CNCDH – Observatoire de l’état d’urgence sanitaire et du confinement – lettre n°2

La mise en place de l’état d’urgence sanitaire pour lutter contre la pandémie de Covid-19 peut soulever, dans son application, un certain nombre de difficultés en termes de respect des droits et libertés.

La CNCDH a donc décidé de mettre en place un Observatoire de l’état d’urgence sanitaire et du confinement pour les recenser et produire des recommandations à destination des pouvoirs publics. A la lecture des informations reçues et à la suite d’échanges avec les associations œuvrant sur le terrain, la Commission est particulièrement inquiète de l’impact de la situation sur les enfants. Elle a donc décidé de consacrer cette deuxième lettre à la protection de l’enfance, confrontée à de nombreuses difficultés qui nécessitent la mise en place de mesures d’adaptation. Toutefois, si des dérogations doivent être prises, elles doivent être proportionnées et conformes au respect des droits fondamentaux.

DANS LE CONTEXTE ACTUEL DE LA LUTTE CONTRE LE COVID-19, ASSURER LA PROTECTION DE L’ENFANCE.

Le système public de protection de l’enfance, déjà sous tension depuis de nombreuses années, voit son travail quotidien lourdement entravé par les mesures de confinement en vigueur depuis quatre semaines. En France, plus de 300.000 enfants et jeunes majeurs sont pris en charge dans le cadre de la protection de l’enfance. Qu’ils soient maintenus à leur domicile ou séparés de leur famille afin de les protéger, ces enfants sont tous concernés par les mesures de confinement qui ne sont pas sans conséquence sur leur quotidien. Les foyers d’accueils sont confrontés à des situations très difficiles : maintenir pendant plusieurs semaines des enfants et des adolescents, dont certains en grande détresse, confinés, sans scolarisation, est un véritable défi pour les équipes, surtout dans un contexte de manque de personnel.

A cet égard, la CNCDH salue la décision du Gouvernement d’inclure, à compter du 23 mars, les professionnels de la protection de l’enfance dans la liste des personnels désignés prioritaires pour bénéficier de la garde d’enfants, afin de renforcer les équipes d’encadrement. Néanmoins, la Commission s’inquiète du manque d’équipement de protection disponibles, sachant que maintenir des distances physiques avec des enfants est illusoire. La protection des enfants et des personnels doit être assurée en fournissant tout le matériel nécessaire de prévention aux centres d’accueil et foyers. Les espaces réduits, surtout en milieu urbains, et dans certains cas la suspension des liens avec la famille pendant le temps du confinement, peuvent mener à des tensions et des violences. En raison de la fermeture des écoles, les éducateurs ont dû adapter leurs missions, ce qui a fait ressortir le manque de personnel formé à tous les besoins des enfants sous mesure de protection. Les troubles de l’anxiété de certains enfants peuvent être exacerbés par la situation et les foyers éprouvent des difficultés à assurer un suivi psychologique approprié, déjà lacunaire en temps normal. La situation des enfants ayant des troubles psychiques est à cet égard particulièrement inquiétante. La poursuite du confinement durant un second mois doit aussi se traduire par un soutien particulier des parents ayant un enfant handicapé.

La CNCDH tient à saluer la mise en place d’une enquête « Flash » de la DREES sur le fonctionnement des établissements et des services de l’aide sociale à l’enfance pendant la période de confinement. Elle aurait souhaité que les modalités du maintien du lien entre parents et enfants figurent parmi les thèmes étudiés. Elle invite le Gouvernement et les acteurs de la protection de l’enfance à être particulièrement attentifs aux résultats de cette enquête et à prendre les mesures qui s’imposeront après analyse. La CNCDH suivra également de près les conclusions de l’enquête et la mise en œuvre des mesures qui seront prises afin que les établissements de la protection de l’enfance soient mieux préparés à tout type de crise, notamment sanitaire. La Commission s’inquiète aussi de la discontinuité du service de la prévention et de la protection de l’enfance dans de nombreux départements. Le projet pour l’enfant(PPE), lorsqu’il est mis en place, peut dans ce contexte être un outil particulièrement utile pour assurer un suivi complet de l’enfant et de ses besoins. Le confinement  empêche les éducateurs d’effectuer leur suivi habituel à domicile, sauf en cas d’urgence. Bien qu’ils tentent d’adapter leur travail aux circonstances en maintenant des liens par téléphone, en prodiguant, par exemple, des conseils sur l’organisation de l’école à la maison ou en tentant d’apaiser des tensions, il est à craindre que ce suivi ne soit pas suffisant pour des familles qui se trouvent souvent dans des situations de vulnérabilité et d’isolement, et pour lesquelles les aides familiales sont leur seul lien social.

De plus, la suspension des mesures d’assistance éducative qui s’inscrivent sur un temps long, risque d’entraver fortement tout le travail déjà entrepris. Cette situation fait peser une responsabilité supplémentaire sur les éducateurs, qui doivent évaluer seuls des potentielles situations de danger à distance. La CNCDH estime que les personnels des services de prévention et de suivi devraient être dotés des outils de communication adaptés à un travail à distance. Par ailleurs, des informations claires doivent être disponibles pour les enfants, les familles, les familles d’accueil et les professionnels, notamment concernant les personnes référentes et les permanences pendant cette crise sanitaire. Les mesures de soutien assurées auprès des familles, le suivis des enfants en situation de handicap ou les suivis psychologiques des enfants doivent être maintenus voire renforcés, au besoin via les appels visiophoniques.

La CNCDH entend rappeler l’importance du maintien des liens familiaux, consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant et la Convention de européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale entend garantir le respect de certains principes : maintien des liens entre l’enfant et sa famille par tout moyen y compris un moyen de communication audiovisuel, suspension des droits de visite et d’hébergement par décision motivée du juge.

Malheureusement, il semble que cette ordonnance ne soit pas toujours respectée, compte tenu des dispositions prises par certains services sociaux depuis le début du confinement. Ainsi, il a été signalé que les droits de visite ont été remplacés, sans concertation avec les parents et les enfants, par des contacts seulement téléphoniques une fois par semaine, sans décision du juge et sans consultation préalable des parents et des enfants. Dans de nombreux départements, aucune mise en relation par des moyens audiovisuels ne paraît avoir été organisée de matière systématique.

La suppression des droits de visite, sans concertation avec les parents et les enfants, l’absence de recherches de solutions adaptées, portent atteinte aux droits fondamentaux découlant des textes internationaux, qui imposent la proportionnalité des mesures constituant des ingérences dans le droit de vivre en famille et la participation adéquate à ces mesures des parents et des enfants. Dans le cas de garde partagée des enfants le contexte du Covid-19 rend difficile le règlement des conflits entre parents. Des situations urgentes ne sont pas jugées comme telles, ce qui met les enfants dans des situations conflictuelles parfois dangereuses.

VEILLE JURIDIQUE

Respectons les droits des enfants et des parents dans la procédure judiciaire. L’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 donne la possibilité aux juges des enfants de se prononcer sans audience et sans recueil des observations des parties. Elle ne prévoit pas l’audition ou le recueil des observations de l’enfant alors même que l’enfant capable de discernement est partie à la procédure et que son droit à être entendu est un principe consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant. Pourtant, les décisions qui pourront être prises par les juges des enfants, sans contradictoire réel, et pour de trop longues durées, seront lourdes de conséquences : prolongation des mesures d’assistance éducative de plein droit jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire; renouvellements de mesures pouvant aller jusqu’à neuf mois pour les placements, un an pour les mesures de milieu ouvert, sur le fondement d’un rapport éducatif dont l’accès et la communication aux parties est encore plus compliqué qu’en temps normal.

L’état d’urgence sanitaire ne justifie pas une telle disproportion dans l’atteinte aux droits des parties. Par ailleurs l’accord écrit de l’un des parents, en l’absence d’opposition écrite de l’autre, peut permettre de reconduire le placement sans audience et audition des parents pour une durée qui ne peut excéder neuf mois. Aucune précision n’est apportée sur les conditions de recueil de cet accord, alors que s’agissant des personnes en situation de pauvreté, qui sont particulièrement vulnérables, ces conditions peuvent s’avérer décisives sur la sincérité de leur accord. Enfin, la CNCDH est particulièrement inquiète de la situation des enfants privés de liberté, dans un contexte où la protection contre l’épidémie n’est pas assurée en milieu carcéral, où l’accès à l’éducation et aux activités n’est pas maintenu, et les contacts avec les familles sont rompus.

Elle rappelle son inquiétude sur le recours extrêmement répandu à la détention provisoire pour les mineurs, alors que les mesures éducatives devraient primer, et au faible nombre de remises en liberté. Dans ce contexte, elle s’oppose à la prolongation de droit des détentions provisoires pour les mineurs de plus de 16 ans, prévue dans l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale.

MALTRAITANCE FAITE AUX ENFANTS : REDOUBLONS DE VIGILANCE.

Le confinement des familles peut représenter dans certaines familles un risque accru de violences intrafamiliales. La cohabitation constante qu’il impose est un facteur important de passage à l’acte pour un parent violent, ou de réitération de gestes violents de sa part. L’absence de scolarisation et d’activités extérieures limite les possibilités d’alerte et de signalement. Certains enfants ne croisent plus aucun autre adulte, alors que ces derniers peuvent le cas échéant signaler des violences constatées. Le risque de violences conjugales est lui aussi considérablement accru, et l’on sait combien celles-ci affectent les enfants de manière significative. La commission rappelle que pour les familles mal logées, le confinement se fait dans des conditions extrêmement difficiles (logement insalubre, surpeuplé, dépourvu de cuisine ou de salle de bain…). Ces familles devraient bénéficier d’un espace où sortir leurs enfants quelques heures par jour et leur déconfinement devrait être prioritaire. Il faudra aussi envisager un suivi psychologique pour les traumatismes qu’une telle situation ne manquera pas d’engendrer.

Dans ce contexte, la CNCDH salue le déclenchement du plan de continuité d’activités du service 119-Allo Enfance en Danger qui garantit un maintien de l’activité des écoutants, indispensable au repérage des situations de danger ou de risque de danger d’enfants. Il convient également de rappeler que chaque tribunal judiciaire a mis en place un plan de continuité d’activité, qui permet d’assurer le traitement des contentieux urgents etd’assurer la protection de tous les enfants. A ce titre, des permanences sont assurées dans les tribunaux pour enfants afin de prendre les mesures utiles de protection pour les enfants exposés à une situation de danger. La CNCDH tient à saluer la réactivation des campagnes de sensibilisation contre les violences et abus, incluant les violences éducatives ordinaires, par la diffusion massive des numéros d’urgence et plateformes d’informations (via les réseaux sociaux, radio, télévision, …). Elle invite le Gouvernement à poursuivre la diffusion de ces campagnes pendant toute la durée du confinement, en particulier les dispositifs d’accompagnement par tchat ou sms permettant un signalement plus discret que par téléphone.

Respectons les droits fondamentaux des mineurs non accompagnés

La situation des mineurs non accompagnés est extrêmement préoccupante. Beaucoup sont encore à la rue, en particulier chez les primo-arrivants qui ne savent pas vers qui se tourner pour obtenir de l’aide, beaucoup de structures associatives étant fermées. Il convient de mettre à l’abri tous les enfants à la rue (qu’ils soient non accompagnés ou pas) dans des centres d’accueil adaptés. A cette fin, les maraudes doivent être maintenues et les personnels équipés du matériel nécessaire de protection. Un hébergement sûr doit être immédiatement mis à la disposition de toute famille ou enfant vivant à la rue. Les associations spécialisées dans l’accompagnement des mineurs en danger devraient être soutenues par les institutions alors qu’elles craignent aujourd’hui ne pas recevoir les subventions attendues cette année du fait du Covid-19. Les jeunes non accompagnés en attente d’une évaluation de leur situation doivent être mis à l’abri. Si le ministère de la Solidarité et de la Santé a précisé aux personnels chargés de cette évaluation qu’une continuité d’activité doit être prévue en ce qui concerne les missions relatives à l’évaluation sociale de la minorité et de l’isolement ainsi qu’à la mise à l’abri, la CNCDH recommande d’insister en priorité sur la mise à l’abri et sur l’octroi d’un hébergement, comme l’a demandé la Cour européenne des droits de l’homme à la France le 30 mars dernier. La mise à l’abri concerne également les jeunes majeurs dont la continuité de la prise en charge doit être assurée au moins jusqu’à la fin de la crise sanitaire. La CNCDH rappelle que les conditions d’hébergement d’urgence sont inadaptées à un confinement qui dure : nourriture insuffisante et de piètre qualité, impossibilité de se faire des repas, manque de produits d’hygiène, surpopulation nuisant au respect des « gestes barrière », manque de moyens et d’outils pour suivre les cours à distance, parfois même interdiction de toute sortie des hébergements, en contradiction avec les consignes officielles.

Par ailleurs, la possibilité donnée par l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 de refuser une assistance éducative sans audience risque d’impacter de nombreux mineurs non accompagnés qui n’auront pas pu faire valoir leurs droits.

Enfin, malgré les mesures d’urgence votées par l’Assemblée nationale interdisant la sortie des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance des mineurs atteignant leur majorité, la CNCDH s’inquiète de continuer à recevoir des signalements selon lesquels des mineurs seraient remis à la rue le jour de leur majorité.

EN CONSÉQUENCE, LA CNCDH RECOMMANDE :

˿ L’application effective des plans de continuité de l’activité dans tous les services d’Aide sociale à l’enfance, assortie d’un référencement clair des personnes et services ou structures joignables, communiqués à tous les enfants, les familles et les professionnels concernés et accessible en ligne. Il conviendra d’adapter ces plans en fonction de l’analyse des résultats de l’étude de la DRESS.

˿ La fourniture de tout le matériel adapté à la mission des professionnels de l’enfance : matériel de protection (masques, gel hydroalcoolique, blouses, gants), mais aussi de télétravail et de communication avec les familles (téléphone et/ou tablette, ordinateur portable, intranet…), et l’augmentation des moyens (dans l’immédiat éventuellement en affectation temporaire de personnel  par exemple en faisant appel aux volontaires de 3e année d’études d’éducateur) des services d’aide sociale à l’enfance, à la hauteur des exigences qui pèsent sur eux.

˿ L’amélioration de l’accès aux activités pédagogiques à distance.

˿ Le maintien des liens familiaux des enfants placés en utilisant, notamment, les dispositifs audiovisuels.

˿ Le maintien du respect du principe du contradictoire dans les procédures devant le juge des enfants, quitte à avoir recours à des moyens de communication à distance.

˿ L’accélération des remises en liberté des mineurs incarcérés et l’arrêt de toute prolongation de détention provisoire sans audience devant le juge des liberté et de la détention.

˿ Envisager le déconfinement prioritaire des familles mal logées, avec une proposition de suivi psychologique et dans l’attente leur proposer un espace de sortie quelques heures par jour.

˿ L’application de la présomption de minorité et en conséquence la mise à l’abri de tous les mineurs ou supposés tels, sans condition ni procédure d’évaluation de l’âge, pendant toute la durée du confinement, et aucune remise à la rue.

˿ La prolongation systématique du délai pour déposer une demande de titre de séjour pour tous les mineurs étrangers ayant atteint la majorité durant le confinement.