Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Nous célébrons cette année le 50ème anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II : non par nostalgie, mais pour faire mémoire d’un événement qui a marqué et qui marque profondément le temps que nous vivons.

Nous voici donc conviés à relire ces cinquante années pour enraciner dans notre présent ce message toujours neuf, qui demeure « notre boussole » pour faire route avec toute l’humanité.

C’est en lien étroit avec le Concile que Paul VI publiait, le jour de Pâques 1967, l’encyclique Populorum progressio. Elle est comme la réponse à l’appel exprimé par la Constitution conciliaire Gaudium et Spes contre l’état de misère et de sous-développement dans lequel vivent des millions d’êtres humains. Certaines expressions ont fait leur chemin : « le développement est le nouveau nom de la paix », « la question sociale est aujourd’hui mondiale ».

En créant dans le même élan le Conseil pontifical Justice et Paix, il entendait adresser « un appel solennel à une action concertée pour le développement intégral de l’homme et le développement solidaire de l’humanité » (n.5).   C’est encore au même moment que Paul VI  instituait le 1er janvier  Journée mondiale de la paix, dont la préparation fut justement confiée à Justice et Paix. Une impulsion nouvelle était donnée, qui a éveillé les consciences et mobilisé les énergies, élan encouragé et soutenu par les ² encycliques sociales de Jean-Paul II et Caritas in veritate de Benoît XVI.

Le premier but de ce Conseil, – et donc, par le fait même des antennes créées par les conférences épiscopales -, est d’approfondir, de diffuser et de mettre en pratique la doctrine sociale de l’Église. Les publications sont abondantes, sur des sujets aussi cruciaux que l’endettement international, le commerce des armes, la financiarisation des activités économiques, les droits de l’Homme, l’environnement, sans oublier la dernière note, en octobre 2011, « Pour une réforme du système financier et monétaire international ».La liste serait longue. Ce ne sont pas simplement des textes : ils sont en effet le fruit de collaborations multiples et de liens tissés avec des organismes internationaux. L’Église prend part ainsi aux débats qui concernent la vie et l’avenir de l’humanité ; elle est présente et active sur les fractures de notre monde. Il faut lire le livre du cardinal Roger Etchegaray, au titre suggestif : « J’ai senti battre le cœur du monde ». On est impressionné par le nombre des missions qui lui ont été confiées, sur tous les continents, pour promouvoir la paix et la réconciliation : les Balkans, l’Amérique latine, le Rwanda, l’Irak,…

Eveiller et réveiller les consciences, exercer une mission de vigilance, « éduquer à la justice et à la paix » (Message de Benoît XVI, 1er janvier 2012), agir pour qu’adviennent « les cieux nouveaux et la nouvelle terre où la justice habitera » : c’est l’une des façons de « recevoir » le Concile dans l’aujourd’hui de notre histoire.

« Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent »  (Ps 84,11)

REPÈRES

 

Dès 1971 Paul VI écrivait au Cardinal Maurice Roy, président du conseil des laïcs et de  usticeet Paix:

« De partout monte une aspiration à plus de justice et s’élève le désir d’une paix mieux assurée dans un  respect mutuel entre les hommes et entre les peuples.. …

Dans les mutations actuelles, si profondes et si rapides, chaque jour l’homme se découvre nouveau, et il s’interroge sur le sens de son être propre et de sa survie collective… Il a besoin d’éclairer son avenir, par des vérités permanentes…

Jamais, à aucune autre époque, l’appel à l’imagination sociale n’a été aussi explicite. Il y faut consacrer des efforts d’invention aussi importants que ceux qui sont investis pour l’armement ou pour les performances technologiques. Si l’homme se laisse déborder et ne prévoit pas à temps l’émergence des nouvelles questions sociales, celles-ci deviendront trop graves pour qu’une solution pacifique puisse être espérée. » (Lettre apostolique au cardinal Roy, 7,18).

Message pour la paix du pape Benoît XVI, 1er janvier 2012

 Pour la 45è fois depuis la première initiative prise par Paul VI, ce 1er janvier est dédié à la paix dans le monde. Un message, signé le 8 décembre, marque le début de l’année 2012,. Il a pour thème « Éduquer les jeunes à la justice et à la paix ».

 

Une invitation à l’espérance

 

Dès la première approche, le lecteur peut remarquer la tonalité positive du message et le style direct du propos : il s’adresse d’abord aux jeunes eux-mêmes, mais aussi aux éducateurs et notamment aux parents. Ainsi, contrairement à ce que l’on observe souvent, le message ne considère pas les jeunes comme les objets d’un discours, mais comme des sujets capables d’accueillir eux-mêmes une parole. Ils ne sont donc pas ceux dont on parle, mais ceux à qui on s’adresse. On remarque notamment une attention à leurs situations concrètes, marquées par la crise, à leurs conditions de vie, ainsi qu’à leurs aspirations. Les thèmes retenus sont largement repris de l’encyclique Caritas in Veritate, avec un souci de clarté dans l’expression.

 

Alors que les traditionnels messages pour la paix commencent le plus souvent par une description douloureuse des drames qui affectent le monde et l’humanité, celui de cette année invite d’abord à l’espérance. « Avec quelle attitude allons-nous envisager la nouvelle année ? Dans le Psaume 130, nous trouvons une très belle image. Le psalmiste dit que l’homme de foi attend le Seigneur « plus que les veilleurs l’aurore » (v. 6) : il l’attend avec une ferme espérance, parce qu’il sait qu’elle apportera lumière, miséricorde et salut. (…) Je vous invite à considérer l’année 2012 avec cette attitude confiante. » (n° 1)[1] Une telle espérance se présente donc comme le fruit d’une expérience spirituelle.

 

Une ouverture aux enjeux humains

 

Certes, le climat de crise qui caractérise notre temps n’est pas ignoré, mais le message s’intéresse d’abord aux racines culturelles et anthropologiques de cette situation. L’argument se développe donc sur le registre de l’anthropologie sociale : « Voici la question fondamentale à se poser : qui est l’homme ? » (n° 3). Sans récuser a priori les approches  financières, économiques et politiques, le message ne prétend pas se situer à ce niveau. D’une part, la compétence proprement ecclésiale concerne plutôt le registre éthique et spirituel. D’autre part, l’attente de solutions purement techniques aux problèmes actuels peut conduire dans une impasse. Ce ne sont pas seulement des pratiques financières et économiques qu’il importe de remettre en cause, mais aussi et d’abord des conceptions de la vie humaine personnelle et collective, des représentations de ce qui est souhaitable et désirable, des figures du bonheur.

 

Paradoxalement, hisser le débat à ce niveau permet de cultiver la confiance. Lorsque le questionnement se concentre sur des problèmes techniques, en l’occurrence strictement financiers ou écologiques, on évoque des postures obligatoires, souvent fort contraignantes et discriminatoires pour les plus fragiles. On ne s’intéresse guère à l’ouverture de nouveaux possibles. Or, une recherche commune sur ce qui vaut vraiment dans la vie suppose la confiance et permet de la construire.

 

Cette attitude d’ouverture est bien celle du pape, « convaincu qu’ils (le jeunes) peuvent, par leur enthousiasme et leur ardeur en vue d’un idéal, offrir une nouvelle espérance au monde.  (…) Il s’agit de communiquer aux jeunes une appréciation de la valeur positive de la vie, en suscitant en eux le désir de la dédier au service du Bien. C’est là une tâche qui nous engage tous personnellement. (…) L’Église regarde les jeunes avec espérance, elle a confiance en eux et elle les encourage à rechercher la vérité, à défendre le bien commun, à avoir des perspectives ouvertes sur le monde et des yeux capables de voir des choses nouvelles (Is 42, 9 ; 48, 6) ! » (n° 1)

 

Une éducation ambitieuse

 

Tout naturellement, l’accent se trouve mis sur la formation et l’éducation. À ce propos également, l’argument met en lumière une anthropologie qui valorise la confiance dans les capacités humaines. « L’éducation est l’aventure la plus fascinante et la plus difficile de la vie. (…) Ce processus se nourrit de la rencontre de deux libertés, celle de l’adulte et celle du jeune. (…) Le témoin est celui qui vit en premier le chemin qu’il propose. » (n° 2) Le texte ne nous situe donc pas dans la perspective d’une transmission mécanique de techniques qui se targueraient d’être directement opératoires. Il s’agit bien de l’engagement réciproque de deux libertés : ceci implique que chacun soit disposé « à se donner lui-même ».

 

Au cœur de cette référence anthropologique qui sous- tend un projet d’éducation, il y a la reconnaissance de la dignité de chaque personne. Les responsables sont donc invités à prendre soin « que chaque jeune puisse découvrir sa propre vocation ». « Reconnaître alors, avec gratitude, la vie comme un don inestimable porte à découvrir la propre dignité profonde et l’inviolabilité de chaque personne. » (n° 3). Ainsi, l’éducation ne se réduit pas à la mise en œuvre de procédures normalisées qui pourraient donner lieu à des évaluations standardisées. Il s’agit d’abord d’un engagement personnel au service d’une liberté qui se déploie. « Que chaque structure éducative puisse être un lieu d’ouverture au transcendant et aux autres ; un lieu de dialogue, de cohésion et d’écoute, où le jeune se sente valorisé dans ses propres potentialités et ses richesses intérieures, et apprenne à estimer vraiment ses frères. » (n° 2)

 

Un appel aux politiques

 

À propos de formation, la responsabilité politique se trouve bien évoquée, mais sous le mode d’une aide concrète aux familles et aux institutions éducatives. Selon la tradition ecclésiale, l’État n’est pas le promoteur unique de l’éducation ; il est invité à mettre en œuvre le principe de subsidiarité selon lequel la responsabilité revient d’abord aux acteurs de proximité ; il lui revient de leur fournir les moyens nécessaires pour remplir cette mission.

 

L’accent est mis sur la famille, avec une allusion aux problèmes actuels découlant des conditions de travail et des migrations. À ce propos, il est demandé aux responsables politiques « qu’ils s’engagent à favoriser le regroupement des familles qui sont divisées par la nécessité de trouver des moyens de subsistance ». Ils se trouvent donc interpellés personnellement : « Qu’ils offrent aux jeunes une image limpide de la politique, comme un service véritable pour le bien de tous. » (n° 2).

 

Il y a bien un devoir d’exemplarité de la part des personnes investies en politique. Cependant, les jeunes ne sont pas seulement les bénéficiaires d’un engagement de la part des adultes, « ils doivent avoir le courage de vivre en premier eux-mêmes ce qu’ils demandent à ceux qui les entourent. (…) Ils sont eux aussi responsables de leur propre éducation. »

 

Des interrogations morales

 

Une telle vision personnaliste de l’humain conduit à prendre position dans les débats éthiques et à questionner des théories morales. Ainsi, le réflexe utilitariste, largement présent dans l’éthos contemporain, se trouve mis en question. « La personne ne peut être sacrifiée en vue d’obtenir un bien particulier, qu’il soit économique ou social, individuel ou collectif ». Une telle affirmation nous situe à rebours d’une instrumentalisation de l’être humain au service « d’utilités » qui lui sont extérieures, que ce soit dans la formation, le travail, la vie sociale.

 

On ne peut cependant oublier que toute vie humaine se déploie dans un contexte qui comprend des obligations, mais la finalité dernière se trouve bien dans le développement de la liberté de chaque personne. Notons quand même que le recours à la liberté n’est pas exempt de dérives. « (La liberté) n’est pas l’absence de liens ou le règne du libre arbitre, elle n’est pas l’absolutisme du « je ». L’homme qui se croit absolu, qui n’est dépendant de rien et de personne, et qui croit pouvoir faire tout ce qu’il veut, finit par contredire la vérité de son propre être et par perdre sa liberté. Au contraire, l’homme est un être relationnel qui vit en relation avec les autres et avec Dieu surtout. » (n° 3)

 

Le questionnement à propos de la liberté fait écho à une thématique chère à Benoît XVI : la mise en garde à l’égard du relativisme qui peut conduire « à douter de sa vie même et des relations qui la constituent ». En contrepoint, l’accent est mis sur la vérité : « Au fond de sa conscience, l’homme découvre une loi qu’il ne se donne pas lui-même, mais à laquelle il doit obéir, au contraire, et dont la voix l’appelle à aimer. »  On notera bien que la vérité dont il est question ici ne concerne pas d’abord un propos formel, mais une expérience de vie. La vérité de la vie humaine se dit dans l’engagement à aimer vraiment.

 

Pour un monde de justice et de paix

À propos de la justice, un discernement est porté sur la situation actuelle.  Si la valeur de la personne, avec sa dignité et ses droits, trouve bien place dans notre monde, elle peut cependant se trouver menacée si les seuls critères de jugement sont l’utilité, le profit, l’avoir (n° 4). De même, une conception strictement contractuelle de la justice, basée sur des principes économiques rationalistes et individualistes, peut être restrictive si l’on oublie les dimensions de solidarité et d’amour. L’encyclique Caritas in Veritate est  évoquée pour mettre en valeur les dimensions de gratuité et de communion.

 

Il est redit que la paix n’est pas seulement absence de guerre. « Nous chrétiens, nous croyons que le Christ est notre vraie paix : en Lui et dans sa Croix, Dieu a réconcilié le monde avec Lui ; (…) en Lui il y a une seule famille réconciliée dans l’amour. »  La foi en Jésus Christ Sauveur n’en reste pas à une conviction formelle, elle prend corps en un engagement de vie : « Pour être vraiment des artisans de paix, nous devons nous éduquer à la compassion, à la solidarité, à la collaboration, à la fraternité. » (n° 5) On notera que ces affirmations font écho à des travaux qui ont cours actuellement, tant en philosophie que dans les sciences sociales. Il est bon que la parole ecclésiale prenne toute sa place dans les débats contemporains qui traitent de gratuité, de sollicitude, de fraternité.

 

Dans la ligne des messages précédents, il est rappelé que la paix suppose une véritable  coopération au service du développement, mais aussi un travail continu pour la résolution des conflits. Si une telle perspective doit mobiliser les instances internationales et tout particulièrement l’ONU[2], elle implique aussi la responsabilité et l’engagement de chacun. Ce qui suppose une « éducation du goût pour ce qui est juste et vrai » à destination de l’ensemble des acteurs.

 

Un envoi

En finale, dans une adresse aux jeunes, le ton adopte la forme d’une exhortation paternelle : « Chers jeunes, vous êtes un don précieux pour la société. (…) N’ayez pas peur de vous engager. (…) Vivez avec confiance votre jeunesse et les désirs profonds de bonheur, de vérité, de beauté et d’amour vrai que vous éprouvez ! (…) Prenez conscience d’être vous-mêmes des exemples stimulants pour les adultes. (…) L’Église a confiance en vous, elle vous suit, elle vous encourage et désire vous offrir ce qu’elle a de plus précieux : la possibilité de lever les yeux vers Dieu, de rencontrer Jésus Christ, Celui qui est la justice et la paix. » (n° 6)

 

Pour conclure

Le message qui inaugure la nouvelle année situe bien le travail pour la justice et la paix au cœur même de la vie chrétienne. La bonne nouvelle du salut en Jésus Christ ouvre un espace à un avenir de vie, là où les crises de civilisation et les crispations idéologiques risquent d’induire le désespoir. La réflexion à la lumière de la foi, avec des accents personnalistes, rencontre bon nombre d’attentes de nos contemporains. Elle prend toute sa place dans la recherche actuelle pour de nouveaux modes de vie qui privilégient la relation, la solidarité, la fraternité. La volonté de partager un goût de vivre avec les jeunes générations, aujourd’hui et demain, conduit à les considérer dès maintenant comme des acteurs innovants en matière de justice et de paix.

Un souhait pour terminer : que ces quelques réflexions, accompagnées de citations du texte, donnent envie d’aller lire l’ensemble du message qui est abordable et tonique !

[1] Les paginations variant selon les éditions, les références renvoient aux numéros (de 1 à 6) de subdivision du message.

[2] On peut aussi voir le dossier du Conseil pontifical « Justice et Paix » intitulé : « Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle », publié en octobre 2011.