Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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A l’occasion de la journée mondiale des droits de l’homme le 10 décembre 2021, la conférence européenne des commissions Justice et Paix (Justice & Peace Europe) souhaite partager quelques réflexions au sujet de la liberté de mouvement.

Il y a vingt ans déjà, Marcel GAUCHET1 nous avertissait que la démocratie, ayant vaincu ses ennemis extérieurs, était désormais confrontée à son plus redoutable défi : elle-même. En effet, les flux migratoires dans la foulée de ce qui a été appelé le Printemps arabe, particulièrement ces dernières semaines aux frontières de l’Europe, les tensions du Brexit et deux ans de pandémie montrent que l’exercice de certains droits fondamentaux peut en mettre d’autres à mal.

Il en est ainsi de la liberté de mouvement. Garanti par l’article 2 du 4ième protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, par l’article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que par l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme depuis 1948, ce droit fondamental est également un élément majeur de l’enseignement social catholique, souligné dans la lettre encyclique Pacem in terris de 1963.

Depuis plusieurs années néanmoins, cette liberté est fréquemment rognée au motif de la protection de la sécurité humaine ou à cause de tensions et choix politiques. Le principe de liberté de circulation et de choix du lieu de travail,  d’étude ou de vie pour les citoyens européens s’est dégradé à la suite du Brexit. Usant du contexte de guerre contre la terreur, ou parfois au grès de ses humeurs, Donald Trump a déclaré certains groupes de personnes non-grata sur le territoire américain. Toutefois, au-delà des États-Unis, toutes les démocraties occidentales ont bâti des murs meurtriers à leurs frontières en violation de leur signature
de la convention sur les réfugiés de 1951, et notamment de son article 33 sur le non-refoulement. Et ce, depuis plus 20 ans. Plus récemment, il en va également, au nom de la santé publique, des mesures drastiques prises par de nombreux gouvernements pour tenter d’endiguer la propagation du SARSCoV…

Télécharger le document entier (PDF)211210 Declaration on Human Rights Day FR

[…]
Il nous semble donc essentiel de réévaluer posément l’articulation entre l’ensemble de nos droits, y compris ceux d’émigrer et d’immigrer. Il est tout aussi important de le faire de façon concertée, responsable, dans des espaces de débat contradictoires respectueux. Rien ne sert d’opposer de façon stérile un droit à un autre. Par contraste, les poser en contexte et réfléchir à leurs articulations peut
nous aider à faire émerger de nouveau une hiérarchie de normes partagée que nous avons peut-être oubliée. Nos droits sont fragiles et complexes et nous devons les tisser ensemble : rappelons-nous en particulier que si la vie mérite assurément une protection, la liberté de mouvement vise parfois à la protéger.

Le Comité exécutif de Justice et Paix Europe.

«Des personnes et des vies humaines sont en jeu !» C’est un véritable cri que le pape François a lancé depuis le camp de réfugiés de Lesbos, au quatrième jour de son voyage à Chypre et en Grèce, rappelant que « le repli sur soi et les nationalismes – comme l’histoire nous l’enseigne – mènent à des conséquences désastreuses ». Parce que la question migratoire est un enjeu d’humanité et ne doit pas être instrumentalisée dans la campagne présidentielle, La Vie et la communauté Sant’Egidio s’associent avec 60 personnalités et ONG pour lancer un appel commun aux candidats : cessons d’opposer sécurité et solidarité !

«Le ou la futur(e) président(e) de la République aura à répondre, durant les cinq prochaines années, à plusieurs défis globaux, parmi lesquels la question migratoire. La polarisation extrême de la campagne électorale actuelle, réduisant les migrations à une menace, augure mal de l’avenir. La peur est mauvaise conseillère. L’entreprise de déshumanisation des migrants atteint un paroxysme, allant jusqu’à leur instrumentalisation dans le cadre de rapports de force internationaux aussi bien qu’au service d’intérêts privés malveillants.

Lucidité

Le trafic des passeurs ou les pratiques de certains États exploitant sans vergogne, au prix de nombreuses vies, les flux migratoires doivent être dénoncés et affrontés. Mais ce combat est perdu d’avance s’il est mené avec les mêmes armes déshumanisantes et si l’on continue à présenter les migrants comme un danger pour nos sociétés, nos modes de vie, nos économies.

«Si on te demande “Qui es-tu ?”, tu peux répondre “Je suis ton frère”» : à Chypre, la rencontre du pape avec des migrants

Nous appelons les gouvernants à la lucidité. Le refoulement des migrants aux frontières de l’Europe, comme on peut le constater notamment entre la Biélorussie et la Pologne, est contraire aux règles internationales dont nous nous sommes dotés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; en outre, il n’arrête en rien les passeurs mais justifie en quelque sorte leurs pratiques en les reproduisant. Le confinement de l’Europe derrière un nouveau rideau de fer, de barrières juridiques et de surveillance policière est contraire aux valeurs, mais aussi aux intérêts de notre continent vieillissant, dont les besoins considérables en main-d’œuvre dans les prochaines années sont scientifiquement établis.

À Calais, la France expérimente chaque jour les effets délétères de « l’externalisation » de la gestion migratoire qu’elle subit de la part de la Grande-Bretagne, mais qu’elle impose elle-même, avec toute l’Europe, aux pays d’entrée que sont l’Espagne, l’Italie et la Grèce (en raison du règlement de Dublin). Cette externalisation affaiblit gravement l’Union dans sa solidarité interne comme dans l’équilibre de ses relations avec les pays tiers.

Courage

Comment sortir de l’impuissance et de la déshumanisation ? Nous appelons les gouvernants au courage. Les camps comme celui établi sur l’île grecque de Lesbos, les barbelés des forêts de Biélorussie ou de Bosnie, ne sauraient être le seul visage de l’Europe pour les « damnés de la terre » qui se tournent vers nous avec espérance. Seule une intégration rapide et active dans nos sociétés de cette jeunesse venue d’ailleurs, afghane, syrienne ou africaine, peut être un gage de croissance et de sécurité pour tous : une telle ambition ne peut être repoussée par calculs électoraux. Pour le dire avec les mots du pape François, « le vrai courage est le courage de la compassion ».

De nombreux citoyens se sont mobilisés à travers l’initiative des couloirs humanitaires lancés par Sant’Egidio et des partenaires œcuméniques en 2015, vers l’Italie puis la France et d’autres pays européens. Grâce à cette initiative, 5000 réfugiés ont déjà pu échapper aux passeurs et trouver un accueil et un accompagnement vers l’intégration. Il existe, dans nos sociétés européennes, une réserve d’humanité mobilisable, soucieuse d’exprimer sa solidarité concrète et qui n’a pas peur.

Mémoire

La peur n’a pas toujours oblitéré l’agir politique, si l’on veut bien se souvenir de la grande mobilisation de la fin des années 1970 lorsque la France accueillit, en pleine période de crise économique, près de 130 000 boat people vietnamiens et cambodgiens. Nous en appelons donc aussi à la mémoire. La paresse intellectuelle, le manque de courage, l’oubli de nos valeurs humanistes sont la véritable menace qui pèse sur l’avenir de notre pays.

Nous demandons à celui ou à celle qui veut gouverner la France une décision de mobilisation du meilleur de notre société au service d’une vision d’intégration et de paix. Il en va de la survie de notre démocratie, menacée par la culture des murs, du suspect et de la défiance. La France a besoin de retrouver courage et confiance.»

 

Valérie Régnier, présidente de Sant’Egidio France, avec Véronique Albanel, présidente de JRS France. Sofia Aouine, écrivain. Guy Aurenche, avocat honoraire, président d’honneur de la fédération internationale de l’Acat. Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille. Bertrand Badie, politologue, spécialiste des relations internationales. Yoann Barbereau, écrivain. Monique Baujard, présidente de l’association des Amis de La Vie. Jean-François Bayart, professeur à l’lheid (Genève). Nathalie Becquart, xavière, sous-secrétaire du Secrétariat général du Synode des évêques. Brigitte Benkemoun, écrivaine et journaliste. Karima Berger, écrivaine. Dominique Bourg, philosophe. Gaël Brustier, politologue et essayiste. Régis Burnet, professeur de Nouveau Testament à l’Université catholique de Louvain. Noëlle Châtelet, écrivaine. Catherine Clément, philosophe. Michel Cool, essayiste, journaliste. Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon. Philippe Demeestère, prêtre jésuite, aumônier du Secours catholique à Calais. Véronique Devise, présidente du Secours catholique. Cécile Duflot, ancienne ministre. Roselyne Dupont-Roc, bibliste, retraitée du Theologicum de l’Institut catholique de Paris. Emmanuel Dupuy, président de l’institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Jean-Dominique Durand, professeur émérite d’histoire contemporaine. Sébastien Fath, historien, chercheur au CNRS. Véronique Fayet, présidente d’honneur du Secours catholique. Sylvain Fort, conseiller politique. Sylvie Germain, écrivaine. Samuel Grzybowski, cofondateur de Coexister, porte-parole de Primaire populaire. Antoine Guggenheim, curé de la paroisse Notre-Dame-d’Espérance (Paris). Jean-Claude Guillebaud, journaliste, écrivain, essayiste. Chems-Eddine Hafiz, recteur de la grande mosquée de Paris. Colette Hamza, xavière, directrice de l’ISTR de Marseille. Pierre Henry, président de France Fraternités. Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS. Jean-Michel Hirt, écrivain, psychanalyste, professeur des universités. Alexis Jenni, écrivain. Marie-Hélène Lafage, cofondatrice du café Le Simone. Marc Lienard, doyen honoraire de la faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg. François Mandil, militant écologiste. Pierre de Mareuil, aumônier aux aéroports pour la Fédération protestante de France. Christian Mellon, jésuite, membre du Ceras, Saint-Denis. Jean-Luc Mouton, directeur de l’hebdomadaire Réforme. Marion Muller-Colard, écrivaine et théologienne. Élisabeth Parmetier, théologienne, professeure des universités. Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, président d’Esprit civique. Benjamin Pouzin, du groupe de musique Glorious. Dominique Quinio, présidente des Semaines sociales de France. Cécile Renouard, religieuse de l’Assomption, présidente du Campus de la transition. Malik Salemkour, président de La Ligue des droits de l’Homme (LDH). Jean-Louis Schlegel, ancien directeur de la rédaction d’Esprit, sociologue des religions. Benoist de Sinety, prêtre catholique, curé de la paroisse Saint-Eubert (Lille). François Soulage, ancien président du collectif Alerte. Benjamin Stora, historien, ancien président du Musée national de l’histoire de l’immigration. Jacques Tassin, écologue et écrivain. Estelle Villeneuve, archéologue. Anne Waeles et Foucauld Giuliani, auteurs de la Communion qui vient. Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS. Jean-Paul Willaime, directeur d’études émérite à l’EPHE (PSL). Louis Witter, photojournaliste à Calais. Valentine Zuber, historienne.

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25 novembre 2021

7 femmes. 17 hommes. 3 jeunes «pouvant être des adolescents» : 2 garçons et 1 fille.

27 vies.

27 vies noyées dans le désespoir et l’horreur.
27 vies arrachées à leurs familles, atomisées par la tragédie.

Alors que les morts s’entassent sur la plage, la nausée nous envahit. Elle retourne nos tripes.

La nausée. Celle-là même qui, ce matin, lorsque le Ministre Darmanin tapait sur les passeurs, annonçait un arsenal de renforts et présentait ses condoléances «aux proches des victimes», révélait de façon certaine la manipulation effroyable : le drame, c’est précisément lui et le gouvernement d’Emmanuel Macron qui l’orchestrent. Jour après jour, sciemment. Ce sont eux qui militarisent à tout va, ce sont eux qui harcèlent les Solidaires et brutalisent les exilé·e·s, ce sont eux qui lacèrent les tentes, eux qui chassent, séparent, violentent, laissent croupir des femmes, des hommes, des bébés, des vieillards, des adolescents dans le froid, la boue et la misère la plus ignoble.

Ce sont eux qui créent le système qui permet aux passeurs d’exister.

Ce sont eux qui entretiennent à l’égard des exilé·e·s, le vocabulaire de la haine.

Ce matin, notre pays des droits humains s’est réveillé le visage inondé de larmes et de colère aussi : car plus personne n’est dupe.

Ce qui a tué hier soir, c’est l’inhumanité des puissants. Leur cynisme dégoutant. Leur rejet. Leur électoralisme. Le business as usual de l’extrême-droite, récupéré par ces sombres sires simplement désireux de se faire réélire.

Hier soir, pourtant, comme tous les soirs : des associations, des ONG de terrain, des bénévoles, des citoyens et des citoyennes solidaires étaient à pied d’œuvre. Au bord de l’eau sur les côtes de la Manche, dans les dunes, dans les rues de Calais, Dunkerque, Ouistreham, dans les villes, partout, d’un bout à l’autre de France, de la frontière franco-espagnole au pays basque jusqu’aux sommets des montagnes de la frontière franco-italienne : hier soir, oui, beaucoup tentaient de réchauffer les exilé·e·s. Beaucoup tentaient malgré tous les bâtons mis dans leurs roues, de prendre soin, de panser, de nourrir autant que possible, d’essuyer les larmes.

Hier soir, comme depuis tant de soirs, tant de jours, de semaines, de mois et d’années, ces citoyennes et ces citoyens alertaient, suppliant les dirigeants d’agir, par humanité. Juste par humanité.

Et hier soir, comme tous les autres soirs, ces mêmes dirigeants – technocrates de ministères et autres pontes de cabinets ministériels, ont fait la sourde oreille.

Pendant qu’ils ignoraient les appels à l’aide, la mort a frappé.

Ma rage, aujourd’hui, égale ma tristesse.

Le drame d’hier soir aurait pu être évité.
D’autres surviendront encore si rien ne change.
Et je vous le dis, lorsque ces autres drames surviendront, ces dirigeants-là feront encore semblant de pleurer.

Je refuse d’être complice. Si mes larmes, nos larmes, aujourd’hui noient douloureusement notre âme, nous sommes là pour hurler notre peine et dire, encore et encore, que OUI les solutions existent :

  • Cesser de nourrir le rejet, de jouer avec les peurs et les mots de haine.
  • Cesser les violences et la militarisation.
  • Respecter les droits humains, et les textes fondateurs de notre société humaine.
  • Mettre fin à la directive de Dublin.
  • Instaurer des voies légales de migration vers le Royaume-Uni : cette décision démantèlera de fait les réseaux de passeurs.
  • Accueillir dignement les êtres humains qui sont là, qui arrivent, qui arriveront encore pour sauver leur vie et parce qu’ils n’auront eu aucun autre choix.
  • Soutenir la solidarité.

La nuit dernière, c’est leur cynisme qui a tué.
La nuit dernière, les corps de leurs victimes flottaient à la surface de leur inhumanité.