Le populisme : un nationalisme d’humeur
Ces crises bouleversent notre économie et notre conception du vivre ensemble. Elles mettent en lumière la perte d’un certain nombre d’avantages, acquis par des luttes qui ont marqué tout le XXème siècle : il s’agit de tout un ensemble de droits fondamentaux que personne ne veut perdre et qui détermine le modèle français de nos relations sociales.
L’expérience ou la perspective de ces pertes suscite le repli sur soi, la défense de ses intérêts personnels ou corporatistes. La nostalgie du passé provoque alors la naissance d’un réflexe de défense. Ce fut le cas du mouvement créé par Pierre Poujade dans les années cinquante pour la Défense des Commerçants et Artisans (UDCA). Il donna naissance au populisme de droite dont certains leaders extrémistes d’aujourd’hui sont issus ; tandis que le populisme de gauche s’inspirerait de 1968.
De droite comme de gauche, le populisme est une combinaison de colères. Il se présente comme un « nationalisme d’humeur » selon l’expression de René Rémond et s’inscrit dans l’échiquier politique comme un mouvement de protestation.
De droite comme de gauche, les populismes se retrouvent dans une critique agressive des responsables politiques en place et fédèrent les personnes qui se considèrent comme les victimes d’injustices quelles qu’elles soient. C’est ainsi que l’on peut trouver parmi les adeptes de tels mouvements, des riches qui s’estiment lésés par le fisc et des travailleurs pauvres qui ne peuvent vivre du salaire reçu. On trouve côte à côte ceux qui se plaignent, quel que soit le type de leur plainte.
La vision sociale du populisme est de ce fait très simplifiée. Elle est binaire. Il n’existe qu’un peuple… un peuple indifférencié. Le « peuple de France ». La dominante du populisme est qu’il n’existe pas de groupes sociaux en interaction qui pourraient faire valoir des priorités, des choix différents qu’il conviendrait d’arbitrer en faveur de tel ou tel groupe plus défavorisé. Le populisme surfe sur la souffrance et l’inquiétude de personnes en situation de précarité ou insécurisées pour leur avenir immédiat. A leur égard fusent des promesses dont l’énoncé laisse apparaître un grand dynamisme. Le travail de communication des leaders populistes est intense. Il s’accompagne d’une grande mise en scène qui provoque l’empathie. L’ironie utilisée dans une rhétorique outrancière donne déjà le sentiment de la victoire.
La revendication principale du populisme conduit à proposer une démocratie directe et référendaire. Le manque de rigueur ou l’utopie des propositions est compensé par une contestation systématique des gouvernements. Leurs représentants sont disqualifiés. Ils se présentent comme de prétendues élites mais sont un ramassis d’incompétents et de corrompus. L’establishment et la classe politique en place sont stigmatisés et vilipendés ; qu’il s’agisse de personnes individuelles, d’entreprises, de banques, de corps d’Etat. Seul un chef charismatique et visionnaire peut entrainer le peuple vers un chemin de salut. Il y a à son égard une projection identitaire et son autorité apparait incontestable. Ce leader s’exprime et décide avec une grande liberté puisque personne ne lui demande de comptes. Mais ceux qui l’écoutent ont le sentiment d’être enfin entendus et par là, il conduit à l’adhésion.
Le populisme actuel, de droite comme de gauche, se manifeste dans toute l’Europe. Ce n’est pas un phénomène exclusivement français. Cependant, là où il apparaît, ce mouvement développe un repli identitaire sur des valeurs qui permettent de se penser supérieur à tous les autres. Ce qui est défendu est non négociable : le territoire comme patrimoine matériel et tous les attributs de la souveraineté (entre autres la monnaie), et le patrimoine immatériel (la culture, le mode de vie, la langue, la religion). Selon l’insistance sur l’un ou l’autre point, et malgré les dénégations, ces Mouvements glissent vers le renforcement des frontières, la xénophobie, l’exclusion de celui qui est différent, l’étranger. La violence verbale, et de plus en plus physique, est entrée en politique par ceux qui promeuvent ces courants, ce dont ils ne veulent peut-être pas, mais ce dont ils ne parviennent pas à maîtriser les débordements et les conséquences.
A des degrés divers, le Front National et le Front de gauche, courants populistes d’aujourd’hui, se sont engagés sur des voies semblables à celles-ci. Ils revendiquent cependant l’un et l’autre une volonté démocratique selon les règles actuelles de notre pays. C’est la voie choisie par pour se dés-extrémiser et s’affranchir de toute diabolisation. On peut, bien sûr, s’en réjouir. Mais il serait heureux de franchir encore d’autres pas. Celui de l’alliance et de la collaboration serait essentiel. De ce point de vue, l’un et l’autre se distinguent ; le Front de gauche étant déjà en lui-même constitué d’entités différentes. En revanche, il semble encore difficile au Front National de composer en son sein avec des courants divers qu’il ne maîtrise que par l’exclusion.
La pratique démocratique du consensus pour s’entendre avec qui n’est pas du même avis quant aux priorités et aux choix possibles, est l’art premier de la politique pour qui veut gouverner une nation de plus en plus bigarrée et transnationale. Sans cette visée, il ne sera pas possible de construire un avenir commun. Seuls demeurerait alors le retour en arrière de l’histoire ou l’exclusion, autant de « déconstructions » qui ne seraient possibles que dans une violence accrue.
Pour nous chrétiens, la logique de l’Evangile et de la foi est une logique de communion et d’inclusion. C’est le seul chemin du vivre ensemble. Il a un coût. L’interdépendance généralisée qui est notre condition d’existence aujourd’hui, au sein d’une même nation comme à l’extérieur, nous invite à le payer quel qu’en soit le prix. Vivre ensemble l’emportera-t-il sur le prix à payer ? Cela supposera que nous acceptions que le peuple dont on prétend vouloir le bien, soit conduit au réalisme du possible et ne soit pas trompé par la promesse du meilleur des mondes demain matin.