Église et sport : défis à relever

Dans la Lettre de Justice et Paix n°267 d’avril 2021, nous annoncions qu’un numéro spécial de Documents Épiscopat « Église et sport » avait été mis en chantier. Il devrait paraître pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) d’hiver de Pékin en 2022. Et, à l’horizon, se profilent les JOP d’été de Paris 2024

Les pratiques « sportives », tellement variées, semblent assez universelles et remontent haut dans le temps, souvent liées à des jeux. Mais le terme sport est assez récent. En ancien français, desport a pris les sens de jeu, amusement, loisir, plaisir. Devenu sport en anglais (XVe), évoluant vers son sens actuel au XVIIIe, il passe en France en 1828. Il désigne « la chasse, les courses, les combats de boxeurs, etc., tous les exercices qui mettent en jeu la force, l’adresse ou l’agilité, soit des hommes, soit des animaux » (Journal des Haras, 1er avril 1884). Nous restons spécialement marqués par les mondes grec (stade, gymnase…), anglo-saxon (club, fair play…) et moderne (amateur / professionnel, compétition / loisirs…).

Un choc culturel

Avec Alexandre (356-323), le monde grec marque l’Orient de son empreinte et de sa langue. La famille des Maccabées se révolta au vu de Juifs qui « bâtirent un gymnase à Jérusalem, selon les usages des nations, se refirent des prépuces [NB : on était nu (gymnós en grec) au gymnase] et renièrent l’alliance sainte pour s’assujettir aux nations » (1 M 1, 10-15 ; 2 M 4,7-20, 4 M 4,15-26). Dans ces récits de défense de la Tradition des Pères contre les pratiques des nations, le vocabulaire « sportif », parfois subverti, est bien présent. Il l’est aussi dans le livre de la Sagesse et surtout dans les lettres de Paul. Parce que le monde des jeux, parfois licencieux, est lié à celui des dieux, les chrétiens vont s’en distancier. Examinons deux auteurs chrétiens significatifs, l’un écrivant en grec, l’autre, en latin, chacun dans sa culture.

Le premier christianisme

Pour Clément d’Alexandrie (Le Pédagogue, III,10-11, SC 158), « on peut autoriser les exercices physiques (gymnásia) à ceux qui vivent selon le Logos [Jésus] … ils sont un moyen … de prendre soin du bon état du corps et de l’âme… Si cela se produit sans les détourner des activités supérieures, c’est un résultat agréable et utile » (49s). Pour les femmes, sauf la lutte et la course, l’exercice est permis. Les hommes peuvent s’exercer nus à la lutte, jouer à la balle, marcher, piocher, puiser l’eau, fendre le bois, lire à haute voix, pêcher. La lutte est utile pour « répandre une sueur virile », sinon les humeurs « se portent vers les parties génitales » (65,3). Il faut éviter tant la mollesse que la tension immodérée. Sont valorisées la pudeur et la virilité (74,3). Mais, « le Pédagogue [Jésus] ne nous conduira pas aux spectacles ». Stades et théâtres sont « chaires de pestilence », occasion de « convoitise érotique » (76,3s).

Pour les jeux séculaires de l’empereur Septime Sévère (juin 204), Tertullien écrit un De spectaculis. Est en cause moins l’exercice physique que le spectacle (25). Tertullien prône « l’obligation de renoncer aux spectacles… fondée sur notre baptême », parce que « tout l’appareil des spectacles est fondé sur l’idolâtrie » – jeux sacrés ou funèbres, cirque, théâtre, stade ou amphithéâtre, « ce ne sont pas les lieux par eux-mêmes qui souillent notre âme ; c’est ce qui s’y passe » (8) : respectivement fureur, impudicité, insolence et inhumanité (20). Tertullien dénonce « cette science qui travaille à nous donner un corps nouveau, comme pour réformer l’œuvre de Dieu », la lutte, « une invention du démon », les courses, « insensées », les sauts, « extravagants ». Et « pourquoi rechercher les plaisirs pour mériter des couronnes ? » (18).

La cassure du 4e siècle

Les persécutions contre les chrétiens cessent avec l’Édit de Sardique (Galère, 30 avril 311)[1], suivi de l’« Édit » de Milan (Constantin et Licinius, 13 juin 313), avec dispense de vénérer l’empereur comme dieu. Suite au massacre de l’hippodrome de Thessalonique (390), Ambroise de Milan impose à Théodose une célèbre pénitence. Demanda-t-il aussi l’abolition des jeux ? En 392, tout culte païen est proscrit, le judaïsme, toléré. En 393, sont célébrés les 293e et derniers jeux olympiques. Olympie est pillée par les Goths (395), incendiée sur ordre de Théodose II (426), détruite au VIe par des tremblements de terre (ou des tsunamis ?).

Le tournant du XIXe

Pour autant, les pratiques « sportives » n’ont jamais cessé (tournoi, jeu de paume, etc.). Elles sont promues dans l’éducation humaniste de la Renaissance. Ainsi, Mercurialis (De arte gymnastica,1569) ou Montaigne, parlant de l’éducation de l’enfant : « Ce n’est pas assez de luy roidir l’ame ; il luy faut aussi roidir les muscles » (Essais XXVI, 1580). L’apport du monde anglo-saxon aristocratique s’avère décisif. Dès l’antiquité, l’accent s’était déplacé, de fête religieuse à compétition athlétique. Le christianisme consonne avec le sport désacralisé, qui évolue d’amusement (Moyen-Âge) à activités motrices, codifiées, encadrées et compétitives (XIXe).

On fouille Olympie. Se tiennent… une « Olympiade de la République » (de 1796 à 1798), des Jeux au petit séminaire du Rondeau (Grenoble, 1832) où étudia le futur Père Didon auteur de la devise devenue olympique, les Jeux scandinaves (1834), ceux de Munch Wenlock (1850), etc. En 1858, à Paris, Minoidès Mènas publie le Peri gymnastikès de Philostrate, découvert au Mont Athos, et suggère une renaissance des jeux. Un mécène grec finance une relance (Jeux de Záppas, 1859 et 1870). En 1892, Pierre de Coubertin appelle au rétablissement des JO (Sorbonne). Les premières organisations internationales pour la paix naissent : on a conscience que le sport peut y contribuer. L’architecture « sportive » antique inspire. Peu à peu, le sport s’ouvre à tous. Le sport s’est formidablement développé, universalisé, au XXe siècle.

Le numéro spécial de Documents Épiscopat

Muni d’encadrés techniques (par exemple : sports, disciplines et épreuves des Jeux Olympiques et Paralympiques), le numéro de Documents Épiscopat à paraître trace à grands traits la place et les évolutions du monde sportif (temps, lieux et milieux, acteurs, disciplines) au sein de nos sociétés (sport et… économie, travail, bien-être, éducation, politique, innovation, médias), la façon dont l’Église s’y est investie (FSCF, UGSEL, etc.), et pourquoi.

Ce numéro Documents Épiscopat nous aide à prendre du recul : analogies entre les pratiques sportives et religieuses ; perspectives anthropologiques [ce qui s’y expérimente (Sr Marie-Théo Manaud), le sport comme accès à ma chair et comme ascèse (Jean-Luc Marion)] ; repères bibliques (spécialement dans le monde paulinien, prolixe en métaphores sportives) ; questions éthiques (avec un théologien arbitre sportif (F.-X. Amherdt), une ancienne ministre des Sports, responsable à l’Agence mondiale anti-dopage (V. Fourneyron), une athlète handisport (sport : inclusion, exclusion ?, B. Hess), un prêtre champion sportif (comment être chrétien en compétition, P. Girard)) ; et avec une ouverture interculturelle / interreligieuse.

Enfin, nous abordons le passage de l’engouement pour le sport à l’engagement, les aspects plus pastoraux aux plans du diocèse, de l’Enseignement catholique, etc., la spiritualité à travers le sport, la prière, la célébration, le rapport avec la culture et les médias, et la dimension internationale (vision pastorale du sport francophone, impulsions du Vatican).

Des témoignages parsèment ce numéro de Documents Épiscopat. Les initiatives ecclésiales dans le monde du sport fourmillent. Du Pélé VTT présent dans 34 diocèses à la participation à la course croisière de l’EDHEC. Du Foot for Jesus au Challenge des cathédrales. Du tournoi de basket des jeunes du « 9.3 » au Raid fraternité. Sans compter l’activité de fond de la FSCF (Fédération Sportive et Culturelle de France), de l’UGSEL (Fédération Sportive Éducative de l’Enseignement Catholique), les camps internationaux de la FISEP (Fédération internationale catholique d’Éducation physique et sportive) et de la FISEC, Fédération internationale sportive de l’Enseignement catholique), et le sport présent dans les mouvements (scoutisme…).

Perspectives

Jean-Paul II a institué la section Église et sport, au sein du Conseil pontifical pour les laïcs, en 2004, pour

1) être dans l’Église point de référence pour les organisations sportives nationales et internationales,
2) sensibiliser les Églises locales à l’importance du soin pastoral des milieux sportifs, leur rappelant en même temps la nécessité de stimuler la collaboration entre associations de sportifs catholiques,
3) favoriser une culture du sport comme moyen de croissance intégrale de la personne au service de la paix et de la fraternité entre les peuples,
4) promouvoir l’étude de thématiques spécifiques attenantes au sport, surtout du point de vue éthique,
5) organiser et soutenir des initiatives aptes à susciter des témoignages de vie chrétienne entre les sportifs (cf. site du Conseil). Un document important sur la perspective chrétienne du sport et de la personne humaine y a été produit : « Donner le meilleur de soi-même » (Vatican, 1er juin 2018).

Le Conseil épiscopal Famille et Société de la Conférence épiscopale française a souhaité qu’un groupe travaille la question du sport, au sein du SNFS, coopérant avec le Vatican. C’est chose faite. La région apostolique Île-de-France a constitué une équipe en vue des JOP de Paris 2024. Saint Paul nous invite à courir pour une couronne incorruptible (1 Co 9, 24-27), en adoptant une attitude du service, service de la créativité humaine en hommage au Créateur.

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[1] « Que de nouveau, existent des chrétiens, qu’ils tiennent de petites assemblée … qu’ils prient pour le salut de l’empereur, de l’État et le leur… qu’ils puissent vivre dans leur propre foyer sans inquiétude », Lactance, De Mortibus Persecutorum, 33-34 ; Eusèbe de Césarée, HE, VIII,17,1-11.