Beyrouth 4 août 2020 : double explosion
« Beyrouth, elle est mille fois morte, mille fois revécue » Nadia Tueni, poétesse libanaise
Beyrouth, 4 août 2020 à 18h07. Des images et vidéos d’une double explosion font le tour des écrans de télévisions et des réseaux sociaux du monde entier. En quelques secondes, la capitale libanaise vit dans sa chair une des pages les plus funestes de son histoire. Pour la énième fois, une de trop ! Combien de fois les Libanais s’interrogeront-ils sur leur destin historique ? Combien d’entre eux vont-ils plier bagage ? Combien de fois parlera-t-on encore de résilience et du Phénix mythique qui renaît éternellement de ses cendres ?
Une semaine avant, je prenais l’avion pour Beyrouth. Peu m’importait la crise sanitaire liée au coronavirus : cet été 2020, j’irai au Liban ! Je savais mon pays rongé par tant et tant de crises – économique, sociale, financière, bancaire et sanitaire. Mais, aussi française, ayant choisi de vivre en France, je suis une privilégiée de la vie. Que demander de plus ? Soudain, une double explosion dévastatrice et meurtrière. Résidant à 3,5 km du port de Beyrouth, épicentre du drame, mes parents et moi échappions au pire. Indemnes et en vie. Je ne suis plus seulement une simple privilégiée mais une miraculée. Face à l’inqualifiable, le salut ne tient qu’à l’instinct de survie et à d’autres mécanismes qui se mettent en place : le besoin irrépressible de contacter les proches, répondre aux messages d’amis, constater les dégâts matériels dans la maison, penser aux réparations, mais surtout, aller au chevet de Beyrouth, éventrée et défigurée. Priorité à l’urgence humanitaire. Face au mutisme criminel de l’État libanais, la société civile se mobilise. Volontaires, bénévoles, ONG libanaises et étrangères, appuis internationaux volent au secours des Beyrouthins. Les drames ne se comptent plus : destruction de maisons traditionnelles et désolation humaine : morts, blessés, mutilés et endeuillés de la vie. L’enjeu pour le Liban est existentiel. La crise y est structurelle. Plusieurs fois millénaire, le pays est aujourd’hui un État failli, gouverné par une classe politique fossilisée, clanique, mafieuse et corrompue. Le clientélisme et le régime confessionnel ont bloqué l’émergence d’institutions fortes et viables. Système judiciaire défaillant, contrepouvoirs inexistants – la société est fortement polarisée entre des inféodés à un chef politique et ceux qui aspirent à un vrai changement. L’édification de l’État est hypothéquée par la présence d’une milice armée, usurpant le monopole de la violence étatique légitime.
Comment recréer, reconstruire et réenchanter la vie politique ? Face à la désagrégation de l’État, quelle serait une alternative viable à une Constitution datant de 1926 ?
Qu’est ce qui fédère les Libanais ? Face aux velléités de pays voisins puissants, comment assurer la neutralité du pays, convaincre ses fils de renoncer aux allégeances étrangères et transcender les clivages ? Formidable défi en soi que de réfléchir aux conditions de notre liberté et de notre dignité en tant que peuple. Plongée en pensées au cœur de l’enfer de Beyrouth et malgré mon retour culpabilisant en France, je ne cesse de méditer sur les mots du poète syrien Nizar Qabbani : la « révolution nait des entrailles de la tristesse ». Pourquoi cette révolution libanaise a-t-elle avortée ? Devant ce constat d’échec de révolution, je prends tristement conscience de ce qu’est une Patrie, de ce qu’est la foi aussi, celle qui surgit des profondeurs même de nos existences, quand tout espoir semble perdu. Paradoxalement, je fais le pari que le Liban vivra, que son existence n’est pas factice. La croix qui se lève marque la victoire sur le mal. L’explosion du 4 août 2020 doit signer la défaite du mal qui gangrène le Liban. « J’espère que malgré tout, tu garderas un bon souvenir du Liban », me martelait une amie libanaise, la voix brisée. Je réponds sans hésitation : « oui » !