Éthique sociale en Église n°78 mars 2025
1 – Osons parler de courage
Courage, un terme qui semblait déserter notre langage courant. Les publicitaires nous promettent le meilleur sans peine et à petit prix, certains politiques laissent entendre que le ruissellement, allant du plus riche au plus démuni, suffit pour assurer la justice sociale… Bref, à quoi bon l’effort, la volonté de bien faire, l’engagement pour la solidarité…
Et pourtant, c’est un beau mot : le courage a le cœur en sa racine et il évoque la force morale. Il en faut pour le tout-petit qui se relève après la chute pour apprendre à marcher, heureusement avec les encouragements de ses proches. À tout âge le courage mérite d’être salué et soutenu. Il en faut pour l’enfant de trois ans qui affronte la brume hivernale afin de rejoindre son école, mais il fait parfois les derniers pas en courant, heureux de rejoindre les copains et de découvrir de nouvelles choses. Il en faut pour passer en primaire, au collège, au lycée, en fac ou en école, ou encore au travail…
Il faut aussi du courage pour les personnes qui ont perdu leur travail, parfois depuis plusieurs années, et qui se mettent en route vers un nouvel emploi. Dans tous les cas, nous avons besoin d’encouragements et de vrais soutiens fraternels. Certes, il faut du courage pour avancer dans la vie, mais il y a aussi la volonté de grandir, le désir de mieux faire, le goût du partage et la joie qu’on y trouve. C’est vrai au niveau personnel, mais aussi collectif. Sommes-nous prêts à fournir des efforts au service du bien commun ? Sinon, c’est la concurrence brutale à tous les étages et les plus fragiles se trouvent exclus, considérés comme des déchets à laisser derrière pour ne plus les voir. Le sens du bien commun nous permet d’évaluer à leur juste mesure les impôts, taxes et autres cotisations, à condition que ce soit bien utilisé. On peut noter aussi l’importance du bénévolat qui fait que nous tenons ensemble de manière solidaire et même fraternelle.
Pour traverser les temps incertains que nous connaissons aujourd’hui, il est donc important de favoriser une cuture du courage. Tout d’abord, pour résister afin de ne pas se laisser prendre par un climat de mépris et d’insultes, de mensonges et de provocations, où l’on semble jouir d’un plaisir pervers en humiliant celui qui est plus fragile. À l’inverse, il est beau de faire preuve de courage pour mettre en avant le respect de la dignité humaine, le travail pour une justice internationale permettant à toute personne de mener une vie convenable, la recherche d’une paix juste et durable, même en temps de conflit… Des attitudes qui demandent de la force d’âme, alors que s’adonner à la veulerie, voire aux passions vengeresses, semble une solution de facilité.
Encourageons-nous mutuellement à tenir dans nos responsabilités, afin d’ouvrir un avenir positif au bébé en train d’apprendre à marcher, quel que soit son pays. C’est un heureux défi qui concerne nos choix de vie personnels, mais aussi la politique au sens noble du terme. Le sérieux dans nos engagements quotidiens, à tous les niveaux, a un impact politique.
2 – Perspectives démographiques
+ Des projections concernant la population de l’Union européenne (UE) en 2100 prolongent les courbes actuelles. Nous savons que nos pays se trouvent sur une pente descendante et que la démographie actuelle a des effets à moyen terme : ce sont les enfants qui naissent aujourd’hui qui pourront être parents dans une trentaine d’années. L’UE en son état actuel compte 449 millions d’habitants. Si on prolonge les tendances, tant en ce qui concerne les naissances que les arrivées de migrants, la population serait de 419 millions en 2100 (- 7%), si on bloque toute arrivée de migrants elle serait de 265 millions (- 34%). Mais les projections ne sont pas une fatalité, des choix qui relèvent de l’intime, mais largement aussi du politique, peuvent faire mentir de telles perspectives… Il n’est pas interdit d’espérer !
+ Démographie encore, mais en Afrique (voir la La Lettre de Justice et Paix n°310 mars 2025 ). Il s’agit du continent qui connaît une hausse notable de population. De 1,5 milliard d’habitants en 2025, l’Afrique passerait à 2,5 milliards en 2050. Il y a cependant des disparités importantes, par exemple la Tunisie risque de voir sa population diminuer tandis que la Centrafrique pourrait connaître un doublement de population en 23 ans.
Le projet de scolarisation pour tous a pris du retard et ce sont surtout les filles qui ne peuvent accéder à l’école, or on sait que la scolarisation des filles a un impact décisif sur la démographie. Un signe encourageant cependant, en Afrique du Nord les filles sont plus nombreuses que les garçons en études supérieures.
Méfions-nous aussi des impressions et des slogans répétés à l’envi. L’Afrique représente moins de 10% des migrants internationaux et la majorité migre au sein du continent. L’une des causes de ces déplacements a trait au changement climatique, alors que ce continent contribue peu aux émissions qui provoquent le réchauffement général.
3 – Identités, frontières… Propos de Patrick Chamoiseau (La Croix, 6 mars 2025)
« Relier ce qui est séparé, tout en trouvant des espaces de respiration dans ce qui est fusionné. (…) Le capitalisme a su pervertir le processus d’individualisation en aboutissant à nos sociétés individualistes actuelles, repliées sur le pouvoir d’achat. À l’opposé de ce repli funeste existe un accomplissement, celui de l’individu qui devient une personne, c’est-à-dire quelqu’un doté d’un degré de conscience, d’une éthique, d’un élargissement de perception. Quelqu’un qui se vit à l’échelle planétaire, donc en solidarité avec tous les éléments du monde. C’est là que l’imaginaire de la relation commence. Les fraternités procèdent des imaginaires. En conséquence, se déplient des « nous » qui ne se résument pas à une communauté mais partagent des rêves, des idéaux, des combats communs. (…) Le « nous » est très ouvert, il n’a pas de base raciale ou linguistique. Il n’est pas exclusif mais évolutif. La frontière, c’est un trait d’union, tandis que le « sans-frontiérisme » mène à une espèce de soupe fade. La frontière ; c’est le plaisir de passer d’une saveur à une autre. La frontière c’est également le respect de la différence. (…) Je ne dois pas tenter de réduire l’autre à moi, ni tenter de devenir l’autre. (…) L’autre doit garder quelque chose d’irréductible pour que mon rapport à lui soit riche et fécond. »
Si le courage doit trouver une belle place dans nos vies, il ne doit pas se confondre avec une raideur austère, voire avec la prétention de se croire supérieur au commun des mortels. Le goût de la rencontre, la joie de conjuguer nos différences et d’avancer ensemble vaut bien mieux que tous les replis frileux.
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