Éthique sociale en Église n°34 juillet 2021

1 – Lucidité et modestie. Au vu des dernières élections et de l’abstention.

* Les 2/3 des citoyens ne se sont pas déplacés pour aller voter. Un signal qui nous concerne tous, qui invite à un regard critique. L’abstention électorale ne concerne donc pas seulement des pays soumis à un pouvoir autoritaire. Restons modestes aussi parce qu’une nation développée comme la nôtre n’a pu assurer un service public mettant à disposition des électeurs les documents utiles pour un vote lucide. Quand les pouvoirs publics font preuve d’une telle légèreté, le citoyen a du mal à se motiver pour aller voter.

* On semble oublier ce choc de l’abstention, rêvant que la future élection présidentielle remette tout en ordre. Naïveté ! Nous risquons de succomber à une vision magique de l’élection et de la fonction présidentielles. La politique s’inscrit d’abord dans la proximité : évaluons donc à leur juste mesure les élections locales. On peut aussi s’inquiéter de la personnalisation excessive des débats, au détriment de programmes politiques qui prennent en compte la situation mondiale. Nous nous trouvons face à des défis majeurs en matière écologique, mais aussi avec la montée des pauvretés et l’augmentation des revenus des plus riches, sans oublier le poids croissant de pays qui ne font pas grand cas des droits humains. Face à de tels enjeux, les querelles de personnes paraissent ineptes, même si elles passionnent certains commentateurs.

* La formation de l’esprit citoyen se tisse d’abord au quotidien, parlons aussi des bonnes nouvelles. Des enfants et des jeunes qui s’engagent pour des gestes écologiques, pour réguler les tensions entre eux ; une hypermédiatisation des actes de violence ne rend pas compte de la situation réelle et oublie ces engagements de tous les jours. Il y a aussi tous les acteurs économiques qui modifient leurs pratiques, avec courage et intelligence, afin que notre maison commune devienne plus saine et plus solidaire. La démocratie se construit au quotidien grâce au développement d’un tel esprit citoyen et responsable.

* Encore un mot à propos des dernières élections. Une fois de plus, les annonces des sondages ont été démenties par le vote. Des commentaires qui laissent penser que tout est joué d’avance n’incitent guère à se déplacer. On affirme trop souvent : «  les Français veulent que… », alors que « l’opinion » mesurée à un moment ne correspond pas forcément aux choix réfléchis. Ne nous laissons pas impressionner par le discours pseudo scientifique qui accompagne les sondages : il y a aussi du « prêt à penser » !

 

2 – Alarme pour les plus pauvres

* La pandémie affecte gravement la vie des populations fragiles. Les vaccins arrivent difficilement dans les pays les plus pauvres tandis que les tensions économiques accentuent la misère. On estime à 155 millions le nombre de personnes qui souffrent de famine aiguë, ce qui signifie que leur survie est immédiatement en danger ; 55 pays sont concernés (ex. Madagascar) dont certains semblaient tirés d’affaire, exemple le Brésil ou l’Éthiopie ; en ce pays, la région du Tigré est particulièrement affectée, la famine peut être une arme de guerre. Pourquoi n’y a-t-il pas une mobilisation mondiale d’urgence ?

* Autre conséquence : le travail des enfants est en hausse, il concerne 160 millions (1 enfant sur 10), la moitié d’entre eux ont entre 5 et 11 ans.

* À la suite des objectifs  du millénaire pour le développement (OMD, de 2000 à 2015) qui avaient eu des effets positifs en impliquant les acteurs politiques, économiques et associatifs, les 17 objectifs pour un développement durable (ODD, 2015-2030) comportaient des projets ambitieux pour améliorer la situation des plus pauvres, ils ne sont actuellement pas tenus. La misère n’est pourtant pas une fatalité !

 

3 – Justice sociale et bien commun

* Nous retrouvons la politique et sa mission propre de mise en œuvre des solidarités. Celles-ci s’organisent d’abord au plan local, territorial et bien sûr national ; mais elles doivent aujourd’hui déborder les frontières. La pauvreté extrême représente une violence qui engendre d’autres violences. Il ne peut y avoir de paix en l’absence de solidarités effectives à tous les niveaux et de respect des droits humains fondamentaux.

* Un signal : la défenseure des droits en France et le président du comité consultatif national d’éthique (CCNE) ont publié un appel commun concernant les conditions de vie inhumaines de migrants, amplifiées par les expulsions des camps en vue de les rendre « invisibles ». Ils estiment que « nos grandes valeurs sont bafouées tous les jours en mettant gravement en cause la dignité humaine ». Avant de jouer les donneurs de leçon face au monde, commençons par nommer nos propres incohérences. Cet appel a été peu relayé par les médias, il questionne pourtant notre esprit civique.

* Les échéances électorales interrogent nos visions de l’humain. Si on le réduit à un individu en quête de ses seuls intérêts immédiats – vision réductrice largement répandue – à quoi bon s’engager pour un bien commun qui inclut les générations à venir, pour des solidarités qui débordent les frontières ? Le renouveau de l’esprit démocratique comprend donc une dimension culturelle et, osons le mot, éthique.

 

4 – Déploiement spirituel

Nous souffrons d’un individualisme doublé d’un matérialisme qui réduit le goût du bonheur à un appétit de possession d’objets. Nous valons mieux que cela ! Ne ratons pas les occasions de déployer notre désir d’une vie bonne sous le signe du partage. J’ai eu cette chance dans le cadre d’une rencontre à Salvert dont l’objet était clairement un partage spirituel. Salvert (www.salvert.org), un héritage basé sur une communauté religieuse qui comprend aujourd’hui des maisons d’accueil pour enfants, une pour femmes en difficulté et une pour mineurs étrangers ; mais aussi une école Montessori et une ferme bio.

Ce temps fort spirituel a permis une rencontre étonnante entre une trentaine de personnes d’origines diverses, d’âges différents, de convictions religieuses variées, sans oublier des fonctions professionnelles ou associatives diversifiées. La proposition d’un partage spirituel a permis des échanges sur la base d’un respect de la personne humaine en sa singularité, tout en prenant en compte la formation d’un esprit commun. Une telle reconnaissance mutuelle permet à chacun de déployer ce qu’il porte de meilleur en lui-même, au bénéfice de l’ensemble. Les témoignages évoquant des situations de souffrance, qui furent dépassées grâce à la confiance accordée, ont rappelé à chacun que ses fragilités ne sont pas un handicap absolu ; chaque personne peut grandir en se mettant au service des autres. Une telle expérience de partage spirituel favorise une créativité inventive, les actions entreprises se basent alors sur des attitudes nourries d’amour. La référence à l’amour n’est pas réservée à l’intime, elle peut être efficace d’un point de vue social : il s’agit de goûter la vie fraternelle en la servant concrètement.

Père André Talbot

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