Déclaration du Conseil de l’Académie Pontificale des Sciences

Etat du Vatican, 8 avril 2022

Traduction libre. Voir le texte original

Prévenir la guerre nucléaire et la guerre contre les populations civiles: une tâche qui intéresse les scientifiques

L’humanité est à nouveau confrontée à une grave menace, découlant des conflits armés et de la guerre intense que la Russie a infligée à l’Ukraine. La possibilité d’une guerre nucléaire a été évoquée par les agresseurs.

Le pape François a fait part de ses préoccupations au sujet de cette guerre « terrible, inhumaine, sacrilège et insensée » qui pourrait potentiellement s’intensifier au-delà du terrible niveau qu’elle a déjà atteint et poser des risques nucléaires[1].

Il existe un danger croissant que de nombreux autres pays et groupes terroristes puissent acquérir des armes nucléaires ou développer la capacité de les produire. Les risques les plus critiques concernent notamment :

– les destructions intentionnelles ou non intentionnelles de centrales nucléaires ayant de graves conséquences pour de nombreuses populations,

– la fuite non contrôlée de déchets nucléaires pouvant être utilisés pour des bombes dites sales,

– l’utilisation potentielle d’armes nucléaires dites tactiques sur les champs de bataille, par exemple en Ukraine,

– le fait de maintenir les armes nucléaires en état d’alerte élevée, qui pourrait accroître la probabilité qu’une arme nucléaire soit lancée accidentellement ou par la suite d’une cyber-manipulation,

– l’utilisation d’armes nucléaires puissantes et d’autres armes au-delà du territoire de l’Ukraine en cas d’escalade de la guerre.

L’Académie pontificale des sciences a abordé de manière exhaustive le risque de guerre nucléaire, par exemple avec une importante « DÉCLARATION SUR LA PRÉVENTION DE LA GUERRE NUCLÉAIRE » par une assemblée des présidents des académies scientifiques et d’autres scientifiques du monde entier, convoquée par l’Académie Pontificale des Sciences les 23 et 24 septembre 1982. Cette note reprend des éléments de cette déclaration qui est soudain redevenue d’actualité[2]. Et pourtant, le monde a bien changé et la situation s’est détériorée de diverses manières.

La défiance et la suspicion entre les nations se sont accrues. Il y a une rupture du dialogue sérieux entre les nations de l’Est et de l’Ouest et entre le Nord et le Sud et, en particulier, entre les nations les plus grandes et les plus puissantes que sont les États-Unis, la Chine, l’UE et la Russie.

De graves inégalités entre les nations et au sein des nations, des ambitions nationales ou partisanes à courte vue et la soif de pouvoir sont les germes de conflits qui peuvent conduire à une guerre générale et nucléaire.

Le scandale de la pauvreté, de la faim et de la dégradation de l’environnement devient en soi une menace croissante pour la paix. La pollution nucléaire des terres agricoles empêcherait l’agriculture pour longtemps. Déjà, les entraves à l’agriculture en Ukraine et au commerce alimentaire en provenance de l’Ukraine et de la Russie exacerbent la crise alimentaire mondiale parce que d’abondantes quantités d’aliments de base y étaient produites pour le monde.

Reconnaissant les droits naturels des humains à survivre, à vivre dans la dignité et à aspirer au bonheur, la science doit être utilisée pour aider l’humanité à trouver une vie florissante, épanouie et en paix.

Non seulement les potentialités des armes nucléaires, mais aussi celles des armes chimiques, biologiques et même conventionnelles se développent par l’accumulation régulière de nouvelles connaissances, y compris la robotique et l’intelligence artificielle[3], ainsi que de missiles hypersoniques avancés conçus pour échapper aux systèmes de défense existants.

Ce nouveau scénario implique une grave perte d’humanité et de liberté, ainsi qu’une vulnérabilité accrue, non seulement des individus, en particulier des non-belligérants, parmi lesquels les enfants, les femmes, les personnes âgées et les malades qui sont victimes indiscriminées de la terreur, ou forcés de migrer, mais de l’humanité toute entière et de toute la planète.

Il est clair que les guerres non nucléaires, aussi horribles soient-elles déjà, sont également devenues plus destructrices. La sagesse humaine, cependant, reste relativement limitée, en contraste dramatique avec la croissance apparemment inexorable du pouvoir destructeur.

En particulier, la conscience humaine ne peut pas comprendre la négativité ontologique, morale et humaine d’essayer de justifier l’utilisation de tels pouvoirs destructeurs qui sèment partout la mort pour « civiliser » et « moraliser » ou tout simplement occuper.

Il est du devoir des scientifiques de s’exprimer et de contribuer à prévenir l’usage pervers de leurs réalisations et de souligner que l’avenir de l’humanité dépend de l’acceptation par toutes les nations de principes moraux transcendant toutes les autres considérations. La recherche et la science sur le dépassement et la prévention des guerres, ainsi que la science de la promotion de la paix – et pas seulement l’absence de guerres – doivent être au cœur de toutes les disciplines scientifiques.

La catastrophe de la guerre nucléaire et l’escalade des guerres conventionnelles qui n’épargnent même pas les populations civiles peuvent et doivent être évitées. Les dirigeants et les gouvernements ont une grande responsabilité. Mais c’est l’humanité toute entière qui doit agir pour sa survie.

Reconnaissant que l’utilisation de forces conventionnelles excessives et la prolifération des armes nucléaires accroissent la méfiance entre les nations et pourraient conduire à une confrontation avec le risque de guerre nucléaire, et guidés par la conviction que les êtres humains devraient résoudre tous les différends et les conflits territoriaux par le raisonnement, le dialogue, le droit international, la négociation, l’arbitrage et d’autres moyens pacifiques, nous appelons toutes les nations à :

  • Respecter le principe selon lequel la force ou la menace de force ne sera pas utilisée contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État.
  • Prévenir le recours à la force comme méthode de règlement des conflits internationaux, car elle comporte le risque d’escalade des affrontements militaires, y compris le recours à la guerre nucléaire, chimique et biologique.
  • Fournir un abri et une protection aux millions de réfugiés de toutes les parties du monde fuyant les guerres et les persécutions.
  • Prévenir la prolifération des armes nucléaires dans d’autres pays, ce qui augmenterait considérablement le risque de guerre nucléaire et pourrait mener au terrorisme nucléaire.
  • Ne jamais être le premier à utiliser des armes nucléaires, et renouveler et accroître les efforts pour conclure des accords vérifiables pour freiner la course aux armements et réduire le nombre d’armes nucléaires et de systèmes de livraison. Ces accords devraient être surveillés au moyen de technologies de pointe.
  • Trouver des moyens plus efficaces de prévenir la prolifération des armes nucléaires. Les puissances nucléaires ont l’obligation particulière de donner l’exemple en matière de réduction des armements et de créer un climat propice à la non-prolifération.
  • Empêcher les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire d’être détournées vers la prolifération des armes nucléaires.
  • Prendre toutes les mesures pratiques qui réduisent la possibilité d’une guerre nucléaire par accident, erreur de calcul ou action irrationnelle.
  • Continuer à observer les accords de limitation des armements existants tout en cherchant à négocier des accords plus larges et plus effectifs. Notre objectif doit être de construire un système de sécurité collective où les armes nucléaires n’ont plus leur place.

Nous en appelons :

  1. aux dirigeants nationaux, de prendre l’initiative de mettre fin immédiatement à la guerre en Ukraine et d’initier une résolution pacifique du conflit ; tout d’abord, en cherchant des mesures pour inverser l’escalade de la guerre, regarder au-delà des préoccupations étroites de l’avantage national ; et en évitant les conflits militaires comme moyen de résoudre les différends.
  2. aux scientifiques, d’utiliser leur créativité pour l’amélioration de la vie humaine, et d’appliquer leur ingéniosité à explorer les façons d’éviter la guerre et de développer des méthodes pratiques de contrôle des armements, en particulier des armes nucléaires.
  3. aux responsables religieux et aux autres gardiens des principes moraux, de continuer à souligner avec force et insistance les graves questions humaines en jeu, afin qu’elles soient pleinement comprises et appréciées par la société. En particulier, tendre la main les uns aux autres dans les diverses communautés chrétiennes et dans toutes les autres communautés religieuses pour s’engager pour la paix avec leurs communautés respectives.
  4. aux peuples du monde entier, pour réaffirmer leur foi dans le destin de l’humanité, pour insister sur le fait qu’éviter la guerre est une responsabilité commune, pour combattre la croyance selon laquelle les guerres sont inévitables, et pour travailler sans relâche pour assurer l’avenir des générations à venir. Éviter les guerres et parvenir à une vraie paix exige non seulement les pouvoirs de l’intelligence, du savoir et de la science, mais aussi ceux de la bonne volonté animée par l’amour et la justice, les vertus éthiques, la morale, la responsabilité, les valeurs et les convictions.

Signataires

Joachim von Braun, Président de l’Académie Pontificale des Sciences
Mgr Marcelo Sánchez Sorondo
, Chancelier de l’Académie Pontificale des Sciences
Werner Arber
, Emeritus President for Life, Pontifical Academy of Sciences and Emeritus Professor of Molecular Microbiology, Biozentrum, University of Basel, Switzerland
Chen c.-J.
, PAS Council Member and Academician, Professor, Graduate Institute of Epidemiology, National Taiwan University College of Public Health
De Robertis E
., PAS Council Member and Academician, Norman Sprague Professor of Biological Chemistry, David Geffen School of Medicine, University of California Los Angeles, USA
Van Dishoeck E.
, PAS Council Member and Academician, Professor of Molecular Astrophysics, Leiden University, The Netherlands
Gianotti F.
, PAS Council Member and Academician, Director-General at CERN (European Organization for Nuclear Research), Switzerland
Hassan M.
, PAS Council Member and Academician, President of The World Academy of Sciences, Sudan
Ramanathan V.
, PAS Council Member and Academician, Distinguished Professor at Scripps Institution of Oceanography, University of California San Diego, USA, Climate Solutions Scholar, Cornell University, Ithaca, NY, USA
Singer, W.
, PAS Council Member and Academician, Founding Director of the Ernst Strüngmann Institute (ESI) for Neuroscience in Cooperation with Max Planck Society, Frankfurt, Germany

[1] « Face au danger de l’autodestruction, que l’humanité comprenne que le moment est venu d’abolir la guerre, de l’effacer de l’histoire humaine, avant qu’elle ne l’efface de l’histoire » (Pape François, Angelus, 27 mars 2022 et passim.
[2] https://www.pas.va/content/dam/casinapioiv/pas/pdf-volumi/documenta/documenta4pas.pdf
[3] https://www.pas.va/en/publications/scripta-varia/sv144_springer.html