Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Mi-septembre 2022. Dernières publications[1] pour la Conférence épiscopale, cours d’Écriture sainte bouclés à la Catho d’Angers, derniers services rendus en paroisse, ultimes obligations familiales assurées : le champ est libre pour un an de recherches à l’École biblique et archéologique française (Ébaf) de Jérusalem. Son sigle cocasse m’évoque les baffes mémorables des BD d’Uderzo et Goscinny, où le Gaulois pagaille emboutit joyeusement la géométrique soldatesque romaine, invariablement déconfite. Des bagarres, autrement meurtrières, hantent le Proche-Orient, son histoire, ses communautés.

Dans l’avion, un chef d’entreprise français d’origine juive, retiré à Netanya[2], confie sa « honte » face à l’évolution du pays. Bientôt vont se lever des vagues de manifestations contre le gouvernement, non sans contre-manifestations ultranationalistes, provocatrices. Certains font leur alyah[3], d’autres leur yéridah. Pour l’heure, le sherout grimpe vers Jérusalem, serpentant dans la montagne, déposant chacun à son lieu. Les paysages défilent : gratte-ciels de Tel Aviv aperçus depuis l’avion, plaine côtière et maraîchère, villages à flanc de colline…

 

Écrire ?

« Raconte ! », entend-on au retour en France. On me demande un aperçu sur Israël / Palestine. « Tu vis un jour dans un pays, tu composes un livre ; un mois, tu livres un article ; un an, tu te tais », dit-on. Tant de gens parleraient tellement mieux du Proche-Orient : journalistes ou religieux/ses depuis longtemps sur place, et avant tout les habitants, comme Charles Enderlin[4]. Membres d’ONG, historiens, juristes, réservistes, bédouins, diplomates, artisans, négociants des souks, arméniens, druzes, ingénieurs high tech, samaritains, guides, Bahá’is, réfugiés des camps…

Voici cinq ans, j’avais rendez-vous dans un nouveau dicastère au Vatican. Un membre m’accueille, me donnant le planning des rencontres, puis, malicieux, me glisse : « quand vous serez passé dans tous les bureaux, revenez m’expliquer comment cela marche. » Réflexion peu étonnante, eu égard à une institution restructurant quatre anciens conseils pontificaux, chacun ayant ses habitudes. Cette boutade m’est revenue en lisant Éric-Emmanuel Schmitt[5] : « Le mur… « Si tu comprends quelque chose à la situation de Jérusalem aujourd’hui, c’est qu’on t’a mal expliqué », m’avait soufflé un ami juif lors de mon départ ». Faut-il se cantonner au seul silence, nourri par un sentiment d’impuissance devant l’incompréhensible, l’insoluble ?

Résider à l’ÉBAF

Arrivé en soirée, l’accueil du frère Olivier, hôtelier et spécialiste des midrashim, est chaleureux. Le cadre est enchanteur, à deux pas de l’explosive porte de Damas, au nord de la vieille ville. On borde un cimetière musulman et la Garden Tomb, que des traditions improbables attribuent à Joseph d’Arimathie. L’École pratique d’études bibliques a été fondée en 1890 par le P. Lagrange, dominicain audacieux, sur le site de l’ancienne basilique saint Étienne, dédicacée en 439 par Cyrille de Jérusalem. Les jeunes aventuriers dominicains ont écumé le Proche-Orient, fouillant, dessinant, fac-similant des inscriptions, photographiant, publiant. Le frère Jean-Michel conforte l’extraordinaire photothèque.

Reconnue par l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres dès 1920, l’école est un « établissement français d’enseignement supérieur et de recherche, spécialisé dans l’archéologie et l’exégèse biblique. » Frères prêcheurs de France et d’ailleurs, savants du monde entier y enseignent. La bibliothèque est une mine pour exégètes, archéologues, épigraphistes, historiens et linguistes. Les fouilles du P. Roland de Vaux à Qumrân sont célèbres. Au laboratoire d’épigraphie, le P. Émile lit une inscription comme d’autres le journal. Le projet best (la Bible en ses traditions) propose nombre de notices sur la réception des Écritures : Pères de l’Église, arts, liturgie… Le frère Étienne peut vous entretenir sur tout ou presque, assertif. Il faudrait écouter chacun des frères. Leurs opinions peuvent diverger du tout au tout. Sur la Palestine, Israël… Au musée, on répertorie le fruit des fouilles, on publie. Le frère Jean-Baptiste a creusé un espace profond, où sont entreposés de merveilleux ossuaires ; là, certains soirs, on échange à bâtons rompus. Ou l’on fait une pause tisane de plantes locales et citrons du jardin. Au foyer, étudiants et volontaires passent un film, fêtent un anniversaire.

Pèlerinages

Nos voisines Franciscaines Missionnaires de Marie accueillent sœurs âgées du Proche-Orient et pèlerins de tous pays. Environ 80 % des deux millions de touristes en Israël – chrétiens juifs, musulmans… ou non – pérégrinent à Jérusalem. Déjà dans l’Ancien Testament pour Pessa’h (sortie d’Égypte – Pâques), Chavouôt (moisson, don de la Loi – Pentecôte), Soukkôt (récoltes, Tentes)… Méliton (160), Hélène (325-327), l’Anonyme de Bordeaux (333), Égérie (380), Chateaubriand (1806-07), Loti (1894), Debray (2008)[6]… Terre d’hospitalité et de rencontres, on y croise des mystiques de tout poil (cf. le syndrome de Jérusalem). On accueille des amis de passage. On discute, le temps d’un petit-déjeuner avec des pèlerins partant vadrouiller ou revenant d’une messe tôt matin au Saint-Sépulcre.

Violences

Parfois, des amis de France, inquiets, nous informent d’un nouvel attentat ! Le couvent, ceint de murs, abrite des occupants protégés. À peine arrivé, je découvre que la procession célébrant la naissance de Mahomet, de la rue Salah Ed-Din voisine à la mosquée Al-Aqsa, a dégénéré (8 octobre 2022).  L’histoire du quartier, Cheikh Jarrah, à majorité palestinienne, est comme un résumé de la complexité du pays. Des âpres batailles judiciaires quant aux propriétés (selon les législations ottomane, anglaise, jordanienne, palestinienne, israélienne) résultent des expulsions. Alors, Jérusalem s’enflamme. « La violence n’engendre que la violence. Basta ! » (Pape François, 9 mai 2021). À Me’a She’arim, quartier voisin juif ultra-orthodoxe et antisioniste, la Torah prévaut sur la loi. Avec six enfants par foyer, est née une guerre des ventres. Une dominicaine revient de balade : elle y a essuyé les crachats des gamins[7].

Archéologie et idéologie

Près du couvent, propriété de l’État français, le Tombeau des Rois, fouillé par l’Ébaf en 2008-2009, est l’objet de manifestations ultra-orthodoxes qui en revendiquent la propriété. L’archéologie, remarquablement développée, est parfois instrumentalisée, pour « prouver » la Bible ou justifier que c’est la terre de toujours. La création de parcs nationaux améliore l’accès aux sites archéologiques, mais leur restauration peut être excessive (à visée touristique) et leur présentation, orientée (par exemple, peu de mention des églises du site). On lira avec profit Vincent Lemire[8].

Lac Tibériade, © ÉBAF

 

Communautés

Me trompé-je ? Chez un barbier palestinien, le rasage intégral du pourtour des crânes masculins laisse au sommet une sorte de kippa (!) chevelue : au sortir, les palmiers sont ainsi émondés. Les palmiers touffus des quartiers orthodoxes juifs sont, eux, à l’image des longues barbes et pe’ot (papillotes), surmontées du feutre noir des Borsalinos séfarades ou des amples schtreimels hassidiques. Modes prégnantes ? Claires prescriptions religieuses.

Les communautés sont si diverses ! Je suis invité à concélébrer chez les syriaques catholiques, tout proches. Ce jour-là, le curé préside et prêche en arabe. C’est un savoyard français, ayant cheminé dans un couvent de rite syriaque. Après discernement, il le quitte, travaille à Jérusalem et y épouse une américaine. Plus tard, l’Église l’appelle à la prêtrise.

Silicon Wadi

Israël a développé des zones high tech : le Silicon Wadi[9]. Une florissante industrie d’armement (missiles, systèmes de défense, drones, nukes) a émergé, à la pointe d’une innovation, qui infuse dans toute la société : systèmes de micro-irrigation, usines de désalinisation, médecine de pointe, industrie pharmaceutique, diamantaire, solaire… Avec ses logiciels, une nation start-up est née… au risque de mésusages (cf. le scandale Pegasus[10]).

Le pays a développé une agriculture communautaire variée, initiée dans les kibboutz (40 % des terres arables en 2016), les moshavs[11] (50 %) et les propriétés privées (10 %). On a évolué vers une économie de marché et d’exportation. La question de l’eau est stratégique. De même celle des réserves sous-marines de gaz et hydrocarbures. Les voisins sont concernés : Liban, Chypre, Syrie, Jordanie, Égypte. Les mondes arabe et juif-orthodoxe sont souvent confrontés à la pauvreté. Justice et Paix France a fait traduire les documents hautement instructifs de son homologue à Jérusalem. Les sites du Consulat de France et du Vatican rappellent leur positionnement. Aux check points, nous avons constaté des humiliations quotidiennes faites aux Palestiniens. D’aucuns évoquent un apartheid

Wadi Dragot près de Qumrân, © ÉBAF

 

[1] Église et Sport, un terrain de rencontres, Documents Épiscopat, avril 2022 ; Pour un numérique au service du bien commun, Odile Jacob, février 2022.
[2] 225 bit000 haants, pour un tiers francophones.
[3] Alyah, « montée » : immigration juive en Israël ; yéridah, « descente » :émigration hors d’Israël ; sherout : taxi partagé.
[4] À paraître fin septembre 2023 : C. Enderlin, Au nom du Temple, Seuil ; et Israël, l’agonie d’une démocratie, Seuil-Libelle.
[5] Éric-Emmanuel Schmitt, Le Défi de Jérusalem, Postface du pape François, Albin Michel, 2023, p. 93.
[6] R. Debray, Un candide en Terre sainte, NRF-Gallimard, 2008.
[7] P. Manker, « Jérusalem, les actes antichrétiens se multiplient », La Vie, 13.06.23 ; reportage de Yossi Eli, HaAretz, 28.06.23.
[8] V. Lemire ; Jérusalem, histoire d’une ville-monde des origines à nos joursFlammarion, 2016. ; et sa récente BD.
[9] Plaine côtière : Tel Aviv, Jaffa, Herzliya, Ra’anana, Petah Tikva, Netanya, Rehovot, Rishon Letsion, Airport City. Et, plus loin : Haïfa, Césarée, Yoqneam, Beersheva, Kiryat Gat, Jérusalem-Talpiot …
[10] L. Richard, S. Rigaud, Pegasus. Démocraties sous surveillance. L’Enquête mondiale, Paris, Robert Laffont, septembre 2023.
[11] Collectivité rurale dans laquelle chaque famille gère sa propre exploitation agricole.

Deux journées intenses, à la rencontre de Marseille et de la « mosaïque » des peuples et des religions qui vivent dans cette ville métissée et sur les rives de la Méditerranée : le pape François aura pu y répéter les messages qu’il martèle depuis le début de son pontificat.

A l’occasion de la conférence Pacem in Terris organisée par l’Académie des sciences sociales les 19 et 20 septembre 2023, le pape François a adressé un message au chancelier de l’Académie pontificale des sciences sociales.

La traduction ci-dessous est extraite du site Zenit Discours du Saint-Père à l’occasion du 60e anniversaire de l’encyclique Pacem in Terris – ZENIT – Francais

À Son Éminence le cardinal Peter K.A. Turkson, Chancelier de l’Académie pontificale des sciences sociales

Je vous salue chaleureusement, ainsi que tous les participants à la Conférence internationale organisée par l’Académie des sciences sociales et l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo pour commémorer le soixantième anniversaire de la publication de Pacem in Terris, l’encyclique historique du pape Jean XXIII.  La conférence arrive à point nommé car notre monde est toujours en proie à une troisième guerre mondiale menée au coup par coup et, dans le cas tragique du conflit en Ukraine, non sans la menace d’un recours aux armes nucléaires.

En effet, le moment actuel ressemble étrangement à la période qui a immédiatement précédé Pacem in Terris lorsqu’en octobre 1962 la crise des missiles de Cuba a mis le monde au bord d’une destruction nucléaire généralisée. Malheureusement, dans les années qui ont suivi cette menace apocalyptique, non seulement le nombre et la puissance des armes nucléaires ont augmenté, mais d’autres technologies d’armement se sont développées, et même le consensus de longue date sur l’interdiction des armes chimiques et biologiques est remis en question. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons tenir compte de l’avertissement prophétique du pape Jean selon lequel, à la lumière de la terrifiante force destructrice des armes modernes, « les relations entre les États, comme entre les individus, doivent être réglées non par la force armée, mais conformément aux principes de la droite raison : les principes, c’est-à-dire, de la vérité, de la justice et d’une coopération vigoureuse et sincère ».

À cet égard, il est tout à fait approprié que cette conférence consacre ses réflexions aux parties de Pacem in Terris qui traitent du désarmement et des voies d’une paix durable.  J’espère que vos délibérations, en plus d’analyser les menaces militaires et technologiques actuelles pour la paix, incluront une réflexion éthique disciplinée sur les risques graves associés à la possession continue d’armes nucléaires, le besoin urgent de nouveaux progrès en matière de désarmement et le développement d’initiatives de construction de la paix. J’ai déclaré ailleurs ma conviction que « l’utilisation de l’énergie atomique à des fins de guerre est immorale, tout comme la possession d’armes nucléaires est immorale » (Discours au Mémorial de la paix d’Hiroshima, 24 novembre 2019).  

Il est de notre responsabilité à tous de maintenir vivante la vision selon laquelle « un monde exempt d’armes nucléaires est possible et nécessaire » (Discours au Corps diplomatique, 10 janvier 2022).  À cet égard, le travail des Nations unies et des organisations apparentées pour sensibiliser l’opinion et promouvoir des mesures réglementaires adéquates reste fondamental.

Dans le même ordre d’idées, la préoccupation pour les implications morales de la guerre nucléaire ne doit pas occulter les problèmes éthiques de plus en plus urgents soulevés par l’utilisation, dans les guerres contemporaines, d’armes dites « conventionnelles », qui ne devraient être utilisées qu’à des fins défensives et ne pas viser des cibles civiles. J’espère qu’une réflexion soutenue sur cette question permettra de dégager un consensus sur le fait que ces armes, dotées d’un immense pouvoir de destruction, ne seront pas employées d’une manière susceptible de causer « des blessures superflues ou des souffrances inutiles », pour reprendre les termes de la déclaration de Saint-Pétersbourg. Les principes humanitaires qui ont inspiré ces mots, fondés sur la tradition du ius gentium, restent aussi valables aujourd’hui que lorsqu’ils ont été écrits pour la première fois, il y a plus de cent cinquante ans.

Conscient de l’importance des questions débattues lors de la conférence, j’exprime ma gratitude aux intervenants et aux participants. Je réitère volontiers l’espoir exprimé par le pape Jean en conclusion de son encyclique, à savoir que « par la puissance et l’inspiration de Dieu, tous les peuples puissent s’embrasser comme des frères et sœurs, et que la paix à laquelle ils aspirent puisse toujours fleurir et régner parmi eux ».  

À tous, j’envoie ma bénédiction.

Du Vatican, le 12 septembre 2023

Voir ici :  Message of the Holy Father to Cardinal Tuckson, 12 Sept 2023   le texte original (en anglais).