Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

En Afrique, les réseaux Justice et Paix des Grands Lacs en première ligne pour la promotion du genre et la lutte contre les violences basées sur le genre. Qu’elle soit, européenne, africaine, américaine, asiatique, océanienne, plus d’une femme sur trois est victime de violences fondées sur le genre au cours de sa vie, et ce dès son plus jeune âge. Pour la plupart d’entre nous, ces actes se résument aux violences sexuelles. Il n’en est rien, les violences basées sur le genre (VBG) sont multiples – physiques, psychologiques ou encore économiques – et bien trop souvent banalisées.

Les femmes sont sous-représentées dans les instances de gouvernance et ne sont pas prises en compte dans les politiques publiques. Elles sont assignées à un rôle défini dans la sphère privée et s’occupent de la maison, de l’éducation et des tâches ménagères. Dans toutes les cultures, les femmes sont également lésées ou mises à la marge au profit des hommes de la famille. Cela est d’autant plus vrai dans le cas d’un décès et de la succession. De même, elles sont limitées en termes de liberté et d’accès aux ressources du ménage. Dans nos sociétés dites développées, les disparités salariales et les difficultés d’accès à des postes importants, ou encore le harcèlement dans le cadre professionnel restent une réalité pour bon nombre de femmes. Enfin, le cadre familial n’est pas un lieu de sécurité, les femmes y sont violentées par leur époux, leurs parents ou encore leur belle-famille. La raison principale de toutes ces violences ? L’héritage culturel, le rapport de force. Le patriarcat constitue la principale base de nos modèles de société, avec l’homme comme figure emblématique du chef.

Les sociétés de la Région des Grands Lacs se sont construites sur ce modèle patriarcal. Les rôles assignés aux hommes et aux femmes traduisent une domination des hommes dans tous les domaines. Depuis des décennies, la Région est la scène de conflits armés. La violence à l’égard des femmes est omniprésente, à la fois comme arme de guerre, mais aussi comme comportement quotidien socialement accepté par l’homme – mais souvent également par la femme. Dans le cadre de ses projets, le Secours Catholique-Caritas France (SCCF) soutient les réseaux Justice et Paix du Burundi, de la République Démocratique du Congo et du Rwanda pour lutter contre les violences basées sur le genre et promouvoir le genre dans les communautés.

À travers des actions menées depuis plus de 10 ans, ces acteurs ont acquis une longue expérience dans la protection des droits des femmes. Coordonnées au sein d’un programme multi pays, les Commissions Justice et Paix nationales du Burundi et du Rwanda comme diocésaines à Goma et Bukavu s’attaquent aux causes profondes des violences basées sur le genre pour un changement de mentalités des communautés sur le long terme et un renforcement du leadership des femmes. De même, elles s’attachent à renforcer les organisations de la société civile à travers la création et la promotion de cadre d’échange et de dialogue pour une meilleure coordination de tous les acteurs travaillant sur la thématique du genre et des VBG. L’ensemble de ces activités se font en collaboration avec les services étatiques, nationaux et décentralisés, dans une optique de renforcement et de meilleure prise en compte de la thématique du genre dans les politiques publiques. Les actions mises en œuvre ont pour objectif de toucher directement près de 45 000 femmes et de bénéficier à l’ensemble des populations vivant dans la zone d’intervention du programme.

L’objectif des actions des Commissions Justice et Paix soutenues par le SCCF est simple, renforcer le pouvoir d’agir et la participation active des femmes et des filles et favoriser un changement des consciences sur le genre à grande échelle pour rappeler avec force le rôle primordial des femmes, gardiennes du foyer, qui protègent, sèment et nourrissent la communauté, et construisent la paix. Le développement passe par une société où règne la cohésion sociale, où chaque entité de la population, quelle que soit son identité de genre, doit pouvoir s’épanouir à égalité de chance. À travers sa résolution 1325 adoptée en 2000, le Conseil de sécurité de l’ONU a affirmé le rôle primordial des femmes dans la construction de la paix, dans la construction d’une société apaisée pour un développement intégral.

 

La Région des  grands lacs  est traversée depuis des décennies par des conflits violents, des guerres fratricides dont les premières victimes sont les populations. Depuis 20 ans, le Réseau européen pour l’Afrique centrale (EurAc) œuvre pour donner aux Burundais, aux Congolais et aux Rwandais un avenir meilleur. Fort de plus de 50 ONG européennes membres, EuRac mène un plaidoyer continu pour la mise en place de politiques cohérentes et fortes qui promeuvent la paix, la participation politique inclusive, la gestion durable et équitable des ressources naturelles, ainsi que le respect entier des droits humains dans la région des Grands Lacs, auprès des instances de l’Union Européenne et de ses États membres. À travers les rapports réalisés, son suivi des politiques européennes mises en œuvre, ses positionnements forts sur des questions liées à la démocratie et la mise en place d’état de droit, EurAc est devenu un acteur incontournable pour les ONG européennes qui travaillent sur l’Afrique des Grands Lacs, mais aussi pour les parlementaires européens.

À la mort du président Idriss Déby le 30 avril 2021, les tchadiens ont espéré l’avènement de la démocratie, malgré l’installation de son fils Mahamat Kaka à la tête du conseil militaire de transition. Mais le 20 octobre dernier, après l’échec du dialogue national, une manifestation a été brutalement réprimée. « La vérité des événements du 20 octobre est que des citoyens ont manifesté leur mécontentement face aux injustices et face à la volonté de la conservation du pouvoir et que l’on a tiré sur eux pour les tuer. » a osé déclarer Mgr J. Kouraleyo, évêque de Moundou.

Quand je considère la situation socio-politique du Tchad, je me dis que le politicien le plus vertueux aurait du mal à redonner le vrai sens de l’État, de la Nation et du Bien Commun. Il nous faut retrouver une éthique politique au Tchad et je ne crois pas que ce soit le clan au pouvoir et ses affiliés du Mouvement Patriotique du Salut (MPS) qui pourraient nous mener à cette éthique politique.

Le Dialogue national inclusif organisé par les autorités a préconisé l’idée d’un État unitaire fortement décentralisé et non pas celle d’un État Fédéral comme beaucoup de Tchadiens le souhaitaient.

Les maux qui minent le fonctionnement de nos institutions et qui poussent les citoyens à trouver leur salut dans une autre forme d’État sont entre autres : l’injustice sociale, le non-respect des textes de la République, l’impunité, l’absence du vivre ensemble, la non-répartition équitable des responsabilités du pays, la mauvaise utilisation des Ressources Humaines, le partage inéquitable des ressources nationales, etc.

Si ces maux ne trouvent pas de solutions idoines, aucune forme d’État ne pourra résister à la situation de pauvreté, d’insécurité et de rébellion récurrente au Tchad. Le désordre politique et social au Tchad est devenu systémique.

Si la démocratie apparaît comme la forme de gouvernement qui répond aujourd’hui le mieux aux questions sociales, elle a besoin d’être revitalisée en intégrant les valeurs fondamentales de la dignité des hommes et des femmes. C’est à cette condition qu’elle pourra prétendre être un modèle de gouvernement juste et équitable pour le bien des populations.

La démocratie ne peut fonctionner sans un développement économique continu et sûr qui amène à un bien-vivre ensemble. Sans économie viable, pas d’indépendance, donc pas de liberté. Au Tchad, les choses sont mal gérées, nous ne connaissons pas réellement les moyens dont nous disposons pour une vraie indépendance politique…

Il nous faudrait donc, au Tchad, passer par un travail honnête, laborieux et rationnel pour retrouver l’unité ; nous sommes loin du compte.

Le progrès significatif d’un pays ne peut pas reposer sur un groupe infime d’intellectuels ou de dirigeants qui n’ont pour politique que la « violence des armes ». Cela suppose une profonde coordination harmonisée de toutes les forces vives d’une nation capable d’absorber tout changement sans perdre son identité. Il faut donc que les populations du Tchad retrouvent la liberté d’expression et de participation pour construire un État fiable, équitable et prospère.

Je reprendrais bien volontiers à mon compte la définition de l’éthique politique du père Raymond Bernard Goudjo : « il faut comprendre par éthique sociale, la science de la conduite de l’État et de la société selon un ordre moral vivifiant. Elle s’intéresse à la dignité de la personne humaine qui, dans l’expression de sa liberté, œuvre à l’instauration véritable de la justice sociale qui s’énonce dans les principes de solidarité et de subsidiarité et dans la recherche fondamentale du bien commun. Cela suppose d’abord une volonté réelle de créer une société sur les valeurs humaines universelles. »

L’éthique politique donne, aux citoyens et à ceux qui animent la société civile, un cadre pour la promotion des libertés individuelles et œuvre à la prospérité véritable de l’État et de la société.

Les Tchadiens ont vraiment besoin d’apprendre à gérer leurs libertés pour favoriser le « bien humain ».

Le Tchad, en l’absence de toute morale et de tout contrôle de l’honnêteté du chef, croupit sous le poids de la corruption, des détournements, etc. Il n’y a pas encore de consensus moral nationalement reconnu qui permette librement et fermement de dénoncer les abus, sans avoir à faire preuve d’un héroïsme suicidaire ! Les populations survivent et « la loi du ventre qui a faim » prime sur toute morale consensuelle. La mentalité du partage du gâteau national ne peut se solutionner que par une longue et patiente acquisition du vrai sens du bien commun. On ne peut pas « re-fonder » la nation tchadienne, mais on peut changer de direction. Il faut sortir de la nostalgie de la paix et de la concorde nationale perdue en proposant à la jeunesse tchadienne les formations nécessaires pour un nouvel état d’esprit politique. Commencer à éduquer la nouvelle génération des Tchadiens qu’ils soient du nord, du sud, de l’est ou de l’ouest, est la tâche la plus urgente pour retrouver un Tchad « ressuscité », fondé sur les valeurs éthiques d’honnêteté, de justice et d’équité sociale.

Que Dieu nous y aide !

 

Du dimanche 5 au jeudi 9 mars, nous sommes partis en Irak, l’archevêque de Paris, l’archevêque de Rouen, le secrétaire général de la Conférence des évêques et moi, accompagnés par Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’œuvre d’Orient, une des collaboratrices de l’œuvre et M. et Mme Boureau qui représentent l’Œuvre d’Orient sur place et qui avaient tout préparé. Le but de cette visite était triple : assurer les chrétiens locaux de la fraternité fidèle des catholiques de France ; constater l’aide apportée par les catholiques de France ; mieux comprendre la situation présente et les enjeux de ce pays et de ses voisins pour la paix du monde.

Un jour à Bagdad, un après-midi à Erbil, avec un passage sur la route par Kirkouk, une visite à Mossoul et à Qaraqosh.

Les leçons, un peu en vrac :

il vaut toujours la peine d’aller voir un frère qui souffre.

le pays se reconstruit mais reste d’une extrême fragilité ; il y a beaucoup d’argent car l’Irak est riche en pétrole et en gaz, mais d’immenses inégalités et de terribles accaparements ; les armes sont nombreuses d’où le danger d’une explosion sociale un jour ; les gouvernements successifs, bénéficiant de la manne pétrolière, ont profité de l’augmentation de son prix pour embaucher des fonctionnaires plus que pour créer une économie réelle ; le problème de l’eau est un enjeu majeur pour le pays, les pays limitrophes se servant largement en amont, au risque d’une Mésopotamie sans fleuve.

tout le monde raconte une bureaucratie pléthorique et absurde, compensée par les relations interpersonnelles et l’échange de services, donc la corruption ; de nombreuses milices sont actives.

les chrétiens restés ou revenus (ces derniers peu nombreux) s’accrochent.

les chrétiens n’ont pas été massacrés comme les yézidis. Ils ont dû fuir, ou renier, et ils ont fui plutôt, en laissant tout.

l’exil intérieur, par exemple à Erbil, où le quartier Ankawa est devenu la grande ville chrétienne du pays, s’est transformé pour certains en exode rural. Ils ont goûté à la vie en ville et ne sont pas prêts à retourner dans leurs villages.

ceci est vrai aussi des yézidis, notamment des femmes qui, même dans des camps de réfugiés, ont découvert d’autres relations hommes-femmes et d’autres possibilités de vie auxquelles elles ne renonceront pas.

l’Iran pèse sur le pays, à travers la majorité chiite mais aussi par des tirs contre les Kurdes. Il domine sans doute l’économie et la vie politique. La Turquie, sous couvert de poursuivre le PKK (parti communiste du Kurdistan), fait des incursions jusqu’à 250 kms à l’intérieur du pays et bombarde par missile ou par drone.

la « coalition internationale » est bien présente en Kurdistan, elle contient Daech qui n’est pas mort mais s’est dispersé en cellules dormantes dans la plaine de Ninive. La France y participe.

la France est très présente et dans de nombreux secteurs, elle en est souvent remerciée.

 

l’Œuvre d’Orient et Fraternité en Irak nous ont été citées comme des modèles d’aide fraternelle, compétente, respectueuse, efficace. Les catholiques français soutiennent des écoles, des hôpitaux, des restaurations d’églises, des constructions de salles paroissiales… et des projets innovants, aidant à trouver ou garder un emploi.

JRS emploie à Erbil 150 personnes, avec des programmes d’aide aux réfugiés en dehors des camps et aux malades psychiatriques, un travail que nul autre ne fait ni ne ferait.

les Dominicains ont créé à Bagdad une « Académie » qui initie qui veut aux sciences sociales avec pour but de développer une culture de l’esprit critique et de la réflexion personnelle.

le voyage du Pape a marqué : les Irakiens ont réalisé qu’il y avait des chrétiens parmi eux et ils ont découvert l’ancienneté de ces Églises. Ils ont pu voir le pape autrement que comme le chef des croisés. Le regard sur les chrétiens a changé, ils apparaissent comme des acteurs possibles de la fraternité nationale. La rencontre avec l’ayatollah Al-Sistani a beaucoup touché : cet ayatollah est la plus haute autorité religieuse chiite. Ses liens avec l’Iran ne sont toutefois pas totalement clairs.

à Mossoul, nos interlocuteurs nous ont assurés qu’ils sentaient un changement d’attitude des Musulmans, plus attentifs aux chrétiens, honteux de ce que Daech a pu faire, pour certains guéris de rêves politiques.

Nous sommes rentrés avec l’impression d’un pays qui se reconstruit dans une extrême fragilité, dont les richesses sont aussi une cause de désordre et de vulnérabilité, des chrétiens qui continuent courageusement à vivre et essaient de préparer l’avenir, d’évêques qui ont besoin d’être confortés et soutenus, qui sont attendus comme chefs de clan, ce qui crée des attitudes, des besoins d’argent, des choix qui nous étonnent parfois, avec des témoignages de fidélité et de foi dans le Christ Jésus, mort et ressuscité, tout à fait impressionnants. Ne les oublions pas !