Éthique sociale en Église n°84 septembre 2025
1 – Morosité…
Même si vous ne l’avez pas dit, peut-être avez-vous pensé qu’on a connu des rentrées plus joyeuses. La lucidité est chemin de sagesse, mais tout dépend aussi du regard qu’on porte sur le monde. Après avoir rencontré une personne qui attribuait en partie son pessimisme au poids des ans, je suis sorti dans la rue et j’ai vu des bambins pas bien grands marcher hardiment devant un parent avec le cartable sur le dos, ils semblaient heureux d’aller à l’école. Puis je croise une jeune femme qui m’annonce une naissance à venir avec un grand sourire. Autant de signes de vie, quel avenir leur préparons-nous ?
2 – Inquiétudes…
+ Il y a bien sûr les incertitudes concernant la situation politique chez nous, mais aussi des drames à l’échelle du monde. Les échos des guerres viennent jusqu’à nous, de l’Ukraine, de Gaza et de bien des endroits dont on parle peu. Nous ne pouvons ignorer les violences qui touchent d’abord les plus fragiles ; c’est la face sombre de l’humanité qui fait que certains s’ingénient à faire souffrir leurs semblables, par les armes, la famine organisée, les humiliations en tous genres.
+ Concernant notre pays, les médias ont largement diffusé qu’en cette rentrée plus de 2 000 enfants dorment dans la rue, peut-on vraiment parler de sommeil dans une telle situation ? Un chiffre en constante augmentation et encore grandement sous-évalué puisqu’il ne retient que les situations déclarées, or les personnes les plus vulnérables n’ont même pas les moyens de se faire connaître. Un point positif : l’info a bien été reprise, chacun a pu en prendre connaissance, mais trop souvent elle a été donnée comme un fait brut, avec fatalisme, sans interrogation sur ce que cela dit de notre société. Il y a pourtant un scandaleux manque de volonté politique de la part d’un pays riche pour résoudre un tel problème.
+ Une autre info rappelle que 2,1 milliards d’habitants de notre planère n’ont pas accès à l’eau potable : l’idée même d’une possible solidarité internationale semble absente.
+ Au même moment, certains médias s’enthousiasment de la performance des fusées d’un certain M. Musk qui envisage d’organiser des voyages d’agrément dans l’espace et même d’aller coloniser la planète Mars. Avant d’applaudir, il faut s’interroger sur l’ambiguïté de l’expression « conquête de l’espace ». C’est bien le problème de notre humanité qui semble toujours penser en termes de conquête et de domination, alors que les défis écologiques, avec les changements climatiques, nous provoquent à décider plutôt de « prendre soin ».
+ Prendre soin de notre monde et de notre humanité, tout particulièrement de ses membres les plus fragiles. D’un côté on tolère que des enfants ne puissent bénéficier d’un toit, de l’autre on s’émerveille quand quelques privilégiés vont faire un petit saut dans l’espace ! Il n’est pas bon de considérer de tels contrastes comme normaux et d’abandonner toute idée de justice sociale, de solidarité. Un esprit de révolte peut être sain, à condition qu’il ne se réduise pas à la défense de quelques menus privilèges au détriment du bien commun.
3 – Espérer !
+ Des esprits forts vont se gausser : l’espérance serait-elle un refuge pour les esprits faibles ? D’autres risquent d’en faire un argument apologétique en désignant l’espérance comme un privilège réservé aux esprits religieux. L’ouverture à l’espérance suppose d’abord de cultiver la confiance. Confiance en la vie de la part de parents qui accueillent la venue d’un enfant et qui prennent soin de lui avec amour. Confiance de tous ceux qui déploient leur intelligence en vue d’initiatives pour la production de biens sains et durables. Confiance manifestée par les personnes qui s’impliquent en des activités bénévoles en vue d’assurer de multiples services et de créer des liens de solidarité.
Alors qu’on peut être tenté par le repli sur soi, tout occupé à protéger ses intérêts particuliers, il n’est pas vain de contribuer à promouvoir notre humanité commune, en avançant ensemble sur la voie de la confiance mutuelle par-delà toutes les frontières, en cultivant l’esprit de responsabilité afin que chacun puisse avoir une vraie place au sein de notre famille humaine. + Pour les chrétiens, l’héritage croyant rappelle que la vie est le fruit d’un don et qu’elle ne se déploie que sous le signe du partage des dons. L’accueil de ce don toujours neuf peut réveiller en chacun le désir le plus profond, celui de partager un amour attentionné et respectueux. Si nous réduisons notre monde à une arène où s’affrontent des intérêts particuliers jusqu’à la violence destructrice, nous renions ce que nous portons de plus précieux : notre capacité à aimer vraiment. Quelles que soient nos croyances, n’oublions pas la fraternité qui s’affiche sur nos monuments publics : elle nous requiert, se présentant comme une promesse de vie. Il n’est donc pas vain d’oser parler d’amitié sociale et même d’amour politique (pape François, Fratelli tutti, § 180-182).
4 – Bénévolat…
On parle de « rentrée » pour les enfants et les jeunes, pour tous ceux qui assurent les fonctions d’enseignement et d’éducation. Il ne faut pas oublier d’autres catégories, notamment les personnes qui s’engagent de manière bénévole, qui relancent des activités dans la culture et le sport, et tout particulièrement dans le domaine humanitaire alors que les situations de pauvreté continuent de s’aggraver. Les signes positifs de ces engagements ne manquent pas : 36% des seniors font du bénévolat, des étudiants s’organisent pour venir en aide à ceux d’entre eux qui risquent de ne pas pouvoir s’alimenter correctement, des temps forts d’intégration dans des grandes écoles prennent la forme d’une activité humanitaire et non d’une simple « fête » ouvrant la porte à des abus de toutes sortes.
Certes, notre vie commune est affectée par des violences au quotidien, il faut prendre au sérieux de telles dérives pour intervenir en amont et gérer les conflits. Il importe pour cela de promouvoir la justice sociale, afin qu’aucun d’entre nous n’ait l’impression d’être de trop dans la maison commune. Mais il est aussi important de mettre en lumière une culture de la générosité et de la bienveillance, ce qui passe par une conversion de notre manière de considérer l’humain. Si on le réduit à un individu centré sur ses seuls intérêts, au point de regarder l’autre comme un concurrent ou une « chose » dont on va tirer profit, la vie commune devient une foire d’empoigne dans laquelle les mieux lotis imposent cyniquement leur loi aux plus faibles. Il y a bien un enjeu politique à mettre en avant les solidarités, avec une attention particulière envers les personnes les plus fragiles. Une telle attitude apparaît plus réaliste que les analyses des relations humaines centrées sur les seuls rapports de force. La vulnérabilité nous concerne tous : au début de notre vie nous avons pu grandir grâce aux soins que nous avons reçus ; au grand âge nous serons heureux qu’on se penche vers nous avec sollicitude et générosité… La bienveillance est belle et elle a de l’avenir !
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