Coups d’État en Afrique

Depuis 2019 l’Afrique, notamment sa partie francophone, est de nouveau le théatre de coups d’état

Le Mali a connu deux coups d’État successifs. Au Soudan, la révolution citoyenne qui avait emporté la dictature d’Omar El-Béchir vient d’être emportée par un coup de force des militaires nostalgiques de l’ancien régime. Au Tchad, le coup d’État à la mort du président Idriss Deby a entériné une succession dynastique.

C’est plus particulièrement de la Guinée, où les membres de Tournons La Page ont été les chevilles ouvrières de la contestation pacifique et populaire contre un 3e mandat du président Alpha Condé, que nous souhaitons parler. Le pays a connu également un coup de force le 5 septembre 2021. Le président Condé a été arrêté (il est toujours détenu) par les Forces Spéciales de Guinée menées par le colonel Mamady Doumbouya, qui a promis de rendre le pouvoir aux civils à l’issue d’une période de transition et qui est désormais de fait le Président de la République.

Ce putsch ne nous a pas surpris. Le soutien populaire, dont ont bénéficié les putschistes en Guinée (mais aussi au Mali), non plus. En effet, l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir en 2010 avait suscité beaucoup d’espoir au sein de la population guinéenne. Cet espoir était fondé sur la constance de l’opposant politique qu’il était et qui avait mené un long combat pour l’avènement de la démocratie. Malheureusement, Alpha Condé a progressivement sapé ce capital de confiance. Il a réprimé violemment les manifestants pacifiques (au moins 88 morts selon un rapport publié par Tournons La Page) qui s’opposaient à ce que nous qualifions de « coup d’état constitutionnel ». Discréditant la vie politique, sapant le pacte social et les institutions républicaines, le président Condé et son entourage ont ouvert la voix au retour des militaires dans la sphère politique. Las de voir leurs espoirs de changements par les urnes ou par la mobilisation sociale violemment balayés, les citoyens ont, pour beaucoup, accueilli les militaires comme les sauveurs de la nation et comme les seuls acteurs capables de ramener la probité morale dans un pays miné par la corruption et les passe-droits.

Les militants de Tournons La Page emprisonnés ou condamnés à l’exil ont pu retrouver leur pays et leur liberté depuis l’arrivée des militaires au pouvoir. C’est le comble de ce coup d’État, les militaires dont l’histoire est pourtant sanglante en Guinée ont rouvert l’espace civique et politique. Néanmoins, la prudence est de mise et les sociétés civiles doivent contrôler de près la transition politique qui se met en place.

Les coups d’État militaires rappellent les risques que font peser les coups d’État constitutionnels, la corruption et l’affaissement de la vie politique, non seulement sur les alternances pacifiques, mais aussi sur la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest. Il nous semble évident que la stabilité des États passe par le respect des contre-pouvoirs et non par la ténacité d’un homme ou d’un régime. Longtemps considérée comme une zone plus épargnée par rapport à l’Afrique centrale où les dictateurs s’imposent en violation de la loi constitutionnelle, le recul démocratique en Afrique de l’Ouest est flagrant. Les coups d’État au Mali, au Tchad et en Guinée illustrent aussi la défaillance des institutions internationales et régionales censées œuvrer pour la paix et la démocratie. Sclérosées par des chefs d’État et des partenaires extérieurs (UE, USA, ONU…) soucieux uniquement de la stabilité des régimes en place, ces institutions ont perdu leur boussole et leur capacité d’action. La condamnation des coups d’État est légitime pour des institutions dont les textes condamnent toute prise du pouvoir par les militaires. Mais ces mêmes institutions se taisent quand il s’agit de coups d’État constitutionnels. La France et l’Union Européenne condamnent violemment le Mali pour son coup d’État mais soutiennent la succession dynastique au Tchad. Comment rester crédibles ? Face à cette situation, point de fatalisme. Les mobilisations citoyennes fleurissent. Il faut investir dans cette jeunesse qui fait bouger les lignes, non pas seulement sous l’angle fétiche du micro-entreprenariat, mais surtout en lui donnant les moyens d’agir dans le champ social et politique : liberté d’association, de réunion, d’expression ou de manifestation, transparence électorale et respect du choix des urnes, etc. Soutenir ceux qui défendent et étendent l’espace civique est une nécessité absolue.

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