responsables politiques ; et, sans attendre, prenons notre part dans l’advenue d’un monde plus solidaire et fraternel.
2 – Un bien élémentaire : l’eau !
À l’échelle du monde, 2 milliards d’humains n’ont pas accès à l’eau potable, parce qu’elle est rare, mais aussi en raison de pollutions. Sur ce point également se jouent des rapports de force : des activités minières et industrielles se développent au détriment de l’accès à une eau saine pour les populations locales. Ou encore, l’eau disponible est utilisée pour des productions agricoles destinées à l’exportation, au détriment d’une agriculture nourricière et d’un accès à l’eau potable. Nous savons que la qualité de l’eau et que l’accès à des ressources limitées fait débat aussi chez nous. Or nous entretenons un rapport particulier à l’eau, elle constitue une part importante de notre corps ! La portée symbolique de l’eau se trouve liée à des enjeux techniques, économiques et politiques…
3 – Vulnérabilité, réflexions d’un théologien !
En conclusion d’un colloque, Alain THOMASSET jésuite, parle de vulnérabilité. Extraits :
La vulnérabilité fait partie de notre condition, « celle de la réalité humaine de notre finitude et de notre fragilité, dans la possibilité d’être blessé. Elle est en même temps une capacité de rester ouvert aux influences extérieures, aux autres, et aux changements possibles qui peuvent nous enrichir. Une « porosité » au mal mais aussi à la relation à l’autre pour le soin, l’amitié, la coopération. » « Les plus affectés par l’exclusion et le malheur nous apprennent que ce sont les relations qui nous font vivre, des relations qui appellent à l’existence, au-delà (ou en deçà) des relations de calcul. » « Si l’amour est commun à toutes nos relations vivifiantes, son fond d’être pourrait-on dire, alors aimer est vital. Or aimer est fragile et difficile. » « La moralité ne peut plus se penser en termes d’obéissance figée à une règle irréformable. Elle est prise dans l’histoire d’un sujet fragile, vulnérable c’est-à-dire ouvert à la relation à l’autre dans ce qui peut être négatif ou bien source de croissance. La vie morale est un chemin jamais achevé, toujours risqué, mais porté par un horizon d’espérance : Dieu n’abandonne jamais l’alliance qu’il a conclue avec son peuple et avec chacun de nous, il nous accompagne sur ce chemin. » Revue d’éthique et de théologie morale, août 2023, p. 159-163.
4 – Un message percutant du pape François sur l’écologie
Le 4 octobre, la fête de St François d’Assise a été marquée par la publication de l’Exhortation apostolique Laudate Deum. Voici quelques mots de présentation empruntés à l’intervention de Dominique COATANEA lors de la soirée intitulée « De l’éthos du déchet à la culture du soin ».
Un texte percutant publié 8 ans après l’encyclique Laudato si’ pour alerter sur les lenteurs dans les changements de modes de vie. Il y a urgence à changer de cap, le nier est un mensonge mortifère. Il nous faut sortir du paradigme technico-scientifique qui nous berce de l’illusion de toute-puissance.
Un message mobilisateur qui, à la manière de Laudato si’, s’adresse à un public très large pour nous mettre au défi de répondre à l’appel de la terre et des pauvres qui crient face aux prédations dont nous sommes les auteurs. Nous manquons de courage alors qu’il faut engager toutes les forces dans la co-construction d’un nouveau cadre porteur de mesures efficaces.
François ouvre une perspective d’avenir en proposant de comprendre l’humain comme intimement lié à tous les êtres qui peuplent l’univers. Il invite à s’engager sur un chemin de réconciliation avec le monde qui nous accueille afin de l’embellir par nos contributions. Ce qui suppose des changements culturels et des engagements durables.
DIÈSE reviendra sur ce message de François afin d’en présenter les grandes lignes.
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Qu’est-ce que le Comité épiscopal France – Amérique latine (CEFAL) et qui sont celles et ceux qui sont partis sous son égide comme « Fidei donum » ? Un livre publié récemment (Des allers sans retours ? Les prêtres français en Amérique latine, 1961-1984), s’intéresse à ce moment du catholicisme français au cours duquel l’Amérique latine a incarné un terrain d’action et de réflexion de première importance pour les chrétiens engagés[i].
L’ouvrage montre que le CEFAL est né en 1962 d’une volonté du pape Jean XXIII de répondre à l’appel d’évêques latino-américains désireux d’assurer un meilleur encadrement religieux, en particulier dans les espaces les plus déshérités (que l’on nommerait volontiers aujourd’hui les « périphéries ») comme les bidonvilles des mégapoles brésiliennes ou andines. Souvent formés par l’Action catholique spécialisée et en phase avec l’aggiornamento du concile Vatican II, les premiers prêtres qui traversent l’Atlantique avaient pour mission de transmettre des outils de pastorale dite « d’ensemble », fondés sur la notion de milieu social, éprouvés en Europe. Mais très rapidement, au contact des plus pauvres, ils se disent évangélisés et convertis par des hommes et des femmes à la foi concrète et brute qui bousculent leurs certitudes. Le livre montre des Fidei donum entre deux cultures et entre deux mondes : la France et l’Amérique latine, une Europe en voie de sécularisation et une Amérique en pleine effervescence autour d’évêques charismatiques comme Manuel Larraín au Chili, Hélder Câmara au Brésil ou Leonidas Proaño en Équateur. Très souvent, ils font le choix de suivre la voie tracée par le CELAM lors des conférences générales de Medellín (1968) puis de Puebla (1979). L’attelage Guy Riobé – Michel Quoist – François de l’Espinay qui dirige le CEFAL dans ses premières années érige alors le néocolonialisme en repoussoir et soutient les évêques qui leur semblent particulièrement ouverts à l’engagement pour la justice sociale et à la lutte contre l’oppression sous toutes ses formes.
Au sein du Comité se sont créées au fil des années une culture et une sociabilité particulières, qui s’apparentent moins à un esprit de corps qu’à une familiarité de « copains », soudés par une pratique du terrain, la conversion personnelle aux pauvres et l’amour pour un continent qu’ils ne veulent plus quitter. Grâce à cette diaspora, le CEFAL est devenu une bannière de ralliement au sein du tiers-mondisme chrétien. Parfois portés par une voix prophétique (comme celle de Guy Deroubaix à la tête du CEFAL dans les années 1980), ce sont principalement les laïcs et les religieuses, longtemps refusés dans le giron du Comité, qui ont finalement pris la relève du manque de vocations sacerdotales dès le début des années 1970.
D’un strict point de vue comptable, le CEFAL n’a pas rempli la finalité qui lui était assignée : l’encadrement religieux des populations d’Amérique latine n’a pas connu d’embellie au cours de ces deux décennies. Pourtant, le livre montre que la formation des jeunes et des adultes ou l’accompagnement des communautés ecclésiales de base (CEB) ont permis à des laïcs latino-américains de prendre leurs responsabilités, voire de se passer de la présence du clergé étranger. N’était-ce pas la finalité ultime des membres du Comité : faire accéder à une certaine maturité de conscience et d’engagement un catholicisme latino-américain trop dépendant de l’extérieur ?
Avec Dial et toute une nébuleuse de revues et de mouvements, le CEFAL a porté sur son dos l’utopie latino-américaine des catholiques de gauche en France. Il en a subi la marginalisation. Mais il a fourni pendant deux décennies une place de choix à celles et ceux qui, dans l’Église, étaient désireux de connaître l’Amérique latine et qui à leur tour en ont répercuté les réalités au sein de réseaux amicaux et associatifs, souvent en lien avec la théologie de la libération.
Le CEFAL a cessé d’exister en tant que comité épiscopal depuis quelques années. Le CEFAL comme association s’est efforcé de sauver un capital d’expériences et un maillage de présence religieuse en Amérique latine qui se perdent, faute de forces vives. Il repose sur une poignée de bénévoles, laïcs retraités, prêtres encore en activité, ex-Fidei donum mariés. Le sauvetage puis le tri des archives du Comité ont été le principal fruit de cette lutte contre l’oubli et l’indifférence. Le livre qui vient d’être publié doit beaucoup à ce souci de la transmission.
[i] Olivier Chatelan, Des allers sans retours ? Les prêtres français en Amérique latine 1961-1984, laboratoire LARHRA, collection Chrétiens et Sociétés, Documents et Mémoires n°48, 2023