Postures chrétiennes face à la finance

Les enjeux de la finance ne concernent pas seulement la crise qui a éclaté depuis 2007.

Le secteur financier a connu jusqu’en 2007 une croissance importante dans un pays comme la France : la banque et l’assurance y sont parmi les premiers employeurs du secteur privé avec plus de 530 000 collaborateurs en 2011. Les crédits à la clientèle non financière ont représenté 2 142 milliards d’euros en 2011 (dont 941 milliards de crédits à l’habitat), et les ressources émanant de la clientèle non financière, plus de 1 700 milliards (dépôts, livrets …). Si cette crise financière est globale, on relèvera toutefois que le système financier français s’est montré notablement plus résilient que celui de la plupart des autres pays développés, en partie du fait d’un poids de l’État historiquement plus important dans le pilotage de l’activité économique et financière.

Les flux internationaux de capitaux mondiaux, quant à eux, ont été multipliés par 1900 en dollars courants entre 1980 et 2010, alors que la production mondiale ne l’a été que par deux et les échanges transfrontaliers de marchandises par 12. Il s’agit là d’un changement de monde et de logique où la finance s’est éloignée de son objectif premier, le financement de l’activité économique au service d’un bien individuel et communautaire, au service du bien commun.

Cette nouvelle planète financière appelle la vigilance afin que les plus faibles n’en soient pas les victimes, car les personnes et les familles y sont profondément inégales et ne comptent pas de la même manière. Les groupes les plus pauvres et les plus vulnérables vont souffrir davantage  car leur résilience financière est faible. Les plus riches peuvent absorber des pertes ; ce n’est pas le cas de ceux dont l’épargne est limitée ou inexistante.

Dès la fin des années soixante-dix, la financiarisation de l’économie s’est accélérée grâce à la dérégulation qui, sous couvert de libéralisation, a éliminé les règles prudentielles et à cause également de la désintermédiation qui a favorisé le passage d’une économie d’endettement sain et contrôlé à une économie de marchés financiers censés s’autoréguler.

La finance a été un outil au service du politique qui, face aux crises des années soixante-dix, et notamment la croissance des dettes des gouvernements, a cédé aux sirènes de l’industrie financière. Une financiarisation générale de l’économie s’en est suivie avec, comme conséquence, un endettement excessif qui, masqué par l’illusion d’une croissance infinie, pèsera sur les générations futures.

Le fonctionnement de cette planète financière repose sur le court terme qui privilégie les profits réalisés rapidement, par la préférence pour la liquidité qui décourage l’engagement dans la durée et par la pratique de la spéculation comme finalité plutôt que comme moyen. Cette dernière est caractérisée par la recherche d’un gain financier en pariant sur la fluctuation des prix ; sans contrôle, elle peut conduire à une économie de casino et de prédation dévoyant la raison profonde de la finance, alors que celle-ci devrait être responsable (visant le développement) et solidaire (au profit de la participation de tous aux dynamiques économiques).

Les risques ont toujours existé puisqu’ils constituent la dynamique de toute vie et de toute innovation. Que ce soit par la prévention ou par l’assurance, les hommes cherchent à bannir l’imprévu. La recherche du risque zéro par les acteurs de la finance les a cependant conduits à des pratiques qui traduisent une volonté de maîtrise absolue des aléas du monde.

Transférer sur les autres les impacts négatifs de ses choix est un acte de violence et d’injustice. Sans fermer la porte à des possibilités de pardon, le fait d’avoir à assumer les conséquences – y compris financières – des choix spéculatifs est un axiome de justice. Or, le choix de vie pour soi et pour les autres ne peut pas se réduire à un simple choix individuel. Le souci pour le bien commun invite à penser de nouvelles logiques de choix collectif.

L’autorégulation des acteurs de la finance est un mythe. Le système est générateur d’instabilités et de comportements de jeu où l’addiction et la fascination pour le gain obtenu ont une place majeure. Livrée à elle-même, la finance oublie trop souvent sa vocation d’irriguer l’économie pour devenir un jeu de casino où les mises sont l’argent d’autrui, au risque de provoquer une crise systémique. La perspective d’une union bancaire européenne est un pas dans la bonne direction.

Si la finance a un rôle important pour le développement intégral, elle doit être remise à sa place et contribuer à relever les grands défis – sociaux, environnementaux, énergétiques et culturels — de l’humanité qui exigent un horizon de long terme. Elle ne peut pas être sa propre finalité, mais elle doit contribuer à l’élévation globale de l’humanité, en aidant le politique à faire des choix qui ne compromettent pas la vie des générations futures.

L’éthique financière apparaît comme une clef pour un renouveau. Au-delà de l’évocation des effets d’un système, elle implique la prise en compte de la responsabilité personnelle dans les décisions. Cette éthique implique le refus du mensonge et une exigence de transparence. Elle impose la véracité (notamment sur les produits financiers vendus), le refus de la dissimulation d’informations stratégiques et l’acceptation de règles de contrôle, y compris par les usagers. Les risques de conflits d’intérêt (entre les contrôleurs et les banquiers) doivent conduire à des procédures contraignantes visant à les réduire. Les chartes et codes déontologiques forment le socle de cette éthique, mais il faut en outre assurer la protection des victimes et de ceux qui dénoncent les dysfonctionnements de la sphère financière. Face à cette « loi molle », le dispositif ne sera pas complet si la législation ne consacre pas la responsabilité pénale des grands acteurs.

Le rôle de l’État, des États, de l’Union européenne et de la communauté internationale est fondamental : ils doivent défendre le bien commun en exerçant leurs responsabilités de contrôle et d’organisation par l’adoption de lois, de règles et l’instauration de pratiques nouvelles, afin que les plus faibles puissent déployer leurs capacités et contribuer à la dynamique collective.

[1]Texte complet disponible à Justice et Paix et sur  http://justice-paix.cef.fr/IMG/pdf/Postures_chretiennes_face_a_la_finance_Justice_et_Paix_juin_1013.pdf