Il faut fabriquer un secteur financier plus juste

N’est-ce pas une carence d’éthique qui a donné à la crise financière une telle ampleur ? De fait, trois valeurs fondamentales ont été oubliées pendant les années d’euphorie.

Article publié dans Les Echos des 28 & 29 mars 2014

La première est la transparence. L’économie libérale est fondée sur l’hypothèse que les acteurs économiques sont rationnels et éclairés. Or, l’asymétrie de l’information n’a cessé de progresser aux dépens du grand public, des salariés, des actionnaires et même des administrateurs. Asymétrie aussi lorsque des produits financiers mélangeant actifs toxiques et valeurs sûres sont conseillés aux épargnants. Asymétrie enfin, quand les agences de notations utilisent des critères peu lisibles.

Les voies sont connues pour rendre la finance moins opaque: élargir le champ de la supervision financière aux secteurs non-régulés, hedge-funds, places offshore, agences de notation ; clarifier les normes comptables, les harmoniser au niveau mondial et les déconnecter de la volatilité des marchés ; organiser une vigilance accrue sur la gouvernance des entreprises ; réduire la consanguinité des conseils d’administration ; améliorer l’audit et les contrôles internes ; informer les salariés ; désintoxiquer la notation, comme le dit l’Autorité des marchés financiers. Ces chantiers progressent trop lentement.

La deuxième valeur tombée en désuétude est la tempérance. Alors que l’économie stagne, est-il raisonnable d’exiger un rendement mirobolant ? Cette course effrénée est un pousse-au-crime qui oblige les entreprises à pressurer, voire licencier leur personnel et incite les investisseurs à prendre des risques inconsidérés. La crise et le resserrement des règles prudentielles internationales qu’elle a entraîné ont mis un frein à ces pratiques. Mais le naturel revient vite au galop.

Modération oubliée aussi dans les rémunérations des dirigeants et les bonus des traders, même si ils ont été plafonnés ou taxés dans nombre de pays, ils ont repris leur progression.

La troisième valeur négligée est le sens des responsabilités : envers les clients d’abord, inconscients des risques qu’ils encourent ; envers les salariés victimes entre autres de « licenciements boursiers » ; envers l’environnement parfois malmené par des firmes sans scrupules; envers les actionnaires pour qui la création de valeur s’est parfois révélée être un mirage. Il est normal que des entreprises fassent le gros dos quand leur activité faiblit. Il est moins acceptable que, d’une part, elles réduisent les investissements porteurs d’avenir alors qu’elles dégagent des bénéfices et que, d’autre part, les banques les privent des crédits dont elles ont besoin.

Dans son Exhortation apostolique de novembre 2013 sur la fraternité, le Pape François n’a pas mâché ses mots : « non à une économie de l’exclusion, (…) non à l’argent qui gouverne au lieu de servir. (…) Je vous exhorte à la solidarité désintéressée et à un retour de l’économie et de la finance à une éthique en faveur de l’être humain. »

Comment faire pour rendre plus juste un milieu où l’humain est malmené ?

  • Se ressourcer en se réunissant autour de valeurs de justice et de respect des autres qui rappellent la finalité humaine de l’économie et de la finance.
  • Oser refuser les pratiques douteuses, les mécanismes qui poussent à la faute et dénoncer les dérives du système, qu’il s’agisse d’abus de droit, de fraude, des paradis fiscaux, du blanchiment d’argent ou de la manipulation des prix de transferts.
  • Fabriquer un secteur financier plus juste, en démontant les rouages pervers du système, en sensibilisant le public et les responsables politiques aux niveaux national et européen sur la nécessité de réformes et en assurant la promotion d’une finance plus solidaire et à nouveau tournée vers le long terme.