Transparence fiscale des multinationales : mesure européenne inefficace
La transparence fiscale est une mesure simple et essentielle pour lutter contre l’évasion fiscale, qui fait perdre des centaines de milliards chaque année aux Etats et aggrave les inégalités. Malgré les scandales d’évasion fiscale à répétition, l’opacité demeure sur les impôts réellement payés par les grandes multinationales.
En obligeant les grandes entreprises multinationales à publier des informations sur leur activité économique réelle et les impôts payés dans chacun des pays où elles opèrent, le reporting pays-par-pays public devrait justement permettre de vérifier que les entreprises paient leur juste part d’impôts en fonction de leurs activités réelles sans procéder à des montages d’évasion fiscale. Malheureusement, le compromis annoncé par le Conseil et les rapporteurs du Parlement européen dénature complètement la mesure, qui n’a de « reporting pays-par-pays public » que le nom.
En effet, l’accord négocié entre les institutions européennes limite la portée géographique du reporting : les entreprises devront seulement rendre compte de leurs activités dans les Etats Membres de l’Union Européenne et dans les pays figurant sur la liste européenne des paradis fiscaux, liste dont demeurent absents les principaux paradis fiscaux. Alors qu’une seule filiale permet de faire de l’évasion fiscale, il est indispensable que les reportings couvrent tous les pays du monde avec des données pour chaque pays, afin de pouvoir analyser les transferts artificiels de bénéfices entre filiales. Ce recul rend la mesure inopérante, et citoyens et citoyennes du monde entier vont rester dans l’opacité, y compris ceux des pays en développement, encore plus fortement frappés par l’évasion fiscale.
Force est aujourd’hui de constater que la lutte contre l’évasion fiscale a été sacrifiée sur l’autel de la compétitivité des entreprises, les Etats Membres, dont la France, ayant suivi les arguments, pourtant non étayés, de certains lobbys d’entreprises.
« Cette mesure en trompe l’œil n’est pas un vrai reporting pays-par-pays public, elle ne permettra pas de lutter contre l’évasion fiscale des multinationales. Sans une couverture géographique complète, il sera impossible d’analyser les données et de suivre les montages d’évasion fiscale, alors que c’est tout l’intérêt de la mesure. L’Union européenne avait l’occasion de permettre une réelle avancée, au final c’est un véritable échec, et ce sont les lobbys – le MEDEF en tête – qui remportent la mise. » déclare Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire et coordinatrice de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires.
« Les banques européennes sont soumises à une exigence de reporting public depuis 2014, ce qui nous avait permis d’analyser le décalage entre les impôts payés et les activités réalisées. Malheureusement, nous ne pourrons pas faire cet exercice pour les entreprises multinationales avec un reporting où seront exclus les trois quarts des pays, dont des paradis fiscaux de premiers plans comme les Îles Caïmans, la Suisse ou les Bermudes. C’est vraiment regrettable qu’Etats et parlementaires aient cédé aux pressions des lobbys pour amoindrir autant la mesure, alors même qu’elle ne pose aucun problème de compétitivité. » explique Quentin Parrinello, responsable plaidoyer à Oxfam France.
« C’est incompréhensible que les Etats membres et les député-es européen-nes aient conclu un accord sur une mesure inefficace. Journalistes, responsables politiques, citoyens et citoyennes du monde entier méritent de savoir combien d’impôts payent réellement les multinationales en fonction de leurs activités réelles : ce compromis bancal ne permettra pas de répondre à cette exigence démocratique.» regrette Sara Brimbeuf, responsable de plaidoyer à Transparency International France.
Cet accord est révélateur de l’absence d’ambition politique des dirigeants et parlementaires européens après des années de débat alors que le manque de ressources pour financer les politiques publiques est aggravé par la crise Covid. Les multinationales pourront malheureusement poursuivre leurs pratiques d’évasion fiscale !
Paris, 1er juin 2021