Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024 (PDF)
Les années passent. Certains interlocuteurs changent. Mais, apparemment, rien ne change. Tout s’enkyste.
Décrire la situation consiste à reprendre le même refrain en se demandant cependant si quelque chose n’est pas en train de changer. D’année en année, on se dit : cela ne peut pas durer. Et cela dure !
Sans cesse, l’on reprend l’histoire pour comprendre.
1917 : Balfour, le Ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni, déclare : « Le gouvernement de Sa Majesté voit favorablement l’établissement d’un « chez soi » national en Palestine du peuple juif. » Depuis, la violence n’a jamais cessé d’exister.
On connaît actuellement les tirs de roquette des Palestiniens sur les Israéliens. On connaît moins le nombre de meurtres perpétrés par les colons israéliens.
Bref rappel historique
1936-1939 : les Palestiniens se révoltent contre les Britanniques.
1947 : plan de partage de l’ONU refusé par les Palestiniens.
1948 : après avoir déclaré son indépendance, l’Etat d’Israël fait face à une guerre des Etats arabes voisins, perdue par eux. 78 % du territoire est annexé par Israël et la Cisjordanie l’est par la Transjordanie.
1967 : après la guerre des 6 jours, l’Etat d’Israël occupe la Cisjordanie et Gaza, les 22 % restant de la Palestine, et les place sous juridiction militaire (ce que condamne la résolution 242 de l’O. N. U.).
1987 : première intifada.
1988 : Yasser Arafat proclame l’indépendance de la Palestine, et reconnaît l’existence de l’Etat d’Israël.
1991 : une conférence à Madrid, organisée par l’Espagne, patronnée par l’URSS et les Etats-Unis, fait se rencontrer officiellement pour la première fois Israéliens et Palestiniens.
1998 : à Oslo, une déclaration de principe est signée par Arafat et le Premier Ministre d’Israël, Yitzhak Rabin. Arafat reconnaît le droit d’Israël à vivre dans la paix et la sécurité. Il renonce à la violence (sous- entendu aux attentats contre les intérêts d’Israël à l’extérieur. On se souvient des Jeux Olympiques de Munich). Les principes d’Oslo fixent un processus de cinq ans pour qu’Israël quitte les territoires occupés. L’O L P doit assurer la sécurité des territoires occupés. Une section de l’article XVI des principes prévoyait la libération des prisonniers palestiniens.
1999 : après une discussion à Wye River, un mémorandum fut signé à Sharm El Sheikh pour la libération des prisonniers palestiniens. C’est cet accord qui vient d’être appliqué en 2014.
2000 : sommet de Camp David qui se termine par un échec.
2000 : deuxième intifada.
2002-2003 : la Ligue arabe propose un plan de paix qui aurait pour but de régulariser la situation entre Israël et 57 pays arabes (en échange de la reconnaissance d’Israël et de l’application de la résolution 194 des Nations Unies sur les réfugiés).
2003 : un « quartet » est mis en place (U. S. A., Russie, Europe, Nations Unies) qui établit une feuille de route pour aller vers l’établissement de deux Etats souverains.
2005 : unilatéralement, Israël évacue Gaza tout en en fermant les frontières.
2007-2008 : une conférence se tient à Annapolis pour mettre en place la phase 1 de la « feuille de route ». Elle butte sur la demande d’Israël que les Palestiniens reconnaissent Israël comme un « Etat juif » et sur une nouvelle vague de colonisation dans les territoires occupés.
2010 : Georges Mitchell, sénateur américain, est chargé de renouer les discussions, mais celles-ci échouent lorsque Israël décide d’intensifier la colonisation.
Les négociations
2013 : le Secrétaire d’Etat John Kerry est chargé de trouver un chemin vers la paix. Il se donne d’abord six mois, puis neuf. En principe, les négociations secrètes devraient s’achever fin mars 2014.Le monde entier souhaite que Kerry réussisse.
Apparemment, la paix ne préoccupe pas tous les Israéliens, tant la vie, dans une large part d’Israël, se passe « normalement ». Les colons israéliens, eux, en ont peur.
Les Palestiniens la souhaitent, mais n’y croient pas. Toutes les personnes que j’ai rencontrées estiment que les Israéliens ne lâcheront rien. Les Palestiniens ne sont ni dans la peur, ni dans la haine. Quelquefois proches de la dépression. Certains ont une vraie soif de vivre. Les diplomates de Tel Aviv espèrent que Kerry réussira. A vrai dire, ils semblent plus intéressés par le renforcement des liens économiques avec Israël que par l’idée de mettre tout le poids politique et économique –notamment de l’Europe – pour résoudre le problème.
Chacun s’accorde à dire que les Américains semblent se donner les moyens de réussir.
Vue de Jérusalem et de Ramallah, la situation apparaît bloquée : pour beaucoup, les gouvernements d’Israël, de l’Autorité palestinienne, des Etats-Unis sont trop faibles pour imposer un changement à une opinion divisée. Et l’Europe –qui paie beaucoup- ne semble pas avoir d’autorité politique.
Obstacles et progrès
Comme les conversations sont secrètes, il est difficile de démêler les informations vérifiables des rumeurs plus ou moins intéressées à faire capoter les négociations.
Cependant, il est relativement facile d’énumérer les sujets difficiles: la sécurité, le tracé des frontières, les réfugiés, les prisonniers, la libre circulation, les colonies, les solutions de continuité entre le moment actuel et la paix.
A l’évidence, Israël négocie en position de force. Son avis sera déterminant, d’autant que les Américains lui ont toujours prêté la plus grande attention. On peut penser qu’Israël demandera que la Palestine soit un Etat démilitarisé qui devra accepter qu’Israël assure la sécurité des colonies et des routes y conduisant. Israël peut accepter qu’un aéroport, en Jordanie, desserve l’Etat palestinien, à la double condition d’en partager le contrôle avec les autorités palestiniennes et d’avoir un contrôle sur la vallée du Jourdain.
A l’évidence, la Palestine devra abandonner l’idée de faire reconnaître le droit de retour des réfugiés en Palestine (60 % des Palestiniens sont réfugiés en dehors de la Palestine), même si l’on peut penser à une série d’exceptions et à un fonds alimenté internationalement pour dédommager certains d’entre eux.
En échange de quoi, Israël reconnaîtrait les frontières de 1967 sans qu’il soit évident que le gouvernement israélien accepte vraiment ces frontières et non celles du Mur qu’il a toujours bâti à l’intérieur du territoire palestinien. Il accepterait une capitale symbolique pour la Palestine dans la vieille ville de Jérusalem.
Les cris d’orfraie poussés par certains Israéliens peuvent faire penser que les négociations sont entrées dans une phase significative, celle où le courage politique va devenir nécessaire.
Et les chrétiens ?
Reste pour nous, chrétiens, un point aveugle.
A l’évidence, le sort des Chrétiens n’est pas pris en compte dans ce qui se cherche.
La Cour suprême de l’Etat d’Israël doit trancher l’affaire du Mur de la vallée de Crémisan.
Ce sera un signe.
Là le mur est destiné à terminer la mise en place d’une couronne de construction de colonies autour de Jérusalem, pour isoler la ville du reste de la Palestine.
Son but n’est évidemment pas la sécurité (il suffirait qu’il soit dans la partie israélienne, et rectiligne, alors qu’il est prévu qu’il épouse les sinuosités du terrain pour supprimer aux Chrétiens de cette vallée toute possibilité d’agriculture).
Au-delà de toutes les déclarations, le jugement de la Cour suprême sera le signe d’une volonté politique réelle d’aller vers la paix et de garder une communauté chrétienne ou sera le signe que, jusqu’à présent, les discussions n’ont été qu’un prétexte pour gagner du temps.
Le fait qu’un peuple à majorité musulmane ait exprimé aussi clairement le 30 juin dernier son refus de l’islam politique est extrêmement encourageant.
Au cours du premier semestre de 2013, le régime islamiste de Mohammed Morsi s’est gravement discrédité. Pour deux raisons principales : le sectarisme et l’incompétence. Le sectarisme s’est manifesté par une obsession des Frères musulmans à occuper le maximum de postes au sein de l’État. (…) Ceci a déplu aux Égyptiens, qui, sortant de quatre décennies de régime autoritaire, n’ont guère envie de subir une autre dictature, religieuse cette fois. La seconde raison est l’incompétence dont les dirigeants islamistes ont fait preuve. Ils se sont plus préoccupés d’idéologie – faire voter une Constitution islamiste et des lois sur la « moralisation » de la société – , alors que les attentes des Égyptiens étaient du travail pour leurs enfants, des écoles et des transports de meilleure qualité, des soins de santé décents, etc. Avec le recul, on mesure mieux qu’un troisième facteur a précipité leur chute : l’État profond n’a pas changé de nature. L’administration et les grands corps de l’État – magistrature, police, diplomatie, etc. – sont restés aux mains de ceux que le régime de Hosni Moubarak avait installés.
Cela a conduit à juin 2013. Un mouvement populaire, lancé par la jeunesse révolutionnaire de Tahrir et appelé tamarrod (rébellion), a lancé une campagne nationale de signatures visant à réunir plus de noms que le nombre de voix obtenus par Mohamed Morsi lors de son élection en 2012. Ils y seraient parvenus, soutenus, semble-t-il, par une partie de l’appareil d’État, certains partis politiques libéraux et des officiers supérieurs. Toujours est-il que le 30 juin 2013, date anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Mohammed Morsi, a été marqué par des manifestations d’une ampleur inégalée, sur l’ensemble du territoire national. De plus, la composition sociale des protestataires était cette fois plus large que lors de la chute de Moubarak : un vaste éventail de catégories sociales, des ruraux comme des urbains, diverses générations réunies.
Devant l’ampleur des manifestations, le ministre de la Défense, le général al-Sissi, pourtant choisi onze mois plus tôt par Morsi lui-même, annonce le 3 juillet la destitution du président, la suspension de la Constitution, la nomination d’un président intérimaire – le président de la Haute Cour constitutionnelle – et d’un gouvernement chargés de mettre en œuvre une « feuille de route » : écriture d’une nouvelle Constitution et organisation de nouvelles élections législatives et présidentielles. Cette destitution a été appuyée par le grand Imam d’Al Azhar, le pape des Coptes orthodoxes, les partis politiques libéraux et le parti salafiste. Un large front. Ce qui avait été sous -estimé est la détermination des Frères musulmans à lutter pour conserver un pouvoir qu’ils estiment acquis « démocratiquement ». Plusieurs pays occidentaux ont d’ailleurs été tentés de les soutenir, demandant la libération de M. Morsi au nom du respect des formes de la démocratie. La majorité des Égyptiens a considéré ce coup d’État comme étant plus populaire que militaire. Appelant leurs partisans à « résister jusqu’au martyre », les dirigeants des Frères musulmans ont alors déclenché une dynamique de violence qui s’amplifie de jour en jour, avivée par la vigueur de la répression militaire. La présence de nombreux combattants djihadistes dans le Sinaï complique la donne. La crainte actuelle est un scénario à l’algérienne (des années 1990) : multiplications des attentats islamistes et développement d’un courant éradicateur au sein de l’armée.
La nouvelle Constitution sera soumise à référendum à la mi-janvier. Les Frères musulmans appellent au boycott et multiplient les foyers d’agitation, en particulier dans les Universités. On ne sait pas encore quand auront lieu les élections. Le plus inquiétant pour l’heure est de voir la violence se rapprocher des villes et des citoyens, et l’absence de voix et de figures politiques appelant au compromis, à la négociation. Il n’y aura de véritable issue que lorsque tous les acteurs politiques accepteront de s’impliquer. Les Frères musulmans doivent accepter de faire leur autocritique et les militaires comprendre que la méthode forte ne règle pas tout, loin de là. Cette transition politique va prendre une ou deux générations. Espérons qu’elle n’engendrera pas trop de violences. Le face- à- face actuel est inquiétant.