Contrôles d’identité « au faciès » : des dérives à enrayer.

« Je peux vous parler de mon premier contrôle d’identité comme si c’était hier. Je me rappelle du chemin que nous avions pris, de pourquoi nous allions au centre-ville et de comment les policiers nous ont parlé. Je pense que c’est quelque chose qui me restera à vie dans la tête ».

 

A ce témoignage d’Adil Kochman, artiste et cinéaste lillois, fait écho celui de Yannick Danio, major de police parisien, secrétaire national du syndicat Unité Police : « Nous avons besoin de renverser la vapeur pour ne permettre que des contrôles d’identité justifiés au lieu d’en faire à la pelle. La police nationale a besoin de travailler avec les citoyens et pas contre eux. Sinon c’est le monde à l’envers»

Faute lourde de l’Etat

Minorées, voire déniées par les pouvoirs publics, les pratiques déviantes du contrôle d’identité font débat depuis la fin des années soixante-dix. Si la très grande majorité des contrôles se déroule bien, des études convergentes montrent que les policiers sur-contrôlent une population jeune, masculine, et issue des minorités visibles. Une enquête qui sert de référence a établi des probabilités de contrôle six fois plus élevées pour les « Noirs » et près de huit fois plus élevées pour les « Arabes », comparativement aux « Blancs ».
Le débat a fait un retour en force cet automne. Le 9 novembre 2016, la Cour de cassation, qui se prononçait pour la première fois sur cette question, a confirmé la condamnation de l’Etat par la Cour d’appel de Paris pour « faute lourde », dans le cadre de cinq contrôles d’identité jugés discriminatoires. La Commission nationale consultative des droits de l’homme / CNCDH, dans un avis adopté le 8 novembre 2016 sur la prévention des pratiques abusives et/ou discriminatoires de contrôles d’identité a souhaité dépassionner cette question controversée

À quoi servent les contrôles d’identité ?

Ils ont au moins trois visées : collecter des renseignements, détecter une infraction, affirmer l’autorité policière dans l’espace public. C’est le « couteau suisse » de la police française. Les membres de la CNCDH ne les remettent pas en cause, se déclarant parfaitement conscients de la difficulté des conditions de travail des agents de la force publique. L’avis va dans le sens d’une protection effective des droits des personnes, d’une plus grande efficacité de l’action policière et d’une amélioration des relations police-population. La commission recourt à des études de sociologie comparée entre les pratiques de contrôle en Allemagne et en France et observe quelques expériences réussies chez nos voisins européens.

Des pistes concrètes.

La CNCDH propose d’éditer un guide pratique qui décrirait la procédure standard du déroulement d’un contrôle, mais aussi d’encourager les forces de l’ordre à exposer oralement à l’usager les raisons du contrôle, de lui remettre un récépissé qui pourrait être électronique. Promesse non tenue du candidat Hollande, ce dernier dispositif, qui rencontre l’opposition d’une majorité de policiers, constitue pourtant un élément-clé de la traçabilité du contrôle. Même si les quelques mesures prises par les pouvoirs publics – entrée en vigueur d’un code de déontologie, port du numéro matricule, efforts de formation des personnels- vont dans le bon sens, elles sont insuffisantes. L’avis recommande donc de modifier le cadre légal des contrôles et de mieux encadrer leur pratique.

Réconcilier la population avec sa police

Plus largement, la CNCDH invite les pouvoirs publics à une réflexion sur les méthodes d’évaluation chiffrée de la performance policière, sur les moyens de réintroduire une proximité avec la population au sein du travail policier et sur les missions attribuées par les acteurs politiques à la police. Pour y travailler, la commission préconise la tenue d’une conférence de consensus.
Alors que l’état moral des policiers qui ont manifesté dans la rue, n’est pas bon – mal-être au travail, manque de confiance dans la hiérarchie, sentiment de n’être pas compris par le public et de manquer de moyens -, deux ouvrages parus en novembre viennent nourrir le débat. Les préconisations de Sébastian Roché dans son livre De la police en démocratie (Grasset, 2016) et le rapport de la fondation Terra Nova, Police et population : pour des relations de confiance, coordonné par Jacques de Maillard, convergent avec celles de la CNCDH. Le rapport insiste sur l’importance de rendre les contrôles d’identité équitables et efficaces : dans une quête de légitimité et d’efficacité auprès de la population, l’usage de cet outil doit se faire plus précis et parcimonieux. Certains responsables politiques, comme la Britannique Theresa May lorsqu’elle était ministre de l’Intérieur ou le maire de New York, Bill de Blasio, ont du reste sévèrement critiqué l’usage excessif des contrôles par la police au regard des résultats obtenus en termes de lutte contre la délinquance.

Les dérives de la pratique des contrôles d’identité ne reflètent pas seulement les actions d’individus, mais la culture des institutions policières. Les progrès observés à l’étranger sont le résultat d’une approche globale associée à une volonté claire exprimée par les gouvernants et la hiérarchie policière. A cet égard, l’enjeu prépondérant des réformes que prônent la CNCDH et les universitaires est la réconciliation durable de l’ensemble de la population avec sa police.