Éthique sociale en Église n°28 janvier 2021

# DIÈSE : Un demi-ton au-dessus du bruit de fond médiatique.

1 – Actualité : Nous sommes heureux de partager des vœux ; souhaiter du bien à nos proches et aux personnes que nous croisons est une tradition louable, à condition que nous commencions à mettre en œuvre la bonté évoquée par nos paroles. Le pape François invite à une « culture du soin ». Il est certes utile de penser « protection », de se protéger soi-même et de protéger les autres, mais il y a le risque que nous réduisions alors notre semblable à une menace ! Il y a bien des manières de prendre soin les uns des autres sans courir trop de risques.

Cette année, les vœux partagés se modulent souvent sur un mode tristounet. La situation actuelle nous rappelle que la vie humaine ne se réduit pas à une tranquillité quelque peu passive et égoïste. Réjouissons-nous ensemble des belles choses que nous aurons à vivre pour faire face aux difficultés, pour inventer d’autres modes de vie. Plus que jamais, le courage et l’espérance apparaissent comme des signes de réalisme.

2 – Écologie. Rien n’est simple !

* Le CCFD Terre solidaire signale que de grandes entreprises soucieuses du climat investissent dans la conservation de forêts. Elles montrent parfois une telle volonté de garder la « pureté originelle » de ces espaces qu’elles en interdisent l’accès aux communautés indigènes, au mépris de leurs pratiques ancestrales. On oublie trop souvent de demander l’avis des plus pauvres.

* Depuis plusieurs décennies, des « réserves naturelles » sont établies en Afrique, souvent au prix de l’expulsion des communautés villageoises qui y vivaient sobrement. Par contre, de riches touristes les visitent avec des véhicules polluants. La « nature sauvage » devient une carte postale, tant pis pour les pauvres humains qui l’habitaient !

 3 – Des chiffres qui donnent à penser.

* Peine de mort. 105 pays l’ont supprimée. 20 la pratiquaient encore en 2019 (chiffre en baisse par rapport aux années précédentes). Le président sortant des USA illustre la fin de son mandat en faisant exécuter plusieurs condamnés. Peu de pays communiquent sur le nombre d’exécutions capitales (auraient-ils honte ?). Les recherches d’ONG en arrivent au « classement » suivant en ordre décroissant : Chine, Iran, Arabie saoudite, Irak, Égypte… On notera que la France entretient beaucoup de relations d’affaires avec ces pays, il y a notamment des « bons clients » en matière d’armement. Et ce type de performance semble rendre timide en matière de droits humains.

* Migrations. On estime à 25 millions le nombre des personnes qui ont dû migrer pour des raisons climatiques en 2019. Il y a également toutes celles qui doivent fuir en raison de violences, de menaces ou de pauvreté extrême. On évoque le nombre de 1100 morts en Méditerranée pour l’année 2020. Allons-nous les considérer et les traiter comme des êtres humains en détresse ou les réduire à un flux menaçant dont il faudrait se protéger? Certes, l’accueil et l’intégration ne sont pas choses faciles, mais il est faux de dire que tous nos problèmes viennent des migrants et que les traiter dignement provoquerait un « appel d’air ». Il serait plus convenable d’accorder les décisions quotidiennes avec les grands principes humanitaires que nous exposons facilement à la face du monde !

Il n’est pas incorrect de mettre les réflexions qui précèdent avec ce qui suit !

4 – Un livre : Cathy LEBLANC, Jean-François PETIT, Fred POCHÉ (dir.) La condition des « Nomades », De l’internement à la question de l’hospitalité, Presses universitaires de Strasbourg, 2020. L’ouvrage reprend les travaux d’un colloque international consacré aux logiques de relégation, puis d’exclusion allant jusqu’à la mise à mort, qui ont culminé au cours de la 2ème guerre mondiale ; cet ouvrage décrit aussi des actes de résistance. L’une des contributions (B. Grasset) met en lumière une grande figure poitevine, le P. Jean FLEURY, jésuite, et son action au « camp de la route de Limoges » à Poitiers : une rue porte son nom et une plaque mentionne le site du camp. Ce sont d’abord des nomades qui y ont été internés dans des conditions déplorables, J. Fleury a pu les visiter comme prêtre catholique ; puis des Juifs et des prisonniers politiques, notamment des femmes communistes, ont été retenus en d’autres parties du camp. Avec beaucoup d’habilité, il a usé de ces droits de visite pour apporter son soutien aux uns et aux autres. Aidé par ses amis gitans qui faisaient le gué, il allait d’une part du camp à l’autre ; en lien avec le rabbin E. Bloch, il a organisé la sortie de dizaines d‘enfants juifs. Malheureusement, de nombreux Juifs, mais aussi des nomades, furent déportés vers les camps de la mort. J. Fleury continuera son ministère auprès des gitans après la guerre, notamment comme aumônier national, comme organisateur de pèlerinages. Il est important de garder la mémoire de ces événements, des internements et des mises à mort bien sûr, mais aussi des actes de résistance. Des nomades furent internés en différents camps jusqu’en 1946 : la fin de la guerre ne fut pas pour eux la fin des épreuves.

Le livre cité comprend aussi des réflexions philosophiques. De telles situations dramatiques mettent en lumière des questions permanentes : comment considérer l’autre, celui qui est différent en raison de son origine, de son mode de vie ou de sa religion ? Si l’idéologie nazie a poussé la logique d’exclusion jusqu’à l’extrême, elle s’est appuyée sur un sentiment bien enraciné : l’autre apparaît comme une menace, au nom de son étrangeté supposée et de la « pureté ethnique » on va le marginaliser, voire le rejeter. Il nous faut sans cesse revenir à la question éthique fondamentale : allons-nous vraiment reconnaître en l’autre une personne humaine digne de respect ? La vigilance s’impose encore quand « l’autre » est présenté comme la source de tous nos maux, quand les mauvais traitements semblent « normaux ».

5 – Message pour la paix du pape François (1er janvier 2021) Extraits :

« J’adresse à tous mes meilleurs vœux pour que cette année puisse faire progresser l’humanité sur la voie de la fraternité, de la justice et de la paix entre les personnes, les communautés, les peuples et les États. (…)

Ces événements et d’autres, qui ont marqué le chemin de l’humanité l’année passée, nous enseignent qu’il est important de prendre soin les uns des autres et de la création pour construire une société fondée sur des relations de fraternité. C’est pourquoi j’ai choisi comme thème de ce message : La culture du soin comme parcours de paix. (…) Toute personne humaine est une fin en soi, jamais un simple instrument à évaluer seulement en fonction de son utilité. Elle est créée pour vivre ensemble dans la famille, dans la communauté, dans la société où tous les membres sont égaux en dignité. C’est de cette dignité que dérivent les droits humains, et aussi les devoirs. (…) J’encourage par cette boussole chacun à devenir prophète et témoin de la culture du soin afin de combler de nombreuses inégalités sociales. »

 

Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE