Éthique sociale en Église n° 68 mai 2024
1- L’Europe vue d’en bas
+ En raison des élections au Parlement européen (en France le 9 juin), nous découvrons les visages de députés qui nous représentent à Bruxelles et à Strasbourg. On peut s’en réjouir, d’autant que cela permet des débats sur la manière de considérer l’Union européenne (UE) et d’envisager son avenir. On ne peut en rester à la caricature d’un simple « machin » qui produirait des normes et apporterait des subventions, il s’agit bien d’une instance politique qui peut dynamiser notre vie quotidienne. Cette politique commune est orientée par le travail de celles et ceux que nous allons démocratiquement choisir comme députés, d’où l’importance de rendez-vous électoral du 9 juin. Certes, l’action de ce parlement doit se conjuguer et s’articuler avec le Conseil européen (assemblée des chefs d’État et de gouvernement) et la Commission européenne qui gère au quotidien la vie de l’Union.
Réjouissons-nous que les médias, souvent peu bavards à propos d’Europe, nous familiarisent avec ces institutions en vue de la prochaine élection. D’autant que les gouvernements nationaux ont tendance à se défausser lorsqu’il s’agit de décisions peu agréables, on nous ressort le refrain « c’est la faute à l’Europe ! ». Notre vigilance ne doit pas se relâcher quand des candidats à cette élection cherchent à saper les bases de l’Union, même s’ils n’osent plus parler d’une sortie de l’UE et de l’euro. Il est donc utile de s’intéresser à tous ces débats, sans être dupes de certaines postures.
+ Mon propos n’est pas de contribuer directement à ce débat électoral, mais d’évoquer de manière positive les belles ouvertures que nous offre l’UE ; il s’agit de considérations apparemment banales mais qui mettent en lumière le goût de vivre ensemble dans l’UE. Un premier constat : les différences de langues et de cultures ne sont plus causes de peurs. Le poids de l’histoire, que nous venons de rappeler avec les commémorations du 8 mai, fut lourd de conflits particulièrement barbares, mais rien ne nous oblige à continuer de nous faire la guerre ! L’ouverture des frontières, et la monnaie unique en de nombreux pays, font que nous sommes heureux de nous rencontrer, même si des traducteurs sont nécessaires ! Nous faisons l’expérience de découvertes qui nous enrichissent, de solidarités réelles au travers même des différences. Pour évoquer un contre-exemple, nous savons combien de Britanniques présents chez nous ont vécu comme un déchirement la sortie de leur pays de l’Union ; nombre d’entre eux étant actifs dans les associations, parfois élus locaux. Tout en souhaitant garder leur identité britannique, ils se réjouissaient d’être aussi impliqués positivement dans la vie sociale de leur pays d’adoption. Notre identité n’est donc pas un bloc rigide, elle s’enrichit de multiples emprunts, grâce à des rencontres souvent étonnantes. L’ouverture à l’autre différent devient un art de vivre qui appelle à gérer nos peurs instinctives. Nous pouvons alors considérer notre identité, non comme un mur monochrome qui nous isole, mais à la manière d’une verrière multicolore qui illumine nos chemins de vie.
+ Un exemple positif : le programme Erasmus qui favorise les échanges pour les études et les expériences professionnelles. Si « les voyages forment la jeunesse », ce n’est pas d’abord par les déplacements, mais par les rencontres qu’ils permettent. Cela conduit parfois à des unions transfrontalières ; on estime à un million le nombre « d’enfants Erasmus », nés de parents qui se sont rencontrés grâce à ce programme ! En ces familles, la diversité se vit à la maison ! Voyons donc positivement ces identités qui mélangent les couleurs et les cultures.
+ Un mot encore à propos de politique. Une limite originelle de l’UE est d’avoir été conçue comme un « marché unique » ; une voie qui a permis des solidarités, mais qui laisse au second plan la justice sociale et les échanges culturels. Les crispations à l’égard de l’Europe viennent de la peur d’un déclassement, d’une marginalisation sociale. Certes, la mondialisation financière et économique est bien plus brutale, mais comme on ne sait pas à qui s’adresser au niveau mondial, alors « sus à l’Europe » ! Contribuons plutôt à une Europe populaire et humaniste, solidaire et fraternelle, apte à influencer positivement la marche de notre monde.
2- Face aux défis mondiaux, des peuples responsables
Les débats en vue des élections mettent l’accent sur une Europe « puissante ». Dans un monde marqué par des conflits et des injustices dont les plus pauvres sont les premières victimes, lent à prendre en compte les défis écologiques, il est utile que l’Europe soit forte, pour le bien de ses habitants, mais aussi pour l’avenir de notre terre. Mais il ne suffit pas de proclamer la puissance ! Quels projets doit-elle promouvoir ? Deux sujets parmi d’autres.
+ En 2023, les dépenses militaires dans le monde ont progressé de 6,8%, elles se montent à 2443 milliards de dollars. Certes, il est nécessaire d’assurer la défense des populations et il vaut mieux coordonner les efforts à l’échelle européenne. Mais ce souci du court terme ne doit pas détourner du moyen et long terme. Si l’UE veut se manifester comme une puissance porteuse d’avenir, elle doit promouvoir aussi des formes de défense civile et surtout prendre des initiatives pour bâtir une paix durable, c’est-à-dire basée sur la justice à l’échelle mondiale. La puissance ne se mesure pas uniquement selon des critères militaires et économiques, il ne faut pas négliger la dimension culturelle. À ce propos, le terme de puissance ne convient pas quand il évoque des postures de domination qui provoquent des raidissements. Il est contradictoire de prétendre imposer la liberté et la démocratie par la force des armes, il est dangereux de confondre ces valeurs avec un marché qui se montre prédateur en soutenant les forts et exploitant les faibles. En cultivant des solidarités à l’égard des plus démunis, partout dans le monde, nous contribuons effectivement à la paix.
+ En 2023, la France a connu une baisse de 4,8% de ses gaz à effet de serre par rapport à l’année précédente. Si l’on prend 1990 comme référence de base, la baisse est de 29%, ce qui n’est pas négligeable. On peut y voir un effet bénéfique de décisions nationales, mais aussi européennes. Une victoire qui doit cependant être relativisée : une telle évaluation ne prend pas en compte les émissions importées, c’est-à-dire les dégradations effectuées à l’extérieur pour fabriquer les produits que nous consommons. Or, les gaz à effet de serre ignorent les frontières politiques et économiques ! Tous solidaires face au danger…
3- – Solidaires !
+ En 2O23, plus d’un Français sur deux a fait un don à une association (+ 3% en 3 ans). 56% des 18-35 ans sont des donateurs. Révisons donc nos clichés à propos de l’égoïsme ambiant !
+ Environ 1000 Français meurent chaque année à 105 ans ou plus, dont une très grande majorité de femmes. Les générations nées après guerre vont arriver au temps de la dépendance. Quelles solidarités pour un grand âge humain jusqu’au bout ? Ce qui suppose des moyens humains et financiers… Gouverner, c’est prévoir et organiser ! N’attendons pas !
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