Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Pourtant ce qui risque de disparaître avec les spécificités françaises, mais aussi celles des Etats membres de l’Union mais non-alignés OTAN (Finlande, Autriche, Suède, Irlande…) ce sont les éléments de modernité politique de l’Union.

L’OTAN n’a jamais accepté la politique européenne de défense ; elle veut une « identité » européenne. Que cache ce changement de terme ?
Le fait qu’une identité politique ne définit pas une volonté. Elle se présente comme une culture, un mode d’être, non une volonté d’agir. Or la politique européenne de sécurité et de défense, même embryonnaire, reposait sur un long apprentissage de dépassement des conflits, d’acceptation des minorités, d’un dépassement des traumatismes mémoriels. La PESD n’est pas seulement la formation d’une capacité de défense, mais le développement d’un savoir et de moyens civilo-militaires, la mise en place d’une gamme d’outils reliant diplomatie, aides d’urgences et lentes reconstructions, financement et diplomatie préventive ; connaissance des mesures de confiance, soutien aux négociations de limitations des armements, notamment à travers l’Organisation de Sécurité et de Coopération en Europe…
Le vrai débat n’est pas de dire « oui » ou « non » à l’OTAN, mais de s’interroger sur la possibilité d’aller au-delà de cette alliance militaire vers la mise en place de systèmes de sécurité collective, voire coopérative. Ceci appartient à la « culture stratégique européenne », beaucoup moins à celle de l’OTAN, plus classiquement orientée vers l’usage de la force.

Entre la fin de la seconde guerre mondiale, en 1945 et le Traité de Rome de 1957, douze ans seulement. Entre la fin du Pacte de Varsovie (1991) et aujourd’hui, dix huit ans déjà, et la représentation de la menace russe a toujours cours !

Alors que les opinions publiques européennes peinent à imaginer des menaces, que leurs préoccupations sont économiques, sociales, l’OTAN leur demande d’augmenter les dépenses d’armements, d’être prêtes à recourir à la force contre des ennemis non identifiés, virtuels, futurs…
Le discours de l’OTAN, sans conteste largement influencé par les conceptions étasuniennes, risque de recouvrir ces recherches de sécurité s’éloignant de l’affrontement, conduites par des Etats dont la plupart ( Allemagne, Belgique, Espagne, Grande Bretagne, France, Italie …) ont existé comme empire et en ont vécu la fin tragique ! Pensons aussi aux productions d’armements. Le cadre occidental-otanien est certes intéressant pour les industriels : c’est un marché gigantesque, unifié, normé par les exigences opérationnelles de standardisation. Mais ne pourrait-on imaginer que le production d’armes, qui ne sont pas des produits « comme les autres », soit limitée aux besoins de l’Union comme « tout », défini par ses intérêts et ses objectifs stratégiques. Dès lors, au lieu de justifier production en série et exportations par une prétendue recherche d’économie d’échelle, cette production – malheureusement nécessaire – serait consciemment limitée aux seuls besoins reconnus par tous ! Le code de conduite de l’Union serait étendu à une véritable politique !

Si le débat sur la réintégration complète dans l’OTAN n’a pas et n’aura pas vraiment lieu, pensons déjà aux enjeux des élections au Parlement Européen du 9 juin prochain pour que les nouveaux élus reprennent et poursuive la véritable culture européenne, celle d’une stratégie de paix.

En Europe, les puissances vivaient dans la paix armée tout en proclamant leur intention pacifique et en affirmant qu’elles ne songeaient qu’à la défense.

Elles n’avaient pourtant pas répudié l’expérience des guerres antérieures à 1870. En revanche, le recours à la force et aux expéditions militaires était monnaie courante outre-mer, seules ou en coalitions. La Prusse, auréolée de sa victoire de 1870, commanda ainsi l’Etat major général de l’expédition qui rassembla en Chine Allemands, Autrichiens, Britanniques, Belges, Français, Italiens, les Etats-Unis et les Japonais [1]. Bref, mieux que l’Europe, l’Occident ! Et le même Grand Etat Major allemand préparait ce plan d’invasion rapide qui faillit réussir en août 1914.

En 1914, la plupart (toutes ?) des puissances européennes recourraient à la guerre, et la voulaient.

Mais la France s’était aussi préparée à la revanche pendant quarante ans, et son gouvernement voulait une victoire par la force. Cette victoire militaire, sur les marches franco-allemandes, fut si recherchée par la majorité des dirigeants français qu’ils se refusèrent à prêter l’oreille aux efforts de ceux qui, comme Benoît XV, recherchaient en 1917 des voies de négociations notamment avec l’Autriche Hongrie. La victoire de 1918 devait être celle des armes. Elle entraîna en Allemagne la légende du « coup de poignard dans le dos », qu’auraient donné les politiques et l’arrière aux soldats, thème qui fera le lit de la propagande nazie. Ce jusqu’au-boutisme militaire, suivi de l’obligation faite aux Allemands de reconnaître « la responsabilité des hostilités » n’empêcha pas 1940, il le facilita.

Le souvenir de Novembre 1918 devrait rappeler aujourd’hui dans les Balkans, aux marges des frontières russes ou dans le Caucase, les dangers des préparatifs militaires. Surtout à l’heure où la plupart des négociations de limitations des armements et des mesures de confiance s’achèvent ou sombrent dans l’indifférence.

Novembre 1918 conforta quelques nations ; il écrasa aussi bien des pauvres.

Novembre 1918 et les mois qui suivirent donnèrent lieu à une répression et une guerre sociale presque partout en Europe.

Le peuple russe paya très cher son respect en août-septembre 1914 des engagements avec les puissances de l’Ouest. Les centaines de milliers de ses soldats morts face aux forces austro allemandes, et les innombrables souffrances civiles devaient entraîner un renversement de régime. Sans cette interminable hécatombe, les bolcheviks n’auraient certainement pas pu gouverner seuls, ouvrant une nouvelle ère d’oppression. Si aujourd’hui, plusieurs peuples d’Europe centrale et orientale ont légitimement des souvenirs douloureux des nazis, puis du communisme, si la Russie utilise à nouveau des fronts pour redéfinir des frontières, souvenons nous aussi de quelles souffrances son peuple paya son implication dans les guerres européennes.

Il ne fut pas le seul dans ces terribles années qui suivirent l’Armistice. En Angleterre, en France, la répression (ou à tout le moins la réaction) politique et sociale accompagna les démobilisations. En Allemagne surtout la guerre civile suivit la défaite. La guerre ne fut pas seulement le tombeau des révolutions, elle ralentit les indispensables réformes sociales. Contre ceux qui susurrent que les guerres contribuent à forger les nations, aujourd’hui en Afrique par exemple, et pourquoi pas pour l’Union Européenne, « puissance faible », rappelons que les portes de Janus, une fois ouvertes, ne se referment qu’avec peine et que les conflits ont toujours donné aux dominants l’occasion d’écraser les aspirations sociales.

Novembre 1918 : ni les Alliances militaires ni les nationalismes ne garantissent autant la paix que les Unions politiques.

Novembre 1918, victoire militaire, fut suivi de traités qui reposaient sur un mélange de « principe des nationalités » et de nationalisme de principe.

Il en naquit tant de rancoeurs qu’aujourd’hui encore les Européens s’ingénient à en dépasser les effets. La multiplication actuelle en Europe et à ses marges (Balkans, Caucase…) d’entités politiques, de plus en plus petites, visant à préserver des nationalismes qualifiés d’identités, rappelle les plus dangereuses idées de ces « Traités de paix ».

Novembre 1918 fut aussi le mélange d’organisations mondiales sans forces et d’accords militaires sans réelle convergence d’intérêts politiques. Pour les premières, avant tout la SDN [2] , le gouvernement américain, et dans une moindre mesure britannique, voulaient un système de pacification mondial, tout en gardant leur autonomie. Ils ne donnèrent pas à la SDN les forces minimales pour accomplir les tâches qu’ils souhaitaient lui assigner. Quant aux petites alliances militaires de revers, trop peu fondées sur des solidarités et des intérêts communs, elles s’évanouirent dans la honte.

Les morts et les souffrances de la victoire militaire ne permirent ni union ni même rapprochement des peuples. Or les dispositifs et alliances militaires ne préservent pas à eux seuls de la guerre : eux-mêmes peuvent y entraîner. Utiliser l’effort de rapprochement franco-allemand pour organiser un Sommet de l’OTAN simultanément à Strasbourg et à Kehl (avril 2009) est une triste utilisation de ce que cet effort représente. La recherche de solidarités voire d’union politique, d’abord régionale, est non pas oubli, mais apprentissage du dépassement des traumatismes. La voie des rapprochements volontaires, non pas contraints, mais équilibrés, s’efforçant de compenser les différences de puissances entre leurs membres, déconstruisent les mécanismes qui ont conduit tant de fois aux affrontements. Ils constituent aussi une reconnaissance pour les innombrables morts et souffrances dont nous nous souvenons en ce 11 novembre.

 

Notes

[1] Face à la révolte des Boxers, les grandes puissances possédant des intérêts commerciaux en Chine ont formé un corps expéditionnaire, placé sous le commandement du général allemand von Waldersee.

[2] Société des Nations

Tout le monde a encore en mémoire la campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel qui aboutit à la signature du Traité d’Ottawa en 1997.

Un peu plus de 10 ans plus tard, les ONG viennent d’obtenir un nouveau succès avec l’accord de Dublin sur le texte final du Traité d’interdiction des bombes à sous-munitions Traité d’interdiction des bombes à sous-munitions (mines antipersonnel ) qui sera officiellement signé à Oslo les 2 et 3 décembre prochains. Il entrera en vigueur dès que 30 pays l’auront ratifié. C’est en 2003 que commence la campagne des ONG en faveur d’un traité interdisant les BASM.

Un processus long

Du côté des Etats, la Belgique est le premier pays à ouvrir la voie en votant une loi d’interdiction totale des BASM dès février 2006 qui prévoit par ailleurs la destruction des stocks existant à l’horizon 2009. Mais c’est l’emploi massif de ce type d’armes lors de la guerre au Liban, pendant l’été 2006, qui provoque une prise de conscience internationale du problème. Quelques mois plus tard, en février 2007, la Norvège – comme l’avait fait en son temps le Canada sur le dossier des mines antipersonnel – lance un processus diplomatique, le processus d’Oslo, en vue de parvenir à un traité interdisant les BASM avant la fin de l’année 2008. Cette initiative, dans laquelle 155 Etats se sont engagés, a permis de sortir ce dossier de l’impasse. En effet, les négociations sur les conséquences humanitaires des BASM, menées jusqu’alors dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (1980), avaient échoué, faute d’arriver au consensus requis par cet instrument. Sans l’initiative norvégienne, les chances d’aboutir à un outil efficace auraient été quasiment nulles.

Qu’est-ce qu’une bombe à sous-munitions ? Elle est composée de deux éléments : un conteneur (bombe, missile…) dans lequel sont placées des mini-bombes par dizaines ou par centaines. Largué par avion ou hélicoptères, ou tiré à partir de véhicules terrestres, le conteneur s’ouvre dans les airs, libérant les mini-bombes (sous-munitions) qui doivent exploser au contact du sol ou de la cible. Les bombes à sous-munitions sont à distinguer des bombes à fragmentation qui libèrent des milliers de projectiles meurtriers (mais non explosifs) s’éparpillant sur de très larges zones.

Une avancée majeure

Le texte de compromis auquel sont arrivés les représentants de plus de 100 Etats réunis à Dublin ce mois de mai stipule que chaque Etat partie au Traité s’engage à ne « Jamais, en aucune circonstance, employer d’armes à sous-munitions ; mettre au point, produire, acquérir de quelque manière, stocker, conserver ou transférer à quiconque, directement ou indirectement, des armes à sous-munitions ; assister, encourager ou inciter quiconque à s’engager dans toute activité interdite à un Etat partie en vertu de la présente Convention » (article 1). En d’autres termes, cela signe l’arrêt de mort de tous les types de bombes à sous-munitions qui ont été utilisées jusqu’à aujourd’hui ainsi que toutes celles qui sont non discriminantes, peu fiables et susceptibles de menacer les populations bien après l’arrêt des conflits (aux termes de l’article 2).Chaque Etat devra détruire ses stocks dans un délai de 8 ans maximum après sa ratification du Traité. Par ailleurs, le texte répond dans une large mesure aux aspirations des ONG en matière d’assistance aux victimes et impose aux Etats parties des obligations très précises en matière de dépollution. Autant d’avancées majeures qu’il convient de souligner, alors que quelques mois auparavant encore, plusieurs pays, dont la France, refusaient d’aller aussi loin.

Des limites évidentes

Certaines dispositions du Traité limitent cependant sa portée. Parmi les ombres au tableau figure notamment le principe d’interopérabilité inscrit dans le texte sous la pression des Etats-Unis qui craignaient de voir affecter les opérations militaires conjointes dans le cadre de l’OTAN (article 21-3). Il prévoit que les Etats signataires du Traité et leurs ressortissants « pourront s’engager dans une coopération et des opérations militaires » avec des Etats non signataires, même si ces derniers utilisent les bombes à sous -munitions. Autre déception : les nombreuses exceptions prévues par le Traité. Ainsi, la définition des bombes à sous- munitions figurant dans le texte (article 2-2) exclut notamment de son champ d’application certaines armes en fonction de critères techniques censées limiter leur impact (poids, nombre de sous-munitions contenues, présence ou non d’un système d’auto-destruction ou d’auto-désactivation). Certes, pour un pays comme la France, les BASM interdites par le traité représentent l’essentiel de ses stocks actuels (98% selon un diplomate). Mais le développement possible des systèmes autorisés par l’article 2 est loin d’être sans risque.

Risque humanitaire d’abord car la fiabilité de ces matériels est régulièrement mise en cause. Or lorsque les dispositifs d’auto-destruction ou d’auto-désactivation sont défaillants, les sous-munitions qui n’ont pas explosé à l’impact se transforment en véritables mines antipersonnel. Risque politique ensuite car, en introduisant des différences de traitement selon le degré de technicité des matériels, ces dispositions confortent la suprématie technologique et militaire de certains pays. Enfin, le Traité autorise la conservation ou l’acquisition par les Etats parties d’un nombre limité d’armes à sous-munitions et de sous-munitions explosives pour la formation aux techniques de déminage, ou pour développer les capacités à se défendre contre l’emploi de BASM (article 3-6). Il est toutefois précisé que la quantité de sous-munitions explosives conservées ou acquises dans cette optique ne devra pas excéder le nombre minimum absolument nécessaire à ces fins.

Quel avenir ?

Il est trop tôt pour le prévoir. Aux limites inhérentes au texte lui-même, s’ajoute le refus des principaux producteurs et utilisateurs de BASM de rejoindre le processus d’Oslo et de signer le nouveau Traité : Etats-Unis, Inde, Russie, Chine et Brésil. Pourtant, le parallèle avec le Traité d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel appelle à un optimisme raisonnable. Alors que 40 pays – dont la Russie, la Chine et les Etats-Unis – refusent toujours de le signer, l’utilisation des mines antipersonnel est depuis quelques années quasi inexistante. Selon le rapport 2007 de l’Observatoire des mines rapport 2007 de l’Observatoire des mines, seules la Birmanie et la Russie en auraient utilisé entre mai 2006 et octobre 2007. Pour parvenir à un résultat similaire dans le cas des bombes à sous-munitions il convient de ne pas baisser la garde ; la vigilance et l’engagement de la société civile sont plus que jamais requis.