Éthique sociale en Église n°39 décembre 2021
1 – Migrations : des chiffres
* Une référence sûre : l’Institut national d’études démographiques (INED). Il publie chaque mois un 4 pages intitulé « Population et sociétés » qui est facilement accessible. Le n° 594 (novembre 2021) définit les termes, ce qui évite des confusions, et indique des chiffres tout en précisant comment ils sont obtenus ; l’emploi de mots imprécis et la propagation de chiffres fantaisistes nourrissent les polémiques et alimentent les peurs…
* En 2019, 4,9 millions d’étrangers résidaient en France (dont 4,2 millions d’immigrés et 700 000 nés en France). En ce qui concerne le pourcentage d’immigrants par rapport à la population totale, la France se situait au 16ème rang des 28 membres de l’Union européenne (la Grande Bretagne était encore dans l’UE).
* Il faut aussi parler des émigrants : ceux qui quittent le territoire français. La collecte des chiffres est malaisée, notamment pour connaître le nombre de Français vivant à l’étranger. Pour 100 personnes nées en France, 4 vivent à l’étranger, soit plus de 2 millions. En 2017, 215 000 personnes ont quitté la France, dont 30% d’immigrés.
* Une conclusion de cette étude : « Si la France est historiquement un pays d’accueil, elle est devenue l’un des pays d’Europe de l’Ouest où l’immigration est, en proportion, parmi les plus faibles. Une partie significative de ses immigrés quitte son territoire dans les années qui suivent leur arrivée et ses propres ressortissants sont de plus en plus nombreux à émigrer. »
* Le recours aux chiffres met un peu de raison en des débats qui cultivent la polémique et jouent sur les peurs. Dans le climat pré-électoral, certains parlent de « fermer les frontières ». En bonne logique, il faudrait les fermer dans les deux sens et interdire aux Français de partir à l’étranger, y compris pour fonder une famille ou faire des affaires…
2 – Pauvretés, encore des chiffres
• Selon le Secours catholique, en France, 7 millions de personnes se trouvent en situation de précarité alimentaire, soit près de 10% de la population. De fait, les associations humanitaires ont connu une forte augmentation des demandes d’aide alimentaire, en raison notamment de la crise sanitaire qui a amplifié le basculement dans la pauvreté. La même source indique que 2,8 millions de parents (20%) ont dû renoncer totalement à l‘achat de cadeaux pour les fêtes de 2020. Les remontées des acteurs de terrain qui rencontrent les personnes en difficulté sont précieuses : elles permettent de voir la situation dramatique d’un nombre important de nos concitoyens. C’est souvent la triple peine : les souffrances liées à la pauvreté, l’impression d’être invisible, et parfois l’accusation d’être la cause de sa propre misère.
• Attention ! Les moyennes statistiques peuvent être trompeuses et servir de cache misère. On dira que la pandémie n’a pas affecté les revenus des Français si on s’en tient à une moyenne générale. Mais certains voient enfler leurs confortables réserves tandis que des millions d’autres ne peuvent se nourrir correctement.
• Une question pour temps d’élections : appartenons-nous encore à une société commune, sur une base de solidarité, si certains d’entre nous se trouvent condamnés à la misère ? Évoquer une nécessaire justice sociale n’est pas un gros mot.
3 – La faim dans le monde : toujours des chiffres
En raison de la pandémie et du dérèglement climatique, on note une augmentation sévère de l’insécurité alimentaire : 6OO millions de personnes supplémentaires risquent de souffrir de la faim et, selon l’ONU, 274 millions ont besoin d’une aide d’extrême urgence. Une situation qui continue de se dégrader depuis plusieurs années.
4 – Déchets : le retour du refoulé
* La notion de déchet, dans la réflexion chrétienne, évoque à la fois les ordures, ce qu’on jette derrière soi pour ne plus le voir, mais aussi des humains qui se trouvent mis en marge et de fait exclus de la vie sociale « normale ». Par un transfert osé, on se permet de recourir à la notion psychologique de refoulement pour parler de situations sociales. Une personne peut enfouir des souvenirs traumatisants, au point d’imaginer les avoir oubliés, mais ils continuent d’encombrer la vie psychique et relationnelle ; un travail de mise au jour peut ouvrir un chemin de libération.
* Revenons aux questions sociétales. Nous pensions avoir tout bon avec le tri et le recyclage des ordures ; mais nous « exportons » les éléments les plus sales et difficiles à retraiter ; or, de nombreux pays refusent maintenant de les recevoir. Nous imaginions avoir réglé le problème et il nous revient en pleine figure.
Quant aux migrants, nous pensions qu’une fermeté jusqu’à la maltraitance les dissuaderait de venir chez nous. Mais des images de la frontière polonaise et d’un naufrage en Manche, avec des décès dans les deux cas, nous rappellent que des êtres humains, dont des enfants, se trouvent traités de manière indigne et en danger de mort.
* Plutôt que refouler, il vaut mieux traiter avec raison et humanité. Pour les ordures, nous devrions être capables de recycler chez nous, mais ce n’est peut-être pas assez « noble » aux yeux de certains ! Pour les migrants, en plus d’un accueil digne, il serait urgent de favoriser un réel développement là où ils sont nés. Malheureusement, nous n’en prenons pas le chemin : la Cop 26 a achoppé sur le soutien aux pays pauvres les plus exposés : les sommes promises ne sont même pas réglées (seulement 83 milliards sur les 100 annoncés) ; les vaccins contre le Covid tardent à arriver en ces pays.
* Plutôt que fêter des ventes d’armes, il vaudrait mieux travailler à un désarmement négocié et consacrer les fonds à un développement humain.
5 – Des mots pour espérer
• Ne nous laissons pas impressionner par des discours culpabilisateurs qui dénigrent le « camp du bien », les « bien pensants », le « droit de l’hommisme »… S’occuper de bien penser, c’est-à-dire en raison et avec de solides références éthiques, est préférable aux discours de haine qui sèment la violence. Quant à l’humanisme, ce n’est pas un gros mot : en prenant soin de l’humain, à commencer par le plus fragile, nous espérons avancer ensemble sur les chemins de la concorde et de la paix, pour le bien de tous.
• La fête de Noël est pour beaucoup l’occasion de porter un regard fraternel vers ceux qui souffrent et de contribuer à leur soutien. Ne ratons pas le rendez-vous ! Pour cela, il est bon de se libérer des peurs et des rancœurs, des confusions entre bonheur et possession. Le pape François nous y invite : « Un chemin de fraternité, local et universel, ne peut être parcouru que par des esprits libres et prêts pour de vraies rencontres. » (Encyclique « Tous frères » n° 50) Oui, osons devenir libres pour aimer un peu mieux !
Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE
Suite à l’atelier annoncé dans la parution de septembre, le fruit du travail en commun sera diffusé sous le titre : Servir la vie, Contribution au débat citoyen. La forme du premier numéro de l’année sera donc particulière.