Plaidoyer pour un engagement politique enraciné

Rencontre avec Dominique Potier, député de Meurthe et Moselle

Invité à s’exprimer devant des membres de Justice et Paix pour analyser l’état de notre démocratie, Dominique Potier a choisi, à son habitude, d’emprunter un chemin de traverse. Pas question de jouer les experts politologues, lui qui refuse de considérer la politique comme un métier. Il a donc témoigné de ce qui le poussa à s’engager, sur plusieurs fronts et aujourd’hui en politique. En mettant l’accent sur ce qui l’a construit, nourri, sans doute voulait-il désigner – en creux – ce qui manque aujourd’hui à beaucoup de nos concitoyens et fragilise notre démocratie.
Pour lui, « la source » d’un engagement est fondamentale. Agriculteur de son métier, député socialiste de la 5e circonscription de Meurthe et Moselle, seul député de gauche à avoir été élu dans son département lors des élections législatives de 2024, il explique n’être jamais où on l’attend. Il est par exemple en désaccord avec le PS sur certains sujets de bioéthique, sur le projet de loi sur la fin de vie, ou sur l’alliance avec LFI.
Radio locale, coopérative agricole, conversion au bio il y a 35 ans, maire de sa commune, puis président de la communauté de communes jusqu’à se présenter pour la première fois à l’élection législative en 2012 contre Nadine Morano… : tel est le parcours d’un « enraciné » dans un « territoire où se vit une démocratie apaisée, où l’on coopère, on partage ». Lui, d’ailleurs, l’« indien », se définit comme très transpartisan : « je n’ai pas de problème à agir avec d’autres ». Et il aurait souhaité que sur cette séquence politique, jusqu’à l’élection de 2027, les partis se soient mis d’accord sur trois ou quatre sujets essentiels pour les mener ensemble.
La source qui abreuve Dominique Potier est triple, à vrai dire : sa famille, une famille engagée ; son engagement à la Jeunesse agricole catholique puis le MRJC, lieu d’éducation populaire ; et l’école de la République, le lycée agricole où il fit ses études avant de les reprendre plus tard pour se former en sociologie et en géographie humaine. Cette source, il la définit comme un « enracinement populaire, inscrit dans une tradition spirituelle ». Avec pour inspiration, Emmanuel Mounier, Jacques Delors et l’encyclique Laudato si’ du pape François. C’est ainsi qu’il créa en 2013 le cercle de réflexion Esprit Civique nourri de la pensée personnaliste et du christianisme social, lieu d’échanges, de formation, notamment à l’occasion d’une université populaire annuelle.
On a vu, déplore-t-il, depuis quelques années, arriver en politique, des jeunes hommes et femmes, « un nouveau monde », des gens culturellement vifs, brillants, mais « vides sur le plan anthropologique », manquant de structuration personnelle. Et Dominique Potier regrette que sa famille politique, la gauche, ait doublement démissionné : à l’égard des idées intellectuelles, à l’égard de la classe populaire.
Selon lui, le christianisme, affaibli, ne se retrouve plus aujourd’hui face à l’athéisme, mais face au paganisme. Il parle aussi de « servitude marchande ». « Nous connaissons une forme de paganisme politique où l’on se situe « dans l’air du temps », où l’on cultive les passions tristes. Or, nous venons de vivre un grand moment avec les JO, et quand on circule dans les territoires on voit plein de pépites,
d’actions remarquables, mais hélas la vie politique exprime peu cette espérance, cette joie. Elle manque de souffle ».
« Nous vivons un moment de bascule maximum, un moment tragique devant le péril écologique. Nous avons besoin de femmes et d’hommes qui s’engagent pour la dignité de la personne humaine, pour plus d’universalité, une interdépendance qui témoigne de notre commune humanité ». Il le sait : des jeunes sont là, prêts à des engagements radicaux auprès des plus fragiles, pour la sauvegarde de la planète, pour plaider des causes qui leur tiennent à cœur. Mais, souvent, « l’engagement politique ne leur apparaît pas comme une bonne nouvelle, comme la forme la plus haute de la charité, selon les mots de Pie XI. Avec eux, pourtant, il nous faut déchiffrer le monde qui vient et retrouver les eaux souterraines qui nous relient ».

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Quelques 500 personnes, jeunes professionnels, étudiants, familles se sont réunis à la Ferme de la Chaux en Bourgogne fin août 2024, pour la 2e édition du Festival des Poussières organisé par le collectif Anastasis. Ce furent quatre journées de conférences, d’ateliers et de vie commune pour des citoyens souvent (mais pas toujours) chrétiens, pour la plupart en colère contre l’hypocrisie et l’inaction des autorités politiques et religieuses face au dérèglement climatique et à l’injustice sociale.

L’expérience fut riche : écouter Marion Muller-Collard revisiter la notion d’Idolâtrie à partir de l’Autre Dieu, son magnifique texte sur Job ; parler du monde paysan avec la présidente de Solidarité Paysans engagée depuis 50 ans, échanger sur la question de l’action non-violente, réfléchir à la décolonisation du Christianisme… Mais aussi éplucher les carottes, danser, prier, faire de la musique. Les débats étaient parfois vifs mais les postures d’inclusion et d’écoute m’ont réjouie. Ces jeunes, et moins jeunes, sont en chemin.

Cécile Dubernet – JPF

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