Face à une « guerre mondiale par morceaux », refuser la résignation et l’indifférence
Depuis quelques années, le monde est entré dans une période d’instabilité et de tensions nouvelles.
Des guerres ont éclaté en Syrie, en Ukraine, en Libye, alors que d’anciens conflits non résolus continuaient d’alimenter la violence, comme en Palestine, en Afghanistan, dans le Caucase ou dans plusieurs régions africaines, notamment les Grands Lacs et la Corne de l’Afrique. Les situations d’affrontement armé, parfois d’une violence extrême comme en Syrie, en Irak, chassent de chez eux des millions de réfugiés, dont un grand nombre souhaiterait trouver asile dans une Europe de moins en moins accueillante. Les démonstrations de force restent de pratique courante, en Europe entre la Russie et l’OTAN, dans les mers de Chine entre la Chine d’une part, les États-Unis ou le Japon d’autre part, en Corée du Nord La violence terroriste a repris et vient de frapper la France et la Belgique. Les négociations de paix rencontrent un succès inégal : elles ont permis de désamorcer pour une large part le litige nucléaire entre l’Iran et les Occidentaux, elles nourrissent un espoir fragile en Syrie, en Libye ou en Colombie, mais dans d’autres régions (Caucase, Ukraine) la situation reste bloquée. Quant au désarmement, il est au point mort et une nouvelle course aux armements est engagée. Le Pape François a évoqué, en 2015 et 2016, « une troisième guerre mondiale par morceaux.»
Face à cette situation, nous devons refuser « la résignation et l’indifférence », comme il nous y invite. D’abord, parce que les bases d’une amélioration de la sécurité internationale existent, mais aussi parce qu’il nous appartient de peser par notre action sur les choix fondamentaux à venir, notamment en France et en Europe, dans les domaines de la justice, du renforcement des structures de dialogue et du désarmement. De ces choix dépendra l’évolution du monde : vers le retour à la paix, ou, au contraire, vers l’aggravation de cette « guerre mondiale par morceaux ».
Les bases d’une amélioration de la sécurité internationale sont posées
L’ensemble de la communauté des États, avec la participation active de la société civile, a su se fixer en 2015 des objectifs concrets et universels de développement durable à l’horizon 2030 en vue d’éradiquer la pauvreté, de protéger la planète et d’améliorer les conditions matérielles d’existence de tous. La sécurité fait partie de ces objectifs. Un accord moins ambitieux a été trouvé à Addis-Abeba pour dégager des moyens financiers en vue de leur réalisation. Un accord universel contraignant est intervenu en décembre 2015 à Paris pour combattre le changement climatique.
Ces résultats sont déterminants pour la construction de la paix, inconcevable sans une participation de tous au développement durable. L’ONU a, à ces occasions, montré qu’elle restait l’enceinte indispensable pour la recherche du bien commun mondial.
La construction européenne est aussi une chance pour la paix, à condition qu’elle reste fidèle à son projet initial, centré sur « la confiance … en l’homme comme personne dotée d’une dignité transcendante ». L’Union européenne a vocation à contribuer fortement à la résolution des crises humanitaires, à l’extérieur comme sur son territoire. Un régime européen commun d’asile existe ; son application sincère permettrait d’affronter plus dignement l’actuel défi de l’accueil des réfugiés et de sauver de nombreuses vies.
S’agissant des menaces les plus immédiates à la sécurité internationale, des progrès ont été réalisés : les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne ont su négocier avec l’Iran un accord qui garantit la renonciation de ce pays à l’arme nucléaire, en préservant ses droits en matière d’utilisation pacifique de l’atome. Comme l’a souligné le Pape François, c’est « une preuve des possibilités d’une bonne volonté politique et du droit, exercés de façon sincère, patiente et constante ». Pour ce qui est de l’Ukraine, les bases d’un règlement ont été posées par les accords de Minsk II de février 2015. La neutralisation réciproque des belligérants en Syrie les a conduits à la table des négociations, sous l’égide russo-américaine ; quels que soient les atermoiements des parties, les blocages et les manœuvres des puissances environnantes (Arabie saoudite, Iran, Turquie), la conclusion d’un accord de paix inclusif mettant un terme à la menace terroriste émanant de Syrie est possible. La dynamique de paix en Syrie, si elle se confirme, déboucherait sur la stabilisation de l’Irak. En Libye, où l’organisation dite État islamique vient de s’implanter, la médiation de l’ONU pourrait permettre l’acceptation par les principaux belligérants d’un gouvernement d’union nationale. Dans les Amériques, le rapprochement entre Cuba et les États-Unis devrait contribuer aux processus de paix en Colombie. En Afrique, l’ONU poursuit sa tâche de stabilisation en organisant le dialogue et en garantissant le retour à la paix, notamment par le déploiement d’environ 70 000 Casques bleus.
Des choix fondamentaux restent à faire
Le premier est de consacrer des efforts suffisants au renforcement des structures de paix, en particulier l’ONU mais aussi, en Europe avec l’OSCE ou en Afrique avec l’Union africaine. Les puissances (et notamment la France) doivent se garder de toute initiative qui remettrait en cause le rôle de l’ONU comme fondement institutionnel de la sécurité internationale. Il est parfois soutenu que l’usage abusif du veto par la Russie et la Chine au Conseil de sécurité paralyse l’Organisation et la discrédite. Dès lors, des interventions militaires sans l’autorisation du Conseil de sécurité seraient, sinon licites, du moins légitimes, en particulier pour mettre fin à des violations flagrantes des droits humains. Loin de résoudre les conflits, une telle politique ne pourrait que les aggraver.
Même si la composition du Conseil de sécurité ne reflète plus la situation géopolitique actuelle, il détient toujours en droit « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale ». Il est également essentiel de renforcer les structures régionales, conformément à la Charte de l’ONU. En raison notamment de la contrainte du consensus, l’OSCE est sans doute trop faible pour contribuer avec toute l’efficacité nécessaire au règlement d’une crise telle que celle de l’Ukraine. L’Union africaine doit de même être soutenue dans son ambition d’une gestion de la sécurité africaine par les Africains eux-mêmes. L’Asie, et tout particulièrement l’Asie de l’Est, souffre d’un manque d’organisation régionale. Or, c’est seulement par le dialogue, dans le cadre de processus réguliers de consultation bilatérale, que les Asiatiques pourront s’acheminer vers une résolution de leurs litiges territoriaux.
Le second choix est de toujours privilégier la négociation, les bons offices, l’arbitrage en s’appuyant sur le droit, même lorsque l’emploi de ces moyens est exceptionnellement difficile, comme en Syrie. Certes, le recours à la force ne peut être écarté par principe si c’est le seul moyen légal, régulièrement approuvé par le Conseil de sécurité, de venir au secours des victimes de crimes de masse : la décision de doter la force de paix de la République démocratique du Congo d’une brigade d’intervention en est un exemple. Mais la guerre est toujours un mal. On le constate aujourd’hui par exemple en Bosnie-Herzégovine : l’usage de la force, quelque justifié qu’il ait pu être, n’a pas réglé les problèmes fondamentaux qui font obstacle à une paix véritable : gouvernance défaillante, absence de progrès économiques, hostilité entre les communautés.
Un troisième choix concerne le désarmement, tout particulièrement nucléaire. Dans tous les pays détenteurs de l’arme nucléaire, des programmes de « modernisation » de cette arme sont en cours, pour un coût considérable (35 milliards de dollars par an pour les seuls États-Unis). Comme si l’armement actuel (16 000 ogives nucléaires actuellement en service ou en réserve, essentiellement dans les forces américaines et russes) ne suffisait pas. La réponse à ce surarmement n’est certainement pas de se lancer dans la course mais de stopper les augmentations de capacités prévues, notamment en France, et de reprendre le dialogue dans tous les domaines du désarmement (essais, fabrication de matières fissiles à usage militaire, zones dénucléarisées…).
Le récent échec de la conférence d’examen du TNP est inquiétant. L’idée d’un traité d’interdiction des armes nucléaires, reprise lors des conférences internationales sur les effets humanitaires de ces armes, doit être discutée, notamment en France, ainsi que celle d’un renforcement des mesures de confiance (transparence des arsenaux, réduction et, à terme, abandon des postures d’alerte nucléaire …). Le niveau d’armement conventionnel des principales puissances militaires reste également beaucoup trop élevé. Les augmentations du budget militaire semblent être partout à l’ordre du jour. Les quelques acquis du désarmement en Europe sont mis en cause avec le quasi-abandon du traité sur les armes conventionnelles. Sa disparition représenterait un risque grave dans le climat de tension actuel. Il faut mettre en terme à cet engrenage et reprendre les négociations entre Européens, Nord-Américains et Russes pour empêcher que s’installe une nouvelle guerre froide.
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Renforcement des structures de paix, priorité au dialogue dans la gestion des conflits, désarmement : en progressant dans ces trois domaines, nous pourrons sortir de l’actuelle « guerre mondiale par morceaux ».Son histoire et ses valeurs donnent à l’Union européenne une responsabilité. C’est à cette aune que sera jugée sa future stratégie globale pour la Politique étrangère et de sécurité dont l’adoption est prévue pour juin 2016.