L’Église de Papouasie occidentale, à l’ombre du militarisme indonésien
L’Église de Papouasie occidentale s’étend sur cinq diocèses (archidiocèse de Merauke, diocèse de Jayapura, diocèse d’Agats, diocèse de Timika et diocèse de Manokwari-Sorong), chacun confronté à des défis pastoraux spécifiques.
Cependant, tous sont confrontés à une même difficulté due aux affrontements entre les indépendantistes papous et le gouvernement indonésien qui occupe militairement la région depuis 1963.
Ces jours-ci, l’escalade du conflit armé entre l’Armée et la Police indonésienne (TNI-POLRI) et l’Armée de libération de la Papouasie occidentale (TPNPB) continue de s’intensifier et de nombreux civils fuient leurs foyers. Le conflit fait rage dans les zones à forte composante catholique telles que les districts des monts Bintang, d’Intan Jaya et de Maybrat.
Outre la politique militariste de Jakarta, il existe de fortes suspicions d’actes de génocide par le biais de l’alimentation et des médicaments. Pour cela, il y a quelques semaines, les collégiens et lycéens de diverses villes papoues ont organisé des manifestations massives, rejetant le programme de repas gratuits imposé par le gouvernement central de Jakarta.
Ces écoliers estiment qu’ils ont besoin d’une éducation plus que d’un simple déjeuner gratuit. Ils craignent que ces aliments soient délibérément empoisonnés pour les affaiblir. En Papouasie occidentale, les décès dus à des intoxications alimentaires sont fréquents. De nombreux Papous meurent anormalement dans les hôpitaux indonésiens.
De tels méfaits ne sont pas nouveaux : partout en Papouasie, des projets de développement minier sont précédés de meurtres mystérieux. Le but est de semer la terreur, puis de chasser la population indigène. Ceci n’est qu’un pâle reflet de l’ampleur de la violence en Papouasie occidentale au cours des six dernières décennies.
Au nom de la sécurité et de l’intégrité territoriale, le gouvernement indonésien continue de mener des politiques répressives, sans tenir compte des conseils des Eglises et des ONG en faveur d’un dialogue.
A l’ouverture du synode du diocèse de Jayapura, Mgr. Yanuarius You, le premier évêque papou d’Indonésie, a publié une lettre pastorale déplorant le sort de la Papouasie occidentale, hantée par le militarisme indonésien et tous les problèmes sociaux qui en découlent :
« Nous continuons de souffrir du conflit prolongé, des violences du TNI/POLRI et du TPNPB qui entraînent un grand nombre de réfugiés, de la présence d’entreprises étrangères collaborant avec l’État indonésien, ce qui a un impact négatif sur l’environnement, notamment les forêts et les terres coutumières, de l’augmentation des pratiques de corruption, de collusion et de népotisme, de l’émergence de tensions entre groupes ethniques, raciaux et religieux. Le consumérisme, l’hédonisme, l’alcoolisme et les relations extra-conjugales deviennent monnaie courante de jour en jour » (Lettre Pastorale, n°2 Année II/2024).
Ainsi, Mgr. You a appelé les fidèles de son diocèse à venir en aide aux personnes déplacées à l’intérieur du pays, qui comptent actuellement plus de 85 000 personnes. Aussitôt, cet appel a été entendu : l’équipe pastorale près des monts Bintang a distribué son aide.
Face à la menace croissante d’écocide et de violence génocidaire, à l’approche de ce Carême, le Père Martin Kuayo, papou, administrateur du diocèse de Timika, appelle les fidèles à mener une repentance écologique, en vivant l’esprit de « Laudato Si » en s’abstenant de tout acte nuisible.
Mais étonnamment, Mgr. Canisius Mandagi, qui dirige l’archidiocèse de Merauke, a en fait adopté une position opposée. Cet évêque indonésien originaire de l’île de Célèbes exige que les communautés autochtones de son diocèse cèdent leurs droits fonciers au gouvernement central pour des projets de sécurité alimentaire. Et ce malgré le risque de disparition de 2,29 millions d’hectares de forêt ! Il estime que les projets de Jakarta sont bons pour améliorer le niveau de vie des communautés autochtones. Il n’a pas tenu compte du fait que les autochtones ne recherchaient pas tant la prospérité économique. Pour eux, leur terre est sacrée et leur vie en dépend.
La visite apostolique du pape François en Indonésie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée en septembre 2024 fut une source d’espoir pour les chrétiens papous. Ils espéraient que le pape François ouvrirait un dialogue avec le gouvernement indonésien pour trouver une solution au conflit en Papouasie occidentale. Malheureusement, cela n’a pas eu lieu.
Un certain nombre de rapports ont été envoyés au secrétariat du Pape. Un livre contenant les témoignages et les aspirations des catholiques papous, en italien, a été remis au Pape lors de sa visite en Indonésie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée (Preghiere e Auguri dei Cattolici Papuani al Santo Padre Francesco, SKPKC, 2024).
Nous restons convaincus que le Vatican a un rôle important à jouer pour construire la paix mondiale. Le pape François n’a-t-il pas écrit des documents importants tels que « Laudato Si’ ou celui sur la fraternité d’Abu-Dhabi pour encourager le dialogue entre les nations et faire de la terre notre maison commune.
Toutes les actions du pape François, en Ukraine, au Congo ou au Soudan du sud nous convainquent qu’il lui est encore possible de faire quelque chose de similaire pour le peuple de Papouasie occidentale.
De véritables espoirs ont commencé à se concrétiser en 2022 lors de la nomination du premier évêque papou, Mgr. Yanuarius pour le diocèse de Jayapura. Auparavant, presque tous les Papous pensaient que les prêtres papous autochtones ne pouvaient pas devenir évêques, étant donné la forte pression du gouvernement indonésien. Cette leçon s’inspire du cas de l’indépendance du Timor oriental occupé par l’Indonésie (1975-1999), où Mgr Ximenes Belo, l’évêque de Timor, a mené une diplomatie avec le Vatican qui a finalement plaidé pour l’indépendance du Timor oriental.
Cet espoir se renforce en cette année 2025 : le Saint-Siège a nommé un deuxième évêque papou, Mgr. Bernard Baru, pour le diocèse de Timika. Cela nous convainc que le Vatican dispose d’une autorité qui dépasse de loin tout pouvoir de territoire ou toute pression politique.
Nous continuons de croire que les enseignements chrétiens constituent un fondement solide pour l’édification de la civilisation humaine. Par conséquent, l’Église papoue a véritablement besoin de l’aide des pays à majorité catholique, ce qui constitue une forme de responsabilité morale. Cela s’apparente aux actions morales et politiques entreprises par le Portugal en faveur de l’indépendance du Timor oriental lors du référendum de 1999.