Un chrétien sur 7 exposé à de fortes persécutions et discriminations dans le monde

Deux rapports annuels sur la liberté religieuse dans le monde, l’un de l’Aide à l’Église en détresse (AED), catholique, et l’autre de l’ONG « Portes Ouvertes », protestante, lancent un même cri d’alarme. Les deux organismes insistent sur la situation particulièrement dramatique des chrétiens (360 millions persécutés et discriminés) et, plus largement, sur le non-respect de la liberté religieuse dans de trop nombreux pays. En recevant le 10 octobre dernier une délégation de l’AED, le pape Léon XIV insistait précisément sur le droit à la liberté religieuse, un droit « essentiel et non facultatif », « pierre angulaire de toute société juste, car elle préserve l’espace moral dans lequel la conscience peut se former et s’exercer. » Et le pape exhortait la famille chrétienne « à ne pas abandonner nos frères et sœurs persécutés. »

 

Parlez-nous de l’action de Portes Ouvertes.
C’est une ONG internationale de défense des droits de l’homme, d’origine protestante, fondée en 1955 par un Hollandais, qui se faisait appeler frère André ; il avait réussi à se faire inviter à un congrès communiste pour la jeunesse à Varsovie, il en a profité pour rencontrer des chrétiens, visiter des églises ; il a découvert la réalité des persécutions de l’autre côté du rideau de fer, et notamment les restrictions pour l’accès à la Bible. Il a commencé à faire de la contrebande de bibles. Ce fut la mission première de Portes Ouvertes. Au fil des années, on a étoffé notre mission par des actions humanitaires qu’on a commencées dans les années 1990, notamment en Afrique subsaharienne ; aujourd’hui nous sommes actifs dans plus de 70 pays. Nous y menons des projets, avec les populations locales, pour soutenir les chrétiens persécutés : microcrédits, cours d’alphabétisation, formations professionnelles, hôpitaux de brousse, écoles, soins post-traumatiques pour ceux qui sont passés par des persécutions très violentes. On fait aussi toujours la livraison de bibles aux chrétiens qui en sont privés. On propose également des formations juridiques pour que les chrétiens puissent se défendre par eux-mêmes, par exemple en Inde où des États ont adopté des lois anti-conversion alors que la constitution défend la liberté religieuse.

Dans les pays où la liberté religieuse est respectée, nous informons, encourageons les chrétiens à prier, nous lançons des pétitions, des actions de sensibilisation et faisons de la levée de fonds pour financer les projets, car nous sommes uniquement financés par des dons de particuliers. Cela nous permet d’aider un peu plus de 9,5 millions de chrétiens persécutés : une goutte dans l’océan !

Et vous publiez chaque année un index sur l’état des persécutions dans le monde.
C’était d’abord un travail interne pour connaître la réalité, pour prioriser notre aide. À sa création en 1993, c’était juste interne. Cet index est devenu public en 1997, on a compris que cela nous aidait à mieux informer sur la persécution des chrétiens dans le monde ; on a affiné la méthodologie, pour avoir un document solide et de référence. 4 000 personnes participent à ce travail.

La définition de la persécution, c’est toute hostilité à l’égard des individus, des communautés, liée à leur identification au christianisme ; on prend en compte les actes de violence mais aussi les répercussions dans la vie des personnes, qui sont de l’ordre de l’oppression, de la discrimination, au niveau de leur vie familiale, communautaire (école, emploi, accès à l’eau…), civique, ecclésiale mais aussi de leur vie privée, le 5e domaine pris en compte.

Ne devez-vous pas parfois distinguer entre des raisons religieuses et des raisons sociales (conflits entre éleveurs et agriculteurs au Nigeria par exemple) ou ethniques ?
On ne comptabilise pas comme persécutés les chrétiens qui subissent des violences comme leurs compatriotes, parce qu’ils se trouvent là avec eux au mauvais moment. Ainsi des chrétiens ont été tués en Afghanistan parce qu’ils faisaient partie d’une ethnie particulière en conflit avec les talibans.

La persécution des chrétiens se base souvent sur des préjugés et non sur de réelles questions doctrinales, parce qu’ils sont considérés comme opposants au régime en Chine, sionistes en Iran, opposés au trafic de drogue en Amérique latine. Ils sont alors vus comme des contre-pouvoirs.

Votre index 2025 indique que 380 millions de chrétiens sont persécutés et discriminés. Vous montrez que ces persécutions sont souvent liées à la situation troublée que connaissent beaucoup de pays.
Là où il n’y a plus d’État, les persécuteurs en profitent. C’est un des changements majeurs constatés cette année, par exemple au Yémen, par les Houthis et des groupes extrémistes ; au Soudan où les persécutions anti-chrétiennes viennent des deux camps en conflit ; au Myanmar, déchiré entre la junte et différents groupes ethniques, où les églises sont bombardées par l’armée, parfois le dimanche matin. Au Bangladesh, en août 2024, beaucoup d’exactions ont été menées contre les minorités chrétiennes et hindoues.

Vous pointez l’Afrique et l’Asie centrale, comme des lieux où augmentent ces persécutions.
Il y a un raidissement autoritaire en Asie centrale contre les Églises, une persécution qui vient de l’État : en Ouzbékistan, dans le sud du Kazakhstan, au Kirghizstan. Et l’Afrique subsaharienne est le nouvel épicentre de la violence contre les chrétiens. Avant, c’était la Syrie ; depuis 2015, on est passé au Nigeria. De nombreux groupes liés, soit à l’État Islamique, soit à Al-Qaida, se sont repliés dans ces pays : RDC, Somalie, Mali …

Dans les questions qui vous sont posées sur votre site, on lit des remarques sur la manière dont certains chrétiens, protestants notamment, dans leur manière d’être missionnaires peuvent apparaître plus provocateurs aux yeux des autorités. Qu’en pensez-vous ?
Cela dépend des pays ; au Nigeria, catholiques, protestants, évangéliques, pour un groupe extrémiste, ça ne fait pas de différence. Il y a des pays où ce fut d’abord l’Église catholique qui a été persécutée pour ses engagements sociaux comme au Nicaragua ; en Algérie, c’est l’Église protestante qui est dans le collimateur des autorités.

Le sujet numéro un qui entraîne la persécution, c’est la conversion. Les plus persécutés sont les convertis qui vont quitter la religion de leur famille, de leur clan, de leur pays. Et, effectivement, les chrétiens qui vont être actifs dans le partage de leur foi sont plus persécutés que ceux qui vont être discrets et vont cacher leur foi.

Nous devons nous rappeler qu’il s’agit là de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : article 18 sur la liberté de religion, la liberté de changer de religion, d’exprimer sa religion en privé comme en public, collectivement ou individuellement, et article 19 sur la liberté d’opinion et d’expression.

Le partage de la foi, s’il est fait sans violence, c’est un droit de l’homme fondamental. Et n’oublions pas que ce droit protège aussi ceux qui ne croient pas.

Est-ce que cela interroge ceux qui choisissent cette manière de partager leur foi, cette mise en danger de ceux qui se convertissent ?
L’Église persécutée nous interroge, nous chrétiens occidentaux, parce qu’on est tous amenés à se poser la question : comment réagirais-je, si cela m’arrivait ? Face à la persécution d’État, il y a trois types de chrétiens (et c’est transverse par rapport aux dénominations) : les têtes brûlées, qui vont aller en direct partager leur foi, au risque d’être condamnés ; il y a les malins qui vont respecter la loi et saisir toutes les opportunités. La troisième attitude, c’est la question du compromis : jusqu’où se plier aux exigences d’un pouvoir. C’était le cas en Union Soviétique, c’est le cas en Chine aujourd’hui. Il y a beaucoup de leçons à tirer de l’Église persécutée sur la capacité à être prêt à tout pour cette conviction que Jésus est fils de Dieu, à répondre par l’amour, à pardonner (nous en avons été témoins au Nigeria auprès de jeunes femmes qui ont subi des sévices innommables).

Pensez-vous que nous sommes suffisamment conscients de ces drames ? La liberté religieuse n’apparaît plus comme une liberté fondamentale, dans notre société marquée par une certaine indifférence religieuse.
Il y a eu une prise de conscience à cause de Daech en Irak et en Syrie. Mais le problème semble très associé au Moyen Orient, aux chrétiens d’Orient. Or, il s’agit d’un phénomène mondial qui touche un chrétien sur 7 dans le monde. Il faut se mobiliser davantage. Le droit de croire, de vivre en accord avec soi-même, est l’essence même de la dignité humaine. La métaphore est souvent utilisée : la liberté religieuse, c’est le canari dans la mine (celui qui avertissait du danger de coup de grisou). Quand la liberté religieuse arrête de chanter, tous les autres droits sont menacés.

Illustration : voir les détails de la  carte 2025 « Index Mondial de persécution des chrétiens »  © Portes Ouvertes

 

 

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Voir aussi le rapport alarmant de l’Aide à l’Église en Détresse (AED)