Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Le 7ème Forum Social Mondial (20-25 janvier 2007) a eu lieu pour la première fois dans son intégralité sur le continent africain, à Nairobi (Kenya). Le lieu de rencontre a changé, mais le slogan est toujours le même : « Un autre monde est possible ».
Ayant participé pour la première fois à cette « grand’messe annuelle » des mouvements altermondialistes, j’ai pu déceler quelques signes de cet autre monde possible que le FSM donne à voir.
Ce nouveau monde sera avant tout marqué par l’interculturel, c’est-à-dire par le brassage des cultures différentes. Un brassage qui ne va jamais de soi , même si a priori on défend des principes communs. Un brassage qui a besoin de trouver de nouvelles formes d’expression et de réalisation. En ce sens, le FSM constitue une sorte de laboratoire d’interculturalité qui révèle l’énorme inventivité humaine pour trouver des formes de communication autres que la seule parole. On a ainsi vu que souvent le corps, à travers la danse, le théâtre ou la marche partagée, contribue davantage à la communion que le meilleur des discours. Dans un monde où l’immédiat est devenu roi, le FSM montre qu’il faut commencer par apprendre le rythme de l’autre pour arriver à faire projet avec lui.
Ce nouveau monde sera pluriel et la pluralité fera sens, car elle permettra de composer sans uniformiser, de réunir sans fusionner. Or la pluralité suppose de risquer une perte : celle de la parole unique, aussi juste qu’elle puisse paraître. Car chaque parole est marquée par une histoire et une géographie particulières. Prétendre à une parole commune à l’issue du FSM, c’est violer ce germe de nouveauté qu’il porte en son sein, une nouveauté qui dit la vie au pluriel. Dans un monde à pensée unique, le FSM montre que le multiple est peut-être moins efficace, mais combien plus créateur !
Ce nouveau monde, qui prône l’égalité et la justice, émergera au cœur même de l’inégalité et de l’injustice. Il ne viendra pas de l’extérieur pour remplacer l’actuel. Bien au contraire, il surgira des entrailles du monde actuel, il se forgera à travers ses contradictions et non pas malgré elles. Le monde nouveau n’est pas un monde parfait, préfabriqué d’avance, juste et égalitaire a priori, mais un monde qui risque l’imperfection pour faire naître du radicalement nouveau. Le FSM de Nairobi en est le signe.
Un autre monde est-il possible ? Oui, non pas parachuté de l’extérieur, mais émergeant à travers les brisures de l’actuel !
La violence engendre la violence comme un « cheval en furie », selon la métaphore de Clausewitz dans sa tentative de comprendre la guerre face à la « montée aux extrêmes » entre deux partenaires décidés à vaincre coûte que coûte.
Comment mettre un terme à cette logique de la surenchère et aux répétitions de massacres organisés ? Comment combattre efficacement une culture de l’impunité tout en réconciliant deux communautés dont la « cruauté de voisinage » et les violences exacerbées par la mobilisation politique des appartenances ethniques ou religieuses ont causé autant de morts et de souffrance depuis des décennies ?
Il paraît indécent et abusif de parler de réconciliation ou de pardon comme d’un point de départ. Ces notions, trop souvent utilisées comme des artifices rhétoriques, supposent le respect d’un certain nombre d’étapes préalables. Historiquement, les « sorties » de la violence d’État se résumaient au droit du plus fort et à trois mesures de clémence : l’amnistie qui efface les traces du passé, la prescription qui suspend le temps et la grâce qui porte sur l’exécution d’une peine. L’État décide à un moment donné de ne plus poursuivre les crimes afin de mettre un terme aux revanches sans fin.
Le tribunal militaire international de Nuremberg concrétise, pour la première fois, la volonté d’instaurer une justice pénale internationale (22 des principaux dirigeants nazis y furent jugés). Autre étape décisive dans la volonté de réprimer les crimes les plus graves : la création, en 1993, du Tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie puis du Tribunal pénal international pour le Rwanda en 1994. En dépit de l’opposition farouche des États-Unis, la Cour pénale internationale voit le jour le 1er juillet 2002.
Une mutation décisive intervient ainsi à la fin du siècle dernier avec l’avènement de cette justice pénale internationale, mais celle-ci ne saurait épuiser la question centrale de l’arrêt de la violence. « La justice est toujours, par soi, insuffisante », considère le sociologue Luc Boltanski. « Elle peut, au moins un temps, canaliser la dispute en la soumettant à son ordre. Elle est impuissante à l’arrêter. Pour arrêter la dispute en justice, il faut donc toujours aller chercher autre chose que la justice » (L’amour et la justice comme compétences, 1990, p. 139). La justice parait incapable d’épuiser la dispute, les personnes vont chercher sans arrêt de nouveaux objets, de nouveaux arguments, de nouvelles personnes faisant foi.
Paul Ricœur, de son côté, distingue la finalité courte et la finalité longue de la justice : « trancher, on l’a dit, c’est séparer, tirer entre le « tien » et le « mien ». C’est la finalité courte de la justice. La figure de la paix sociale fait apparaître en filigrane quelque chose de plus profond qui touche à la reconnaissance mutuelle ; ne disons pas réconciliation, parlons encore moins d’amour et de pardon, parlons plutôt de reconnaissance » (Le juste, 1995, p. 190). Dans son dernier ouvrage, Parcours de la reconnaissance, le philosophe souligne la pauvreté du lien purement juridique. Il relève par ailleurs la demande infinie qu’ouvre la lutte pour la reconnaissance.
Si le droit devient un outil de stabilisation des pays en transition – un paradigme menacé depuis les événements du 11 septembre 2001 [1] – la lutte contre l’impunité ne peut se limiter à des mécanismes exclusivement juridiques. Elle ne s’arrête pas lorsqu’on a jugé une poignée de bourreaux.
« Autre chose que la justice »
Quel recours envisager en dehors du procès ? Cet « autre chose que la justice » dont parle Luc Boltanski semble être précisément l’agapè, l’une des trois variantes de l’amour, avec la philia aristotélicienne – lien fortement marqué par l’amitié et la réciprocité – et l’éros platonicien qui accorde la toute puissance au désir de possession ou de sublimation. L’état d’agapè se distingue par le refus de la comparaison et du calcul, la préférence pour le présent et la prééminence du don sur le désir. On retrouve cet état d’agapè et la philia dans des dispositifs tels que les commissions d’enquête non judiciaires généralement connues sous le nom générique de Commission vérité et réconciliation dont celle d’Afrique du Sud (créée en 1995) est la plus célèbre [2] . Toutes ces institutions – on en recense une vingtaine à travers le monde – empruntent, dans une certaine mesure, à la notion du pardon. Alors que les instances judiciaires se concentrent sur un crime précis et sur quelques auteurs, la vocation de ces Commissions est de contribuer, au sein d’une société, à écouter la souffrance des victimes, à rétablir le dialogue et à écrire une histoire commune. Au Rwanda, face à l’ampleur des massacres et à la participation active de la population, les autorités ont mis en place le système des juridictions gacaca. Ces Commissions vérité et réconciliation ou juridictions gacaca ne doivent pas susciter d’attentes disproportionnées. Sous couvert de tradition et de légalité, il ne faut pas occulter l’existence de vives transactions et rapports de force. Une évolution majeure est néanmoins à l’œuvre entre la logique – hier dominante – de l’oubli qui anime l’ancien ennemi et la logique de vérité et de justice à laquelle en appellent les victimes. La clause d’oubli [3], qui permit notamment à l’Édit de Nantes de mettre fin aux guerres de Religion, serait aujourd’hui jugée irrecevable.
La vérité à tout prix
L’attitude adoptée par de nombreux défenseurs des droits de l’homme semble prescrire la recherche de la vérité de manière inconditionnelle. Cette position tente de s’imposer comme un principe pour mettre un terme à la violence cyclique. Cet impératif, parfois associé à un discours vertueux sur la transparence, ne saurait être un leurre. La recherche de la vérité conduit inévitablement à se poser une série de questions extrêmement sensibles : la vérité oui, mais à quel moment ? Jusqu’où ? À quel prix ? De quelle « vérité » est-il question ? Celle du parti, comme dans les procès staliniens ? S’agit-il d’une vérité factuelle ou interprétative ? Individuelle ou collective ? Est-il sûr qu’il suffise de se souvenir du passé pour éviter qu’il ne se répète ? « Loin de là, à vrai dire c’est plutôt le contraire qui se produit le plus souvent : c’est dans un passé d’ancienne victime que l’agresseur actuel trouve ses meilleures justifications » Tzvetan Todorov (La mémoire du mal, 2000, p. 18). Les exemples historiques sont nombreux où l’on assiste à l’inversion des « rôles » victimes-bourreaux, comme dans le cas de certains Français victimes du nazisme, qui pratiquèrent la torture en Algérie.
« On pourrait souhaiter que, comme pour les individus, soit évitée l’alternative stérile de l’effacement intégral et du ressassement sans fin : le mal subi doit s’inscrire dans la mémoire collective, mais c’est pour nous permettre de mieux nous tourner vers l’avenir. Tel est le sens d’actes comme le pardon ou l’amnistie : ils se justifient une fois que l’offense a été reconnue publiquement, non pour imposer l’oubli, mais pour laisser le passé au passé et donner une nouvelle chance au présent », Tzvetan Todorov.
Au centre de ces rapports complexes entre la mémoire, l’histoire et l’oubli, la justice pénale internationale et les formes alternatives de lutte contre l’impunité doivent se frayer un chemin. Ces deux dynamiques, nullement antagonistes, sont à penser dans la simultanéité et la complémentarité. « C’est seulement dans la tension qu’il entretient avec la justice, que l’amour, au sens d’agapè, peut se frayer un chemin vers l’expression », Luc Boltanski.
Justice rétributive – Justice restaurative
« Je soutiens qu’il existe une autre forme de justice, une justice réparatrice qui était le fondement de la jurisprudence africaine traditionnelle. Dans ce contexte-là, le but recherché n’est pas le châtiment ; en accord avec le concept d’ubuntu, les préoccupations premières sont la réparation des dégâts, le rétablissement de l’équilibre, la restauration des relations interrompues, la réhabilitation de la victime, mais aussi celle du coupable auquel il faut offrir la possibilité de réintégrer la communauté à laquelle son délit ou son crime ont porté atteinte », Desmond Tutu (Il n’y a pas d’avenir sans pardon, Albin Michel, 2000). Pour en savoir plus sur ce modèle de justice restaurative, lire également Et ce sera justice, punir en démocratie, F. Gros, T. Pech et A. Garapon, Odile Jacob, 2001.
[1] « L’essoufflement de l’utopie judiciaire. », P. Hazan, La Chronique d’Amnesty, mars 2004
[2] Outre l’Afrique du Sud, plusieurs pays ont mis en place des commissions Vérité et Réconciliation : Argentine, Chili, Guatemala, Salvador, Uruguay.
[3] « Que la mémoire de toutes choses passées depuis mars 1585, ainsi que tous les troubles précédents, demeure éteinte et assoupie comme une chose non advenue », Édit de Nantes, 13 avril 1598, extrait de l’article premier.
Justice et Paix Europe prend position contre l’extraction des minerais et ses conséquences sur la paix mondiale. Briser le lien entre minerais et conflits armés : Un règlement européen obligatoire est nécessaire
En s’approvisionnant en ressources issues de zones de conflit ou à haut risque, les entreprises européennes sont susceptibles d’alimenter la violence au détriment des droits humains, de la paix et du développement. Ainsi, des minerais de sang se retrouvent dans nos ordinateurs, nos téléphones, nos voitures et autres objets de la vie quotidienne…
Dans de nombreuses zones du monde marquées par les conflits comme la RD Congo, la Colombie, la Birmanie ou encore la Centrafrique, l’exploitation et le commerce des ressources naturelles permettent à de nombreux acteurs armés, coupables de graves exactions à l’encontre des populations, de financer leurs actions de violence et de déstabilisation.
Nous suivons les paroles du Pape François qui s’est exprimé le 17 juillet 2015 en marge d’une rencontre avec des experts et investisseurs du secteur minier en faveur d’un changement de paradigme radical.
Les minerais et plus généralement les richesses du sous-sol constituent un précieux don de Dieu, dont l’humanité se sert depuis des millénaires ». (Pape François). Puisant dans sa récente encyclique Laudato Si’ sur la protection de l’environnement, le chef de l’Eglise catholique estime qu’une exploitation judicieuse des biens de la terre est celle qui mène de front les impératifs économiques, la justice sociale et la préservation de l’environnement. Lire l’article de Justice et Paix Belgique