Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Disons-le sans ambiguïté. Parmi les documents du Concile, le décret Inter Mirifica (1963) sur les moyens de communication sociale n’est pas le plus novateur, ni le plus audacieux.

C’est comme si les Pères conciliaires – attelés à la rédaction des grandes « constitutions », en particulier Lumen Gentium, Dei Verbum et Gaudium et Spes – avaient voulu accomplir un devoir, nécessaire certes, mais pas très passionnant, en indiquant les critères pour aborder ces « instruments merveilleux », représentés alors par la presse, le cinéma, la radio, la télévision et « d’autres techniques de même nature ».

Le concile Vatican II peu novateur

Si l’on en croit Henri Fesquet, chroniqueur religieux du journal Le Monde durant le Concile, ce texte était si défectueux qu’un jeune évêque français aurait dit : « Je n’aurais pas osé le présenter à mes étudiants lorsque j’étais jadis aumônier. Il se situe au niveau de Cœurs vaillants »[1].

Quoi qu’il en soit, Inter Mirifica était le reflet d’une époque et des tâtonnements de la naissante sociologie des médias : la théologie, elle, avait une longueur d’avance (il suffit de penser au débat sur la fonction des images qui, dès le Haut Moyen Âge, avait occupé de nombreux théologiens), mais, curieusement, elle n’a pas été mise à contribution.

Cinquante ans après, le paysage est tout autre : les « techniques de même nature » sont devenues si nombreuses et efficaces qu’elles menacent l’existence même de la presse écrite et des médias traditionnels. Internet et les autoroutes télématiques, les réseaux sociaux et l’informatique nomade (téléphones portables, tablettes…) ont modifié radicalement nos pratiques, nos habitudes, notre façon de travailler et de nous distraire. Les médias se sont transformés de plus en plus en prothèses, en prolongements de nos sens, ainsi que l’avait annoncé le sociologue canadien Marshall McLuhan.

Les rédacteurs du décret Inter Mirifica ne pouvaient pas prévoir ces changements. Il y a, néanmoins, dans le document conciliaire, une attitude devenue une constante dans le discours officiel de l’Église au sujet des médias : d’un côté l’émerveillement, la reconnaissance de la « bonté » et de la « beauté » de ces moyens prodigieux créés par l’homme ; de l’autre la mise en garde contre le mauvais usage de ces mêmes outils. Le préambule d’Inter Mirifica illustre très bien le premier aspect :

« Il faut assigner une place singulière aux moyens qui, de par leur nature, sont aptes à atteindre et à influencer non seulement les individus, mais encore les masses comme telles, et jusqu’à l’humanité tout entière. Tel est le cas de la presse, du cinéma, de la radio, de la télévision et d’autres techniques de même nature. Aussi bien peut-on les appeler à juste titre : moyens de communication sociale »[2].

Quant à la mise en garde, le texte tout entier insiste sur les devoirs des « usagers », lecteurs, spectateurs, auditeurs, et des « producteurs », pour éviter toute utilisation des médias moralement inacceptable et « nuisible aux âmes ». Le droit à une information « véridique «  et « complète », « dans le respect des exigences de la justice et de la charité », est, toutefois, clairement énoncé[3]. Et dans la conclusion, les Pères se tournent « vers tous les hommes de bonne volonté et en premier lieu vers ceux qui tiennent en main ces moyens », pour les exhorter à les utiliser « uniquement pour le bien de l’humanité, dont le sort dépend chaque jour davantage de leur bon usage »[4]. Certaines dérives et certains dangers de l’univers médiatique étaient bien présents : manipulation de la vérité, censure, offenses à la morale et aux mœurs. D’où un ton bien plus « bureaucratique » que celui d’autres documents du Concile, y compris les autres décrets.

Si le mot « paix » n’apparaît jamais dans le texte, la « justice » est citée par trois fois comme un devoir des citoyens, des pouvoirs publics et des producteurs d’information.

 

Cinquante ans après, de nouveaux outils

D’une part, les réseaux sociaux (Twitter en premier) ont joué un rôle important dans plusieurs pays du monde pour la défense des droits de l’Homme ou simplement pour alerter l’opinion publique internationale au sujet des menaces contre la liberté. Et en quelques occasions – il suffit de penser au  « printemps arabe » – ils ont été de puissants médias alternatifs, capables de déjouer les censures du pouvoir pour diffuser les mots d’ordre d’une jeunesse qui ne supportait plus les diktats de vieux satrapes corrompus ou de chefs religieux qui voulaient imposer leur ordre moral.

D’autre part, les réseaux sociaux ne sont pas à l’abri du bouleversement qui concerne le champ des médias dans son ensemble : crise de la presse écrite, avec de redoutables conséquences pour de nombreux secteurs économiques, de la production à la diffusion des journaux ; cessation des publications pour certains titres, fermetures de kiosques et de maisons de la presse. La crise du secteur – assez ancienne et l’on pourrait dire « systémique » – s’est aggravée : face aux avancées du numérique et au succès des tablettes et des smartphones comme supports de l’information, les éditeurs n’ont pas su imposer un autre modèle économique. Et les pouvoirs publics ont laissé le champ libre à de nouveaux monopoles, à des géants devenus rapidement indispensables : Google en est l’illustration éclatante. Désormais, les « agrégateurs » de contenus (Google en est un, avec son moteur de recherche et ses nombreux services) sont plus importants et pèsent plus lourd que les « producteurs » d’information, les éditeurs traditionnels.

Le schéma est connu, depuis – au moins – les analyses de Max Weber : à chaque révolution technologique, après l’effervescence des origines, après le désordre créatif des pionniers, l’on assiste à la formation de conglomérats de plus en plus puissants et, finalement, à la naissance de nouveaux monopoles.

Pouvait-on éviter la répétition de ce processus ? Probablement, oui. Mais le fait est que les nouveaux monopoles sont là. Et ils imposent leurs règles au système des médias dans son ensemble. Même Facebook, qui pouvait paraître comme l’utopie bon enfant de quelques étudiants universitaires souhaitant créer un réseau d’amis à l’échelle de la planète, s’est transformé en machine à sous, grâce à l’introduction de la publicité.

Le véritable fait nouveau, selon de nombreux chercheurs, est que le Net semble avoir en lui-même, par son extension et par le nombre d’utilisateurs, les anticorps capables de protéger l’organisme tout entier des dérives les plus désastreuses : c’est ce que certains appellent « l’intelligence collective », ce savoir et cette connaissance d’un type nouveau créés par la coopération des membres d’un réseau social. Face aux monopoles, de nouvelles ressources technologiques ou des inventions révolutionnaires arriveraient ainsi à se frayer un chemin, en bouleversant nos habitudes et nos pratiques culturelles.

 

Règles et vigilance

Vraie ou fausse, cette lecture ne dispense pas les internautes et tout citoyen de la nécessaire vigilance critique, car la révolution médiatique en cours accentue des phénomènes déjà visibles au tout début du Net. Tout d’abord, la disparité entre le Nord et le Sud du monde, car – ne l’oublions pas – il y a des régions du globe encore sans électricité et sans lignes téléphoniques. Et donc sans accès à l’information sur Internet. Des régions où même les médias traditionnels peinent à s’imposer.

Sur les deux milliards d’utilisateurs connectés à Internet dans le monde la très grande majorité se trouve dans les pays développés. Mais que ce soit au Nord ou au Sud du monde, l’ampleur de la diffusion de Google et Facebook est frappante. Les deux géants dominent, en nombre de connexions, le marché planétaire, avec l’exception notable de la Chine qui a imposé – censure aidant – un moteur de recherche autochtone, Baidu. Mais en Europe, en Amérique du Nord et en Océanie, Google reste le site le plus visité. Tandis qu’au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Amérique du Sud, c’est Facebook qui domine[5].

Les dangers potentiels de tels monopoles ont  poussé le Parlement européen à adopter, en 2011, une résolution sur la neutralité du Net, car à personne n’échappe que le réseau est devenu  un outil de puissance sans frontières, capable d’imposer ses règles aux États-nations. En ce domaine, comme dans la vie des peuples et dans les relations internationales, une paix véritable passe par la justice : une plus juste distribution des ressources, un accès à la connaissance disponible grâce au réseau, la formation à l’utilisation des nouvelles technologies, la disponibilité d’ordinateurs à bas prix, la mise en place de sites « participatifs », de réseaux informatiques d’entraide…

Lutter contre la fracture numérique entre le Sud et le Nord du monde est désormais une priorité, inséparable de tout projet de développement.

 

La mue des medias ?

Mais le big bang numérique auquel nous avons assisté ces dernières décennies montre aussi, à côté des innombrables aspects positifs, les dangers auxquels nous sommes exposés par des États ou des groupements économiques peu scrupuleux : surveillance globale, favorisée par les nouveaux systèmes de géolocalisation par satellite, cyberguerre, qui passe par le piratage de données sensibles, la manipulation de l’information, la censure…

D’où l’importance des « lanceurs d’alertes » qui permettent, par leurs révélations, de dénoncer les dérives des États et d’informer les citoyens.

Face à la crise qui frappe nos sociétés et aux transformations du paysage médiatique traditionnel, les médias sont appelés à une sorte de « mue ». Sauront-ils se « débarrasser de l’idéologie invisible qui les pousse à privilégier les épiphénomènes, les faits anecdotiques, les jeux du   cirque et les paillettes, pour redécouvrir et analyser, à côté des faits divers ou des événements du jour, les véritables faits de société, leurs causes et leurs effets sur la vie de nos concitoyens »[6] ? Ou resteront-ils prisonniers d’un schéma idéologique et d’un modèle économique qui ont montré toutes leurs limites ?

Sauront-ils redécouvrir leur rôle de gardiens du bien commun, « chiens de garde » de la démocratie et d’une conscience critique dérangeante ? Ou bien continueront-ils à privilégier la « fabrique du consensus », caisse de résonance des mots d’ordre et des stéréotypes de l’idéologie dominante ?

La naissance de réseaux sociaux alternatifs, le succès du journalisme d’enquête sur Internet, des blogs et des sites de partage (de connaissances, d’outils ou d’opinions) prouvent encore une fois que le temps de la communication à sens unique, gérée par l’État ou par de puissants groupes privés, est révolu. L’avenir est celui d’une communication « pluridirectionnelle », qui s’adresse, non pas à des auditeurs ou à des spectateurs passifs, mais à des acteurs capables de faire entendre leur voix.

Or, comme l’indiquait le document des évêques en 2011, « les médias traditionnels sont appelés à se réinventer, à renouveler leur langage et à changer leurs priorités. Sans oublier que leur rôle est d’autant plus précieux qu’il permet de donner la parole aux exclus, à ceux qui vivent aux marges de la société et que la crise frappe plus durement que d’autres ». Mais aux chrétiens appartient une tâche supplémentaire : témoigner que la communication n’est pas un exercice purement formel, une technique ou un ensemble de techniques, mais une aventure humaine, une de ces « merveilles » dont nous parle le Concile et qu’il faut soustraire à la logique de marchandisation du monde.

 

[1] Henri Fesquet, Le journal du Concile, 1966. Nouvelle éd. 2012, Paris, Salvator, p. 327.

[2] Inter Mirifica, Préambule, 1.

[3] Ibi, I, 5.

[4] Ibi, II, 23.

[5] Voir l’enquête du groupe Alexa, réalisée en août 2013 : http://geography.oii.ox.ac.uk/2013/09/age-of-internet-empires/

[6] Conférence des évêques de France (Conseil Famille et Société), Grandir dans la crise, 2011.

Depuis 47 ans, les papes donnent un message pour le 1er janvier, journée mondiale de la paix pour l’Eglise catholique.

Mis bout à bout, ces messages constituent une petite encyclopédie sur la paix. Cette année, le message est consacré à la fraternité, composante et route pour la paix.

Un résumé de l’enseignement consacré à la paix

Ce message court peut se lire comme un résumé de l’enseignement de l’Eglise sur la paix depuis le Concile Vatican II. Cette paix est comprise dans un sens large, pas simplement le silence des armes. La paix est aussi civile, intérieure et internationale. Le pape François rappelle que la vraie paix implique le respect des droits de l’homme, la justice sociale, le souci des personnes vulnérables, des efforts de désarmement, le soin de la nature. La paix exige une culture de paix.

 

Des accents particuliers

Dans le message de cette année, on remarquera quelques inflexions et insistances par rapport aux messages antérieurs : le lien fort entre l’enseignement social de l’Eglise et celui sur la paix ; la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités ; l’avidité de biens matériels, désignée comme cause de la crise économique et financière (cf. la cupidité de Stiglitz) ; l’insistance sur la corruption et les mafias ; le « style de vie sobre » comme levier de paix et de fraternité, et pas seulement pour les religieux.

 

Une phrase sujette à malentendu

« La fraternité véritable entre les hommes suppose et exige une paternité transcendante ». Cette phrase sera comprise comme une prétention des catholiques à être de meilleurs frères que les agnostiques. Malentendu ! cela signifie que la fraternité universelle ne trouve pas en elle-même les raisons de son universalité. Paradoxe des démocraties universalistes qui impliquent une transcendance que pourtant des sociétés séculières ne peuvent/veulent pas nommer. Les agnostiques J. Habermas et R. Debray le disent aussi : « Pas de lien visible sans un Invisible par-dessus… Pour qu’un je et un tu fassent un nous, il faut un Autre… » (Régis Debray, Le moment fraternité, Gallimard, p 79). On ne s’étonnera pas qu’un pape nomme cette sacralité. La fraternité ouverte à tous est régénérée en et par Jésus Christ.

Repères

Désarmement

« Tant qu’il y aura une si grande quantité d’armement en circulation, on pourra toujours trouver de nouveaux prétextes pour engager les hostilités. Pour cette raison, je fais mien l’appel de mes prédécesseurs en faveur de la non -prolifération des armes et du désarmement de la part de tous, en commençant par le désarmement nucléaire et chimique (&7) ».

 

Style de vie

« … le style de vie sobre et basé sur l’essentiel, de celui qui, partageant ses propres richesses, réussit ainsi à faire l’expérience de la communion fraternelle avec les autres. … c’est le cas non seulement des personnes consacrées qui font vœu de pauvreté, mais aussi de nombreuses familles et de nombreux citoyens responsables, qui croient fermement que c’est la relation fraternelle avec le prochain qui constitue le bien le plus précieux (& 5) ».

 

La nature

Vis-à-vis de la nature, « nous sommes souvent guidés par l’avidité, par l’orgueil de dominer, de posséder, de manipuler, de tirer profit : nous ne gardons pas la nature, nous ne la respectons pas, nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont nous devons prendre soin pour la mettre au service des frères, y compris les générations futures (&9) ».

 

La mondialisation« un monde caractérisé par cette mondialisation de l’indifférence qui nous fait lentement nous habituer à la souffrance de l’autre, en nous fermant sur nous-mêmes… la mondialisation nous rend proches, mais ne nous rend pas frères… (&1) ».