Les nonces, messagers de la diplomatie vaticane

Si l’Église est ancrée dans l’histoire et la conscience universelles par la Révélation et l’Incarnation, dont elle a charge de témoignage, elle a aussi un statut de souveraineté qui la qualifie comme État parmi les États, fût-il le plus petit d’entre eux, avec le privilège de s’exprimer à l’égal des autres. La date de 754 et le don de Pépin le Bref à la papauté de territoires en Italie marquent l’origine de l’État pontifical. Plus proche est celle de 1929, avec les Accords du Latran, l’assise territoriale du Vatican et l’exercice d’une diplomatie de souveraineté que Pie XII, Jean XXIII et Paul VI, tous experts en la matière, s’employèrent à développer.

Le Saint-Siège n’a certes d’intérêts ni militaires, ni économiques, ni vraiment consulaires ou culturels, ni même, en réalité, politiques. Mais il a une voix qui se doit d’être audible. Selon la Secrétairerie d’État, les constantes de la diplomatie vaticane sont : le respect dû à l’Homme (aujourd’hui : le « développement humain intégral »), l’action en faveur de la paix, la défense de la liberté religieuse, celle des communautés chrétiennes (Proche-Orient, Asie…), la médiation qui atténue les tensions, une intervention engagée lorsqu’il existe un risque de fractionnement des communautés catholiques locales (Venezuela, Nicaragua, Chine, Soudan du Sud…). Sans oublier le multilatéralisme : le Saint-Siège ne néglige aucune tribune onusienne, cadre choisi par François pour trois priorités fortes : le désarmement nucléaire, la protection de l’environnement, la lutte contre l’exclusion économique et sociale – une quatrième, l’accueil des migrants, étant davantage traitée sous l’angle pastoral du fait de l’impasse des voies politiques.

Le Pape exprime ces messages en toutes opportunités : audiences, voyages officiels, appels téléphoniques, encycliques, messages délivrés en public place Saint-Pierre, conférences… Mais sa tâche repose sur un personnel de haute qualification, formé à l’Académie pontificale ecclésiastique : à la Secrétairerie d’État (donc très proche du Pape), la Deuxième Section pour les relations avec les États ; sur le terrain, un réseau de nonciatures auprès des quelque 180 États ayant noué des relations officielles (dernier en date : Oman).

Parmi les 21 nouveaux cardinaux créés ce 30 septembre 2023, deux sont nonces en exercice, Mgr Tscherrig, suisse, et Mgr Pierre, français. Ils rejoignent Mgr Zenari, nonce en Syrie, créé cardinal en 2016.

S’il était de tradition, jadis, que les nonces entrent au collège cardinalice en fin de carrière, la remise de la barrette pourpre à des ambassadeurs en exercice est rare. Au-delà des qualités personnelles, et, d’un même mouvement, du geste à l’égard des Églises de Suisse et de France (leur nombre d’électeurs passe d’un à deux et de quatre à six), c’est l’attention portée aux pays d’accréditation qui est commentée. En 2016, François l’avait dit : il pensait à la Syrie meurtrie, dont les chrétiens étaient pris dans une tourmente emportant tous les repères ; message de compassion mais aussi de présence, alors que bien des pays avaient fermé leur ambassade à Damas.

Qu’en est-il avec Mgr Tscherrig, nonce en Italie (et à Saint-Marin) depuis six ans, et Mgr Pierre, nonce aux États-Unis depuis sept ans ? Si tous deux ont servi auparavant en Amérique Latine, respectivement en Argentine et au Mexique, il y a surtout que l’Italie et les États-Unis sont les deux pays comptant le plus de cardinaux électeurs, et que ces deux « puissances » du catholicisme illustrent le questionnement d’une Église universelle prise entre tradition et modernité. Tout en veillant à mettre en lumière les « périphéries » – jusqu’en Mongolie… –, François ne reconnaît-t-il pas par ces nominations tout le poids des grands contingents du catholicisme mondial ?

On sait le rôle discret, secret, que jouent les nonces dans l’identification des futurs évêques, leur présence auprès des conférences épiscopales locales, les visites aux évêchés et aux paroisses, leur engagement dans des médiations risquées, leur rôle dans la préparation des voyages pontificaux ou des visites ad limina ; on a moins conscience de ce qu’ils inscrivent leur action dans le quotidien de la vie diplomatique, jusque dans ses moindres détails : ceux qui, comme en France, bénéficient de la tradition du décanat, représentent souvent leurs collègues ambassadeurs en des circonstances où l’ensemble du corps diplomatique ne peut être invité et ont plus souvent accès aux hautes autorités locales ; en contrepartie, à eux reviennent des tâches ancillaires, comme la négociation auprès du Protocole du nombre de places de parking CD devant les chancelleries et résidences de leurs collègues…

Dans l’attente de ce qui sera dit le 30 septembre, voyons en cette décision du Pape une vraie reconnaissance adressée à « ses » nonces et un soutien à leur action de valorisation de ses messages auprès des États du monde.