Le Pape François et l’appel à la fraternité

Le thème de la fraternité a marqué le pontificat du pape François. Il en a d’ailleurs fait le thème central de sa seconde grande encyclique sociale, Fratelli tutti (Tous frères) en 2020. Reprenant beaucoup de discours, homélies, messages prononcés dans des circonstances très diverses, cette encyclique est unifiée autour d’un vibrant appel à la fraternité, une fraternité qui soit universelle, c’est-à-dire qui ne se limite pas à celles et ceux qui sont proches par les liens du sang ou de l’appartenance ethnique ou nationale. « Une fraternité ouverte qui permet de reconnaître, de valoriser et d’aimer chaque personne indépendamment de la proximité physique, peu importe où elle est née ou habite » (Fratelli tutti 1).

C’est la parabole du Bon Samaritain qui offre l’inspiration et le modèle pour déployer la fraternité dans toutes les dimensions de la vie sociale. Il s’agit de sortir de la culture de l’indifférence qui fait détourner la tête et passer son chemin devant le blessé et au contraire d’adopter l’attitude du Samaritain qui s’arrête, se laisse saisir de compassion et prend soin celui qui est dans le besoin. « C’est un texte qui nous invite à raviver notre vocation de citoyens de nos pays respectifs et du monde entier, bâtisseurs d’un nouveau lien social. C’est un appel toujours nouveau […] : que la société poursuive la promotion du bien commun » (Fratelli tutti 66).

Si l’appel à vivre authentiquement les liens qui constituent la « famille humaine » et à œuvrer pour que l’organisation et les structures des sociétés, tout comme des relations internationales y contribuent, n’est pas nouveau dans l’enseignement social de l’Église[1], François lui a donné une nouvelle vigueur et de nouveaux accents.

D’abord, il insiste sur la place à donner aux plus pauvres et aux plus fragiles. Le chemin de la fraternité passe non seulement par l’attention à donner au soutien et à la promotion de celles et ceux qui sont aux périphéries mais aussi par leur reconnaissance comme protagonistes dans la société. Il s’agit de reconnaître « le torrent d’énergie morale qui naît de la participation des exclus à la construction d’un avenir commun » (Fratelli tutti 169). Dès l’exhortation programmatique Evangelii Gaudium en 2013, François insistait que les pauvres « ont beaucoup à nous enseigner » (Evangelii gaudium 198).

Une pierre de touche de l’engagement dans la fraternité est le traitement réservé aux migrants. « Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer » sont les quatre verbes répétés inlassablement par François pour ouvrir un chemin devant le défi complexe posé par l’accroissement des migrations internationales autant qu’internes, avec leur cortège de situations tragiques. Les gestes forts qu’il a posé en visitant l’île de Lampedusa pour rendre hommage aux morts dans la Méditerranée, quelques mois seulement après son élection ou encore en ramenant de l’île de Lesbos en 2016 plusieurs familles de migrants pour qu’elles soient accueillies au Vatican, illustrent bien, au-delà des discours, son engagement pour une fraternité humaine concrète. Une telle fraternité prend en compte les difficultés et les défis de l’intégration avec les forces et les limites des communautés accueillantes. Mais le moteur de la fraternité permet de garder les peuples à la fois dans un enracinement local et dans une ouverture à l’universel et à la richesse de la rencontre de l’autre différent de soi (Fratelli tutti 142-150). C’est pourquoi il est contraire à la foi chrétienne de « défendre diverses formes de nationalismes, fondés sur le repli sur soi et violents, des attitudes xénophobes, le mépris, voire les mauvais traitements à l’égard de ceux qui sont différents » (Fratelli tutti 86).

La fraternité universelle à laquelle invite le pape François est aussi une invitation à prendre soin de ce qui nous lie avec l’ensemble de la création. Dans Laudato si’ (2015), le pape argentin dénonçait le traitement fait à « notre maison commune » qui est « comme une sœur avec laquelle nous partageons l’existence et comme une mère, belle qui nous accueille à bras ouverts » (Laudato si’ 1). « Cette sœur crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle » (Laudato si’ 2). Or « créés par le même Père, nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et formons une sorte de famille universelle, une communion sublime qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble » (Laudato si’ 89). L’appel à la fraternité du pape François est donc aussi appel à prendre soin de notre maison commune, à sortir des dénis sur la crise écologique et entrer dans une véritable « révolution culturelle » (Laudato si’ 114) et une « conversion écologique » (Laudato si’ 216).

Pour le pape François, la voie d’une véritable fraternité universelle n’est pas que simple déploiement de vertus personnelles. C’est un véritable programme de transformation structurelle, une inspiration pour une « meilleure politique ». « Une meilleure politique, mise au service du vrai bien commun, est nécessaire pour permettre le développement d’une communauté mondiale, capable de réaliser la fraternité à partir des peuples et des nations qui vivent l’amitié sociale » (Fratelli tutti 154). Dans cette ligne, François n’a eu de cesse de dénoncer les populismes étroits qui prétendent défendre le « peuple » en faisant une entité fermée, un « nous » opposé à « eux ». Au contraire, « la catégorie de peuple est ouverte » (Fratelli tutti 160). Mais il a aussi vigoureusement dénoncé « les visions libérales individualistes où la société est considérée comme une simple somme d’intérêts qui coexistent » (Fratelli tutti 163).

Le dialogue et la « culture de la rencontre » sont finalement les voies indispensables pour la fraternité. François a constamment appelé à ce dialogue qui est d’abord écoute et souci de connaître l’autre, de le comprendre pour ensuite chercher à avancer ensemble vers la vérité du respect de la dignité humaine et la recherche du bien commun (Fratelli tutti 207). Le dialogue est le chemin pour mettre en œuvre une écologie intégrale, pour une économie au service de l’humanité, pour la résolution des guerres et des conflits, pour la construction de la paix. François en donne un vibrant témoignage lorsqu’il signe en 2019 avec le grand imam Ahmad Al-Tayyeb le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune. Ensemble les deux autorités religieuses affirment qu’« au nom de Dieu qui a créé les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux », ils veulent adopter « la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère ».

Appel à une fraternité vraiment universelle, et mise en œuvre concrète de ce que cela implique, le pontificat de François aura bien été marqué par cette dimension fondamentale de l’existence chrétienne qui s’élargit aux dimensions de l’humanité tout entière au sein et avec toute la création.

[1] Voir par exemple, Paul VI dans Populorum progressio (1967) qui parlait d’un devoir de « fraternité humaine et surnaturelle » se présentant sous un triple aspect : « devoir de solidarité », « devoir de justice sociale », « devoir de charité universelle » (Populorum progressio 44).