«Si vous tuez le Liban, vous mourrez vous aussi avec […]. Un monde sans le Liban serait invivable et impossible» Nizar Kabbani, poète syrien
« Nayla, ils ont bombardé le vieux souk de Nabatieh ! J’y avais naguère plein de souvenirs avec feu, mon père. Ils n’ont rien laissé. Nos maisons, nos villages, nos souvenirs. Tout est parti en fumée« . La voix de Farah, mon amie de confession chiite, se brisa une fois de plus. À l’instar de Farah, mon collègue Mazen me confirme que son village au Sud-Liban a été entièrement détruit par l’armée israélienne. La maison familiale n’est plus. Que répondre à Farah et à Mazen ainsi qu’à tant de Libanais comme eux ?
Ce soir encore, des bombardements de l’armée israélienne vont pleuvoir sur Dahieh. Rien ne sera épargné. Que peut-il bien rester de Dahieh, ce quartier de la banlieue sud de Beyrouth sinistré pendant la guerre de juillet 2006, connu pour être l’un des QG du Hezbollah mais aussi réputé pour sa densité d’habitants et ses nombreux petits commerces ?
Devant ce paysage apocalyptique qui se joue quotidiennement aux yeux d’un monde blasé et impuissant, tout le Liban est menacé dans tout son être et son essence. Loin de toute éthique et violant le droit humanitaire, l’armée israélienne détruit des structures hospitalières, des écoles, des lieux de culte sous prétexte de mener des opérations chirurgicales contre des combattants du Hezbollah qui s’y dissimuleraient. Qui pour vérifier cette version israélienne des faits ? Qui des États occidentaux et des pays arabes pour condamner ce qui constitue des crimes de guerre ? Personne.
S’il est de notoriété publique que le pays du Cèdre se porte au plus mal, qu’il est politiquement, économiquement, financièrement, socialement, structurellement agonisant, cette guerre – que les libanais n’ont majoritairement pas décidé – a fini par l’achever.
Au-delà des divisions politiques ô combien profondes entre Libanais, il y a un énorme sentiment d’impuissance, de lassitude, de rage, de tristesse et surtout de refus de cette tristement célèbre résilience libanaise qui règne.
Dans ce qui semble se confirmer comme étant une étape du fameux plan Kissinger, de ce découpage hideux du « nouveau Moyen Orient » décidé pour nous par les différentes administrations américaines de ces dernières décennies, de cette guerre Iran-Israël par proxy interposés, de cet Iran qui cherche à négocier aux dépens d’un Liban faible et sacrifié sur l’autel des velléités régionales, mon pays et mon peuple sont abandonnés à leur triste sort.
Ne nous y trompons pas. C’est tout le Liban qui est visé. Les bombardements qui ont lieu dans les villes majoritairement maronites comme Jounieh et Batroun en sont la preuve manifeste et, ce soir, de graves menaces pèsent sur Beyrouth, capitale cosmopolite de ce Liban, multiséculaire et multiconfessionnelle, où les différentes communautés religieuses se côtoient, se rencontrent, commercent entre elles et entrent également en dissidence.
À quoi cela sert-il de déplorer un million et demi de déplacés, soit 40 % de la population libanaise sur un territoire dont la superficie est celle d’un département français, les 3 000 morts, les milliers de blessés, l’utilisation d’armes chimiques prohibées comme le phosphore blanc, les destructions massives d’infrastructures, si la machine de guerre n’a aucune intention de cesser, refuse la trêve et que l’objectif affiché du gouvernement de Benjamin Netanyahou est de faire du Liban un second Gaza ?
À l’instar de mes compatriotes, toutes confessions confondues, je suis sidérée d’entendre des politiciens israéliens prétendre que cette guerre ne serait pas menée contre les Libanais mais uniquement contre le Hezbollah. Comment peut-on être dupe, notamment lorsque l’on sait pertinemment que toutes les régions du Liban sont des cibles potentielles, que des villages du Sud-Liban sont militairement occupés par une armée israélienne qui n’hésite pas à brandir le drapeau de son pays, qu’une guerre psychologique est menée par la violation systématique de l’espace aérien libanais et contre tous les Libanais conscients d’être sur écoute téléphonique. Comment ne pas y voir une guerre aux objectifs disproportionnés visant à monter les communautés les unes contre les autres, pour les pousser à la guerre civile.
Contrairement à ce qui est relayé par une certaine presse, les Libanais – bien que politiquement extrêmement divisés entre eux – ne veulent pas s’armer les uns contre les autres. Le temps n’est pas à la discorde ! Mais il est avant tout à l’aide humanitaire, aide qui peine à arriver, et au soutien qu’il nous faut garder au sein de cette grande famille libanaise, condamnée à rester unie malgré la désunion.
Cette guerre inutile ne pourra pas s’éterniser. Personne n’est en mesure de savoir quand cesseront les combats, mais les Libanais sont déjà dans le jour d’après. Malgré les bombes qui pleuvent, les silences assourdissants, l’odeur du sang qui n’a pas séché, les Libanais ont conscience qu’ils vont devoir sérieusement repenser leur pays, sa charte, sa constitution, ses institutions, faire respecter les résolutions 1701 et 1559 par tous, édifier un véritable État où il ne sera question que d’une seule allégeance : au Liban, seul !
Récitant le chapelet quotidiennement depuis quelques semaines, mon amie maronite Anne-Marie a raison de rappeler les paroles prophétiques de Jean-Paul II : « Le Liban est un pays message » et de s’armer de la prière. « Ce pays, cité plusieurs fois dans la Bible, ne peut pas être oublié par Dieu ». Cette affirmation est une confession de foi. Qu’à cela ne tienne, le Liban, qu’on dit mort, à terre, pulvérisé, renaîtra de ses cendres, comme le Phénix, il renaîtra. Tant qu’il aura ses ailes !