Interview de Mgr Antoine Hérouard, Archevêque de Dijon, nouveau co-président de Justice et Paix Europe
L’assemblée générale de Justice et Paix Europe qui se termine aujourd’hui à Malte vous a élu co-président de cette Conférence des commissions d’Europe présentes dans une trentaine de pays, du Portugal à l’Ukraine et de la Suède à Malte. Quelles sont vos impressions de cette rencontre au sommet ?
J’ai été impressionné par l’engagement des différentes commissions dans leurs pays respectifs et dans le travail en commun. Si je connais un peu la commission française, je ne connais les autres que peu sinon à travers la COMECE (Commission des épiscopats de l’Union européenne), dont je suis le premier vice-président. Elles présentent des structures différentes, des tailles différentes, mais sont toutes très engagées pour assurer la mission confiée par Paul VI avec la création de Justice et Paix. Elles articulent les initiatives de paix avec celles de justice sociale et économique qui sont autant de chemins vers la paix. Les commissions entretiennent un lien régulier avec le Dicastère pour la promotion du Développement humain intégral et la présence de 3 personnes du Dicastère à Malte en a été le signe. Il y a ainsi une vraie articulation entre le travail des commissions et ce que fait le Vatican sur ces questions de justice et de paix.
Une co-présidence a été décidée lors de la réunion de Paris en février dernier. C’est cette nouvelle organisation qui a été mise en place à Malte avec la co-présidence d’un évêque et d’une laïque. Ce n’est pas l’effet d’une mode, mais traduit la réalité de l’engagement de l’Église sur ces questions. Notre précédent président, Mgr Noël Treanor, a dû démissionner en début d’année quand il a été nommé nonce auprès de l’UE. Je veux remercier Cécile Dubernet, membre de la commission française, d’avoir accepté d’être présidente par intérim pendant cette période complexe de réflexion sur les statuts de Justice et Paix Europe.
Mgr Antoine Hérouard et Maria Hammershøy
Je me réjouis de travailler main dans la main avec Maria Hammershøy, secrétaire générale de Caritas Danemark et membre de la commission Justice et Paix. Dans la complémentarité des personnalités et des expériences, nous pourrons, j’en suis sûr, faire un bon travail.
Au cours de cette assemblée très soigneusement préparée par la commission de Malte, nous avons eu plusieurs interventions marquantes. Sr Alessandra Smerilli, secrétaire du Dicastère pour la promotion du développement humain intégral, a apporté un regard anthropologique sur la notion de travail et en particulier sur la notion du soin. Elle nous a montré à quel point nos critères de méritocratie et de productivité se heurtent au fait que le travail construit la personne humaine. Une approche purement utilitariste heurte et blesse les personnes engagées dans le travail du soin et l’accompagnement des personnes souffrantes.
Les ateliers du lendemain qui ont souligné qu’à Malte se posent tout particulièrement ces questions de dignité et de sécurité dans le travail. Nous avons pu aussi bénéficier de temps de rencontre entre les participants et de prière comme au fort Sant’Angelo, le Castrum Maris des Chevaliers de Malte, ou dans les souterrains de La Valette pour y vivre un geste symbolique autour de l’eau.
Un échange fort et émouvant a eu lieu avec Yuriy Pidlisnyy, membre de la commission ukrainienne, qui a évoqué les drames de la guerre, son origine dans la politique russe mais aussi en évoquant la reconstruction de l’Ukraine après la guerre, se tournant déjà résolument vers l’avenir.
Autre moment marquant, la conférence donnée par Jenny Sinclair de « Together for the common good » (ensemble pour le bien commun) à la co-cathédrale Saint-Jean devant le tableau du décollement de Saint Jean-Baptiste peint par le Caravage et signé de son sang. Dans sa vigoureuse intervention, tout en critiquant les abus du libéralisme économique, la financiarisation de toute chose et la dictature du relativisme, elle a rappelé la nature fondamentalement relationnelle de la vie humaine et a appelé l’Église à l’exprimer dans son propre fonctionnement.
Quelles sont les priorités de Justice et Paix Europe pour votre mandat ?
Il s’agit d’abord de maintenir la confiance et la qualité d’écoute entre les différentes commissions, comme autant d’encouragements pour celles aux faibles moyens. C’est ensuite de partager les initiatives et les bonnes pratiques des unes et des autres, alors que nous partageons dans des contextes différents la même mission. C’est poursuivre le développement des échanges internationaux avec les commissions d’autres continents comme cela a commencé cette année avec celles d’Amérique latine. C’est aussi être attentifs aux nouveaux champs de la justice sociale qui se découvrent aujourd’hui comme à travers les enjeux écologiques (par exemple avec le Mouvement Laudato si’ et la plateforme européenne ELSIA), les conséquences sociales et anthropologiques de la révolution digitale en cours ou la marchandisation du vivant. En tout cela, il s’agit bien de penser et de redire la place de l’homme, sa nature relationnelle, ce qui fonde sa dignité (au cœur de l’anthropologie chrétienne), ce qui permet de tracer des chemins vers plus de justice, qu’elle soit économique, sociale, politique. L’Europe, de par son histoire singulière et si souvent dramatique, peut en être l’expression et si possible le signe.