Cour pénale internationale

La France a ratifié le statut de la CPI le 9 juin 2000. Cette seule ratification ne permet pas la mise en œuvre du statut au niveau national. Il faut pour cela transposer en droit français les dispositions contenues dans le Statut de Rome.

En effet, la CPI n’a pas vocation à se substituer aux tribunaux nationaux. La CPI est en droit d’enquêter et d’engager des poursuites, uniquement dans le cas où l’Etat serait défaillant. Un Etat est défaillant lorsqu’il n’a pas la volonté ou qu’il est dans l’incapacité, de remplir son obligation d’engager des poursuites pénales, de prononcer des condamnations et de fournir une assistance judiciaire. Pour ne pas se voir dessaisis au profit de la Cour, les Etats Parties doivent donc s’assurer que leur législation nationale leur permet bien de juger les individus ayant commis des infractions relevant de la compétence de la Cour. C’est l’objet de cette loi d’adaptation.

Quatre points principaux doivent être l’objet d’une attention particulière : c’est pour eux que les membres de la Coalition française pour la CPI, dont fait partie Justice et Paix-France, se mobilisent.

Les diverses incriminations possibles

En l’état actuel du droit français, il n’existe aucune section générale relative aux crimes de guerre, que ce soit dans le code pénal ou le code de justice militaire [1]. Il y a là un vide à combler. Les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977 organisaient déjà la répression des crimes de guerre. Ces Traités internationaux ont tous été ratifiés par la France, mais jusqu’à présent, celle-ci ne les a toujours pas intégrés dans son ordre juridique interne. Avec la CPI, la France doit incorporer à son arsenal juridique tous les crimes de guerre énoncés à l’article 8 du Statut de Rome.

Or le projet de loi adopté en première lecture par le Sénat, s’il entend prendre en compte cette dimension, introduit des différences de responsabilité pénale en distinguant crimes et délits de guerre, ce que ne fait pas le Statut de Rome.

Cette exigence de cohérence entre les formulations transposées en droit français et le texte même du Statut de Rome vaut pour d’autres définitions. Ainsi, si le code pénal français dispose d’ores et déjà de définitions des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité, ces dernières datent de 1994 et diffèrent de celles du Statut de Rome. Il convient donc de les harmoniser avec leur définition internationale. Or le projet de loi introduit une formulation qui rend plus difficile la constitution du chef d’accusation de crime contre l’humanité [2]. De même, l’esclavage sexuel ne fait partie ni des actes constitutifs de crime contre l’humanité ni des actes constitutifs de crime de guerre, contrairement au Statut.

Il ne s’agit pas là seulement de querelles de techniciens. Compte tenu du principe de complémentarité qui figure dans le Statut [3], de telles distorsions ne permettraient pas de poursuivre les auteurs de crimes internationaux de façon identique devant la justice française ou devant la CPI.

L’imprescriptibilité des crimes de guerre

Tous les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale sont imprescriptibles. En introduisant une restriction à ce principe général concernant les crimes de guerre, le projet de loi met en péril « l’harmonisation de la répression de ces crimes au niveau international » (Avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme – CNCDH du 6 novembre 2008). A l’instar des crimes contre l’humanité et crime de génocide, il est donc important que le droit français reconnaisse l’imprescriptibilité des crimes de guerre. Sans cela, et contrairement à ce que la France veut éviter, des militaires français engagés dans des opérations sur des terrains étrangers pourraient être exposés, au-delà du délai de prescription en droit français, à des poursuites devant les tribunaux de ces pays ou devant la CPI, sans pouvoir être jugés dans leur propre pays.

Limitations à la responsabilité pénale

La distinction entre délits et crimes de guerre évoquée ci-dessus conduit à exclure de la compétence de la CPI certaines infractions qui figurent pourtant dans le Statut de Rome. Au-delà, certaines dispositions du projet de loi en l’état (art 462-11) conduisent à « exonérer la France de l’application des règles du Droit international humanitaire et du Droit international pénal dès l’instant où elle agirait dans le cadre de l’exercice de son droit de légitime défense, ce qui n’est pas acceptable.

La compétence universelle pour les crimes les plus graves

Il nous faut rappeler ici l’objectif principal qui a présidé à la création de la CPI : lutter contre l’impunité, alors que de nombreux tortionnaires s’étant rendus coupables de génocide, massacres ou violences à grande échelle n’étaient jamais poursuivis, faute de juridiction compétente. Cela étant – il faut y insister – la CPI n’intervient que lorsqu’un Etat est défaillant. Mais seule, elle n’a pas les moyens de répondre à toutes les situations. Seule, elle serait impuissante à juger tous les responsables. Son statut prévoit donc qu’ « il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ». C’est ce qu’on appelle la compétence universelle des tribunaux qui permet de juger des crimes internationaux les plus graves commis à l’étranger, contre des étrangers et par une personne étrangère. Cette compétence est déjà reconnue par la France concernant les auteurs présumés de crimes de torture ou de crimes relevant des tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda qui se trouveraient en France. On parle alors de compétence extraterritoriale plutôt que de compétence universelle. Les associations qui luttent pour le respect et la promotion des droits de l’homme, tout autant que la CNCDH, demandent que cette compétence extraterritoriale prévue pour les crimes relevant des tribunaux internationaux soit étendue aux crimes relevant de la compétence de la CPI. Le projet de loi voté par le Sénat le prévoit, mais dans des conditions bien plus restrictives, puisqu’il ne suffit pas que la personne concernée soit simplement sur le sol français, mais qu’elle y ait sa résidence habituelle. Autant dire que cette disposition réduit considérablement les possibilités de recours voire les annihile, si l’on ajoute à cela deux autres dispositions tout aussi contestables :

  • l’interdiction du déclenchement des poursuites par les victimes au profit du monopole accordé au Ministère public,
  • et les restrictions apportées à cette compétence extraterritoriale lorsqu’il s’agit d’un ressortissant d’un pays non signataire du Statut, ou lorsque les faits ont eu lieu dans un pays non signataire.

Si le texte était maintenu en l’état, c’est l’idée de justice internationale qui serait fortement mise à mal dans notre pays ; c’est aussi l’image de la France, pays des droits de l’homme, qui serait ternie par son manquement à respecter ses engagements internationaux.