Éthique sociale en Église n°25 octobre 2020  

Le coronavirus continue d’affecter la vie personnelle et les relations sociales, notamment dans les grands centres urbains et dans les lieux de rencontre des jeunes. L’esprit de responsabilité a donc sa place plus que jamais. Mais il nous faut aussi veiller à ne pas amplifier un climat d’anxiété. Au milieu des inévitables contraintes, un peu de légèreté positive fait du bien. Veillons à ne pas enfermer les enfants et les jeunes dans la peur. On peut prendre soin les uns des autres dans la joie !

  • Des mots explosifs : exemple « ensauvagement ». Une expression lancée sans doute pour provoquer la polémique et qui a trop bien réussi. Certains mots sont utilisés pour stigmatiser l’autre en le caricaturant. Rares sont ceux qui se désignent eux-­‐mêmes comme sauvages ! Ce terme renvoie à un imaginaire humiliant, même quand on veut se montrer gentil en parlant de « bon sauvage ». On l’oppose spontanément au civilisé, au cultivé… en se plaçant du côté favorable, bien sûr. Mais cet imaginaire doit être questionné. L’occasion en est fournie par les actes d’un colloque qui s’est tenu au Centre théologique de Poitiers, bien avant la polémique… Eh oui, la réflexion théologique peut éclairer notre jugement !
    Dans un exposé sur l’eschatologie, Roland Poupin (pasteur protestant), cite Aimé Césaire. Celui-­‐ci, rappelant l’esclavage, évoque « un pôle racialiste qui a culminé dans le nazisme : au bout de cet orgueil encouragé, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent« . La mise en garde demeure d’actualité : avant d’en être victime, on peut être complice de ces dérives mortifères qui se glissent dans « les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne ».  L’Allemagne du 20ème siècle était reconnue comme un pays de culture (philosophie, arts…) et de tradition chrétienne, ceci n’a pas constitué un rempart efficace contre la barbarie nazie. Il faut s’en souvenir. Ce qui se présente comme culture et héritage religieux demeure toujours susceptible de « s’ensauvager ». La vigilance éthique reste donc d’actualité, y compris dans notre pays. On doit reconnaître que les droits de l’homme énoncés dans notre héritage culturel et la fraternité affichée sur nos édifices publics ne sont pas toujours au rendez-­‐vous ! Avant de clouer les autres au pilori, avec des termes qui les stigmatisent, chacun peut commencer par s’interroger. La rencontre de l’autre n’est pas toujours chose facile : l’altérité provoque des peurs… Rappelons-­‐nous aussi que l’exclusion sociale induit des « séparations » subies douloureusement par ceux qui en sont victimes et qu’elle fracture les communautés, y compris la communauté nationale.
  • Des indicateurs qui posent question
    – Le nombre des personnes sans abri est estimé à 700.000 dans l’Union européenne et à près de 150.000 en France, en augmentation partout. La veille de la rentrée scolaire, environ 1.000 enfants étaient à la rue, chez nous. La dignité humaine se trouve gravement affectée. Alors que pour faire face aux effets de la pandémie on débloque des sommes considérables et on imagine des solutions innovantes, il est troublant de constater que l’on ne sache pas résoudre ce problème qui s’aggrave. Une telle augmentation du nombre de sans abri a des causes diverses : une fragilité des familles qui renvoie certains à leur solitude, une politique migratoire qui cherche à dissuader les arrivants, une absence de volonté politique efficace à tous les niveaux…
    – La crise sanitaire, sociale et économique liée au coronavirus affecte notamment l’accès à l’école en des pays pauvres. Ce sont souvent les filles qui se trouvent exclues. Elles se trouvent ainsi privées d’une voie d’émancipation susceptible de les aider à prendre conscience de leur dignité et de leur capacité à agir. Justement, les femmes ayant bénéficié d’un bon parcours d’éducation deviennent actrices de développement. Un retard dans la scolarisation des filles représente un handicap pour toute une génération.
    – Une enquête menée par des journalistes de plusieurs pays a montré qu’en guère plus de 15 ans 2.000 milliards de dollars de capitaux criminels (drogue, prostitution, racket, trafics en tous genres…) ont été « blanchis » par des grandes banques internationales (aucune n’est française). Imaginons que cet argent criminel ait été bloqué en vue d’être consacré à l’alimentation des 820 millions de personnes en souffrance, ou encore à l’école et à la santé dans les pays pauvres… Des choix opérés par certains décideurs, dont le seul objectif est le profit immédiat, font que la misère perdure et parfois augmente.
  • Une encyclique du pape François : Tous frères (Fratelli tutti). Ce texte a été publié en la fête de saint François d’Assise, une manière de relier cette encyclique à la précédente «Loué sois-­‐tu» (Laudato si’). Déjà celle-­‐ci indiquait la connexion entre la crise environnementale et la crise sociale, avec son lot de pauvretés et de conflits. «Tous frères» : certains vont sans doute dénoncer un rêve illusoire. Mais il vaut la peine de cultiver une utopie positive afin de dépasser un pragmatisme étroit et froid, un pseudo réalisme qui implique la soumission aux puissants et l’enfermement dans le chacun pour soi. Fratelli tutti, une invitation forte et mobilisatrice pour travailler à former effectivement une seule et même humanité ; dans le respect des différences, nous pouvons apprendre à vivre en frères et sœurs. Une utopie positive qui interroge chacun, toujours tenté de recentrer le monde autour de sa personne ou de son groupe d’appartenance, qui questionne nos peurs et nos fascinations pour les murs de séparation. La  fraternité est d’abord une promesse de joie partagée. La référence évangélique est la parabole du « bon samaritain ». Il s’agit donc d’une fraternité qui prend en compte une dimension universelle : elle déborde les frontières sociales, politiques, religieuses… On peut noter que cette parabole est lue et commentée bien au-­‐delà des cercles chrétiens. Mais il ne suffit pas de chanter la fraternité ! Elle doit prendre une forme pratique par la reconnaissance des droits humains, y compris les droits sociaux. Elle implique aussi des politiques basées sur la promotion de la justice et de la paix. François reprend le cri de ses prédécesseurs : «Jamais plus la guerre !». Quant aux religions elles doivent récuser tout discours de haine et travailler ensemble au service de la fraternité. Ces quelques mots veulent inviter à aller soi-­‐même lire l’encyclique ! Édition officielle Bayard, Cerf, Mame, pour le modeste prix de 4€50 !
  • Atelier au Centre théologique : Les leçons d’une pandémie (Animateur : A. Talbot)
    La 1ère rencontre a eu lieu avec des échanges prometteurs… De 16h à 17h30, les lundis 12 octobre, 2-­‐16-­‐30 novembre , 14 décembre 2020. À Poitiers, maison Saint-­‐Hilaire (maison diocésaine), 36 Bd Anatole France.
    Rendez-­‐vous dans un mois pour le prochain numéro de #DIÈSE