Trois parcours de justice et de solidarité

Trois ouvrages de personnes engagées qui, de manière différente, évoquent un parcours, témoignent d’une expérience et nous convient à la réflexion.

Une raison particulière de nous intéresser à ces 3 livres : les auteurs ont été ou sont encore proches de Justice et Paix France.

 Guy Aurenche, Le souffle d’une vie. Quarante ans de combat pour une terre solidaire, Albin Michel

Elena Lasida, Le goût de l’autre. La crise, une chance pour réinventer le lien, Albin Michel

René Valette, Le goût d’un monde solidaire. L’engagement d’un chrétien, Editions de l’Atelier

Guy Aurenche évoque, dans une première partie de son livre, les repères de son existence, qu’il place sous l’égide d’Albert Camus : « empêcher que le monde ne se défasse » et dans l’esprit du concile Vatican II, à condition d’en approfondir la dimension spirituelle.

Son choix de la profession d’avocat relève d’un souci à la fois spirituel et social. Président du Centre St Yves en 1966 – centre des étudiants catholiques de la Faculté de droit de Paris -, il vit les événements de mai 1968 comme une révolution spirituelle. Il décrit, après son mariage avec Blandine en 1970, une expérience réussie de vie communautaire avec une autre famille durant 7 ans.

En même temps, les années de responsabilité à l’ACAT, dont il est le président de 1975 à 1983, ont changé sa vie, et il s’engage à fond dans ce combat contre la torture, dont les militants agissent dans la prière et se perçoivent comme des « briseurs de solitude ».

Il mentionne aussi, à partir de 1990, le groupe « Paroles » qui veut instaurer des débats dans l’Eglise.

La seconde partie du livre, intitulée « Chemins du CCFD pour une Terre solidaire » rappelle comment, en 2008, Guy Aurenche, mettant fin à son activité d’avocat, se voit proposer par René Valette, qui avait été président du CCFD, de poser sa candidature à cette fonction. Son élection l’engage donc dans une nouvelle voie, celle de la promotion du développement, ce qui l’amène à présenter les grands axes de l’action du CCFD.

Le lecteur retrouvera aussi, dans cet ouvrage, le souhait de l’auteur en faveur d’un nouveau dynamisme des droits de l’Homme. Tout en évoquant les affaires Astiz et Aussaresses, il décrit avec précision ce que pourrait être une intelligente pédagogie de ces droits.

Revenant, à la fin de son livre, sur la Parole de Dieu, Guy Aurenche appelle l’Eglise à « se mettre en appétit de l’autre », réhabilite la charité en actes qui permet de rencontrer le plus pauvre et encourage l‘engagement des chrétiens dans la cité.

Qui a eu le privilège de travailler avec l’auteur reconnaît ici le souffle d’engagement et de générosité qui parcourt cet ouvrage.

 

René Valette, pour sa part, se défend d’avoir écrit une autobiographie, un livre de spiritualité ou un programme pour l’avenir.

Après avoir retracé son itinéraire personnel, du café de ses parents à une chaire d’enseignement à l’Institut catholique de Lyon, et à la présidence du CCFD, il évoque une activité de conférencier, pour laquelle il a des dons évidents. A son avis, nombreux sont les chrétiens qui à l’heure actuelle, ont besoin d’approfondir ce qui fonde leur engagement pour la justice et la solidarité.

Dans un petit parcours biblique, l’auteur rappelle que Dieu associe l’homme à l’œuvre de création et, à travers le récit d’Emmaüs, il souligne la nécessité de savoir reconnaître la présence du Christ dans le visage de l’autre. Il présente ensuite les éclairages, trop mal connus des chrétiens, que propose l’enseignement social de l’Eglise. Il ne s’agit pas d’un système, d’une idéologie, ni d’un modèle économique. Mais la destination universelle des biens, l’option préférentielle pour les pauvres (en précisant qu’il y a bien des formes de pauvreté), la pratique de la justice et de la solidarité, sans oublier la subsidiarité, méritent d’être prises en considération.

René Valette, qui souhaite encourager le lecteur à s’informer et à s’engager, termine son livre par une belle réflexion sur l’Offertoire de la messe.

 

Elena Lasida présente son ouvrage comme une tentative de revisiter l’économie, de la percevoir moins comme créatrice de biens que comme créatrice de liens.

La construction des 10 chapitres adopte un même schéma : l’auteur part d’une expérience personnelle, qui met en évidence un paradoxe qu’elle relie à une pratique ou à une théorie économique, et dont elle cherche une résonance dans un récit biblique.

Ainsi de l’économie, comprise comme une expérience de vie, une traversée  marquée par la rencontre de la limite et du manque. L’accueil de l’incertitude et de la limite est illustré par la Résurrection, traversée de la mort qui fait émerger du radicalement nouveau.

L’économie doit aussi permettre à chacun de mettre en œuvre ses capacités créatrices, et le développement durable permet de reconsidérer la notion de création dans le domaine économique.

Lieu de relation, l’économie selon Adam Smith (à ne pas voir seulement comme le partisan du marché, père du libéralisme économique) met en scène la contradiction de l’être humain : à travers finance éthique, commerce équitable, AMAP, régies de quartier, l’économie solidaire devrait permettre de tisser une interdépendance entre les hommes.

L’auteur enchaîne sur l’idée que l’économie doit susciter  l’alliance, qui implique un accueil de l’imprévisible ; elle l’oppose au contrat qui enferme dans des termes  prévus. L’alliance de Dieu avec Noé après le Déluge rend l’homme coresponsable de  la Création. Le développement durable pourrait être pensé sur le mode de l’alliance.

Cherchant dans l’économie une promesse, Elena Lasida fait état d’expériences  consistant, notamment par le biais du jeu de rôles et du théâtre-forum, à penser la pauvreté non pas pour, mais avec des pauvres. Elle évoque à ce sujet l’expérience intéressante d’un colloque, « figures et représentations de la pauvreté » organisé à l’Institut Catholique en 2009. Il réunissait un groupe mixte de doctorants de l’Université et de travailleurs d’une entreprise d’insertion. Les victimes de la pauvreté ont alors été consultées comme experts et non comme témoins.  Il s’agit, dans cette expérience, de chercher la richesse potentielle de la personne plutôt que son manque à combler et de se mettre en marche, comme Moïse.

L’économie peut enfin être un lieu d’utopie, comme le démontre l’exemple de religieuses du Niger et du Burkina Faso dont les congrégations, soutenues auparavant par celles des pays riches, se retrouvent avec des caisses vides. Elles décident alors de chercher de nouvelles ressources locales en mobilisant la population, ainsi que d’autres congrégations.

Enfin, la crise actuelle ne peut-elle pas constituer le moment opportun, un temps favorable pour faire émerger du radicalement nouveau, la fragilité du modèle économique dominant pouvant être vue comme une fêlure laissant passer l’inattendu ?

 

Ardent plaidoyer pour l’économie solidaire et ses multiples aspects, ce livre veut convaincre le lecteur de son importance cruciale. Peut-on, cependant, de la description d’expériences d’une économie solidaire encore marginale, passer à des jugements sur l’ensemble de la vie économique ? Elena Lasida veut croire à « la marge qui déplace le centre ».

Mais la puissante originalité de la démarche réside aussi dans les récits très vivants puisés pour la plupart dans l’expérience de l’auteur et dans le recours à des commentaires bibliques qui suscitent un intérêt constant.