Revivifier la démocratie
Le concept d’État de droit s’oppose à la notion de pouvoir arbitraire. Il désigne un État dans lequel la puissance publique est soumise aux règles de droit, un « État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée ». L’État de droit implique une hiérarchie des règles de droit, l’égalité devant la loi et la séparation des pouvoirs.[1]
Des pratiques contestables en France
Dès juin 2016, Christine Lazerges, à l’époque présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), déclarait dans la Lettre de Justice et Paix : « Depuis les premiers actes terroristes qui ont frappé douloureusement la France en 1986, le Parlement a, petit à petit, créé puis durci une procédure pénale dérogatoire ou d’exception pour un certain nombre d’infractions liées au terrorisme, mais aussi plus largement à la criminalité organisée. Dans le cadre de cette procédure dérogatoire, que j’appelle ʺ procédure pénale bis ʺ, les garanties classiques du procès pénal sont moindres : la garde à vue peut être plus longue, les perquisitions plus faciles, etc. Un certain nombre de garanties de la procédure pénale de droit commun sont refusées. Plus de trente réformes du droit pénal et de la procédure pénale sont venues bouleverser l’équilibre entre liberté et sécurité. »
Le phénomène s’est approfondi avec des états d’urgence à répétition fondés sur le terrorisme ou la Covid-19. De même à Calais et Grande-Synthe, les pouvoirs publics ont mis en place une politique intransigeante de lutte contre les « points de fixation » sur l’ensemble du littoral de la Manche afin de dissuader les personnes exilées de venir sur cette zone.[2]
Stéphanie Hennette Vauchez[3] explique comment « les régimes d’exception confèrent aux autorités publiques, et notamment au pouvoir exécutif, des pouvoirs exorbitants du droit commun. (…) L’état d’urgence était autrefois un interrupteur qui était soit allumé, soit éteint. Il est devenu un variateur ». Ainsi la fermeture des lieux de culte par les préfets a été instaurée en 2016, normalisée en 2017 dans la loi sur le terrorisme et en 2021 dans la loi séparatisme. « Dans cet exemple comme dans des centaines d’autres, l’état d’urgence a permis à la logique de l’exception de se disséminer peu à peu dans l’ensemble de l’ordre juridique. »
Le monde entier est concerné
Dès 2001, le Conseil de sécurité des Nations unies a exigé la mise en place par les États d’une réglementation pénale relative au terrorisme. Quand un pays l’a refusé en 2004 au prétexte qu’il n’avait pas de terrorisme chez lui, il s’est fait critiquer par le Conseil. Au fil des ans de nouveaux domaines ont été ajoutés, par exemple en matière financière. Les Nations unies ont ainsi promu une admissibilité mondiale de l’exception, sa normalisation au plan national.[4]
La Covid-19 a poussé les États vers quatre stratégies d’urgence : utilisation traditionnelle des pouvoirs, utilisation sans base légale, utilisation extensive, reconversion des pouvoirs sécuritaires vers la Covid-19. Des mesures nationales et locales ont cohabité. Ainsi en France « Un grand nombre d’autorités ont ajouté des interdictions au niveau local, qui étaient totalement inutiles et qui s’inscrivaient dans une forme de surenchère hystérique de normes. »[5]
Face à cela le Conseil des droits de l’homme des Nations unies étudie des mécanismes de surveillance. La Rapporteuse, Fionnuala Ní Aoláin, souhaite que les efforts portent particulièrement sur la protection de la santé et l’environnement. « Les solutions ne sont pas si dures à trouver : elles consistent à revivifier la démocratie, à renforcer la participation des citoyens, à consolider l’espace civique et à défendre l’idée que la dignité de la personne humaine est fondamentale. »[6]
[1] L’État de droit : définition| Vie publique.fr (vie-publique.fr)
[2] CNCDH. Avis sur la situation des personnes exilées à Calais et Grande-Synthe, 11 février 2021
[3] La démocratie en état d’urgence, Quand l’exception devient permanente, Le Seuil ; 2022 et « Le Monde » 23 janvier 2022
[4] Ibid page 181 : « La lutte contre les abus de l’exception est un combat aussi ancien que le droit lui-même », Conversation entre Fionnuala Ní Aoláin (Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales) et Stéphanie Hennette Vauchez.
[5] Ibid
[6] Ibid