Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Les enjeux de la finance ne concernent pas seulement la crise qui a éclaté depuis 2007.

Le secteur financier a connu jusqu’en 2007 une croissance importante dans un pays comme la France : la banque et l’assurance y sont parmi les premiers employeurs du secteur privé avec plus de 530 000 collaborateurs en 2011. Les crédits à la clientèle non financière ont représenté 2 142 milliards d’euros en 2011 (dont 941 milliards de crédits à l’habitat), et les ressources émanant de la clientèle non financière, plus de 1 700 milliards (dépôts, livrets …). Si cette crise financière est globale, on relèvera toutefois que le système financier français s’est montré notablement plus résilient que celui de la plupart des autres pays développés, en partie du fait d’un poids de l’État historiquement plus important dans le pilotage de l’activité économique et financière.

Les flux internationaux de capitaux mondiaux, quant à eux, ont été multipliés par 1900 en dollars courants entre 1980 et 2010, alors que la production mondiale ne l’a été que par deux et les échanges transfrontaliers de marchandises par 12. Il s’agit là d’un changement de monde et de logique où la finance s’est éloignée de son objectif premier, le financement de l’activité économique au service d’un bien individuel et communautaire, au service du bien commun.

Cette nouvelle planète financière appelle la vigilance afin que les plus faibles n’en soient pas les victimes, car les personnes et les familles y sont profondément inégales et ne comptent pas de la même manière. Les groupes les plus pauvres et les plus vulnérables vont souffrir davantage  car leur résilience financière est faible. Les plus riches peuvent absorber des pertes ; ce n’est pas le cas de ceux dont l’épargne est limitée ou inexistante.

Dès la fin des années soixante-dix, la financiarisation de l’économie s’est accélérée grâce à la dérégulation qui, sous couvert de libéralisation, a éliminé les règles prudentielles et à cause également de la désintermédiation qui a favorisé le passage d’une économie d’endettement sain et contrôlé à une économie de marchés financiers censés s’autoréguler.

La finance a été un outil au service du politique qui, face aux crises des années soixante-dix, et notamment la croissance des dettes des gouvernements, a cédé aux sirènes de l’industrie financière. Une financiarisation générale de l’économie s’en est suivie avec, comme conséquence, un endettement excessif qui, masqué par l’illusion d’une croissance infinie, pèsera sur les générations futures.

Le fonctionnement de cette planète financière repose sur le court terme qui privilégie les profits réalisés rapidement, par la préférence pour la liquidité qui décourage l’engagement dans la durée et par la pratique de la spéculation comme finalité plutôt que comme moyen. Cette dernière est caractérisée par la recherche d’un gain financier en pariant sur la fluctuation des prix ; sans contrôle, elle peut conduire à une économie de casino et de prédation dévoyant la raison profonde de la finance, alors que celle-ci devrait être responsable (visant le développement) et solidaire (au profit de la participation de tous aux dynamiques économiques).

Les risques ont toujours existé puisqu’ils constituent la dynamique de toute vie et de toute innovation. Que ce soit par la prévention ou par l’assurance, les hommes cherchent à bannir l’imprévu. La recherche du risque zéro par les acteurs de la finance les a cependant conduits à des pratiques qui traduisent une volonté de maîtrise absolue des aléas du monde.

Transférer sur les autres les impacts négatifs de ses choix est un acte de violence et d’injustice. Sans fermer la porte à des possibilités de pardon, le fait d’avoir à assumer les conséquences – y compris financières – des choix spéculatifs est un axiome de justice. Or, le choix de vie pour soi et pour les autres ne peut pas se réduire à un simple choix individuel. Le souci pour le bien commun invite à penser de nouvelles logiques de choix collectif.

L’autorégulation des acteurs de la finance est un mythe. Le système est générateur d’instabilités et de comportements de jeu où l’addiction et la fascination pour le gain obtenu ont une place majeure. Livrée à elle-même, la finance oublie trop souvent sa vocation d’irriguer l’économie pour devenir un jeu de casino où les mises sont l’argent d’autrui, au risque de provoquer une crise systémique. La perspective d’une union bancaire européenne est un pas dans la bonne direction.

Si la finance a un rôle important pour le développement intégral, elle doit être remise à sa place et contribuer à relever les grands défis – sociaux, environnementaux, énergétiques et culturels — de l’humanité qui exigent un horizon de long terme. Elle ne peut pas être sa propre finalité, mais elle doit contribuer à l’élévation globale de l’humanité, en aidant le politique à faire des choix qui ne compromettent pas la vie des générations futures.

L’éthique financière apparaît comme une clef pour un renouveau. Au-delà de l’évocation des effets d’un système, elle implique la prise en compte de la responsabilité personnelle dans les décisions. Cette éthique implique le refus du mensonge et une exigence de transparence. Elle impose la véracité (notamment sur les produits financiers vendus), le refus de la dissimulation d’informations stratégiques et l’acceptation de règles de contrôle, y compris par les usagers. Les risques de conflits d’intérêt (entre les contrôleurs et les banquiers) doivent conduire à des procédures contraignantes visant à les réduire. Les chartes et codes déontologiques forment le socle de cette éthique, mais il faut en outre assurer la protection des victimes et de ceux qui dénoncent les dysfonctionnements de la sphère financière. Face à cette « loi molle », le dispositif ne sera pas complet si la législation ne consacre pas la responsabilité pénale des grands acteurs.

Le rôle de l’État, des États, de l’Union européenne et de la communauté internationale est fondamental : ils doivent défendre le bien commun en exerçant leurs responsabilités de contrôle et d’organisation par l’adoption de lois, de règles et l’instauration de pratiques nouvelles, afin que les plus faibles puissent déployer leurs capacités et contribuer à la dynamique collective.

[1]Texte complet disponible à Justice et Paix et sur  http://justice-paix.cef.fr/IMG/pdf/Postures_chretiennes_face_a_la_finance_Justice_et_Paix_juin_1013.pdf

La Lettre de Justice et Paix de juin dernier (n° 181) propose, sous la signature de deux experts dont la compétence est indiscutable, un ensemble d’informations fort utiles sur les armes et les stratégies nucléaires, ainsi que sur les divers traités internationaux en la matière. Cette information, fiable, est précieuse pour alimenter les débats sur les choix à faire.

Là où le bât blesse, c’est quand le document en vient aux propositions. L’une d’entre elles, la « dénucléarisation unilatérale », n’a visiblement pas la faveur des auteurs ! C’est leur droit, bien sur. Encore faudrait-il qu’ils la discutent pour l’écarter. Or elle est expédiée en trois lignes, les auteurs ne l’estimant même pas digne d’être discutée. Ignoreraient-ils que l’ « Appel en faveur du désarmement nucléaire unilatéral de la France » a été signé, en janvier 2012, par 46 personnes, dont bon nombre ne peuvent être aisément disqualifiées pour naïveté ou légèreté intellectuelle (entre autres, Olivier Abel, Guy Aurenche, Françoise Héritier, Stéphane Hessel, Edgar Morin, Alain Touraine, Paul Virilio, Patrick Viveret) ? Surprenante méconnaissance, puisque le texte de cet appel est accessible sur le site même de Justice et Paix (deux de ses anciens secrétaires nationaux, Antoine Sondag et moi-même, en étant signataires).

On peut aussi s’étonner de lire, dans un document qui fait montre d’un grand souci de précision et de rigueur, une affirmation erronée : les partisans de la dénucléarisation unilatérale  « comptent sur les vertus de l’exemplarité » ! On se demande bien où ils ont lu cela : ni dans l’appel des 46, ni dans les argumentaires développés en faveur de cette position[1] l’argument de l’exemplarité n’est mis en avant. Tout au plus le trouve-t-on sous forme négative : en conservant et modernisant ses armes nucléaires et en développant un discours public pour les justifier, la France (comme les autres pays détenteurs de ces armes) donne un « mauvais exemple » qui disqualifie ses plaidoyers pour la non-prolifération : « S’il prétend que l’arme nucléaire est la garantie de la sécurité des Français, comment l’État français peut-il demander aux peuples non dotés de l’arme nucléaire de renoncer à la posséder ? » (appel des 46).

Non, ce n’est pas pour « donner le bon exemple » – argument effectivement très naïf –, que la France devrait se débarrasser du fardeau nucléaire. C’est tout simplement parce qu’il lui pèse (financièrement, politiquement) et ne lui sert à rien pour la protéger de quelque menace que ce soit. Je conçois fort bien que l’on puisse être en désaccord avec cette affirmation, mais alors qu’on présente des arguments pour la réfuter : à quoi servent nos armes nucléaires ? De quoi nous protègent-elles ? Quels moyens nous donnent-elles pour intervenir là où nous jugeons légitime d’intervenir ?

Je sais qu’il existe aussi de forts arguments éthiques contre la possession de telles armes. Ces arguments, que je connais et auxquels j’adhère en tant que chrétien, attentif aussi à l’évolution considérable du Vatican sur ce point depuis les années 80, auraient pu au moins être évoqués dans un tel document. Il est vrai qu’ils se situent sur un autre registre et demanderaient de longs développements. Rappelons seulement que la fameuse distinction entre « emploi » et « menace », mise en avant par le document épiscopal de novembre 1983 pour justifier la doctrine française de dissuasion nucléaire, a été explicitement récusée dans diverses déclarations romaines. C’est, j’en conviens, un autre débat ; il me tient à cœur comme catholique, mais j’admets qu’il n’aurait, hélas, guère d’influence sur l’opinion publique de notre pays.

[1] www.francesansarmesnucleaires.fr