Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

La concentration de troupes russes près des frontières ukrainiennes à la fin de l’année 2021 a dramatiquement accentué la question de la sécurité régionale en Europe de l’Est. La dernière déclaration de Poutine, reconnaissant l’indépendance des territoires séparatistes prorusses d’Ukraine est une violation flagrante du droit international, de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et des accords de Minsk.

La Russie utilise le cas ukrainien pour atteindre deux objectifs stratégiques : rétablir son statut de puissance mondiale et assurer la stabilité du régime de Poutine. Il est donc important de considérer la question ukrainienne non pas comme le but ultime de la politique régionale russe, mais comme l’un des instruments permettant d’assurer sa participation à la formation du nouvel ordre mondial.

La formule « Rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine » annoncée par l’administration américaine devrait être utilisée dans les relations avec le Kremlin ; de même, l’approche « Rien sur l’Europe de l’Est sans l’Europe de l’Est » devrait prévaloir, compte tenu de la déclaration officielle de Moscou selon laquelle le renforcement des capacités militaires et du pouvoir politique de l’OTAN en tant qu’acteur mondial constitue une menace étrangère directe pour la sécurité de la Russie.

La stabilité du régime autoritaire de Poutine est une autre priorité de la politique russe qui influence l’agenda régional. L’implication profonde du Kremlin dans les récentes manifestations en Biélorussie et au Kazakhstan ne sert pas uniquement à sécuriser la situation dans ces pays. Et, le narratif autour du « monde russe » qui est une base identitaire permettant d’assurer la stabilité du régime de Poutine amène à des cadres identitaires : l’espace commun post-soviétique, un modèle politique, social, culturel et économique, la protection de la langue russe et des minorités russophones, et la religion orthodoxe. (L’Ukraine ne reconnaît pas la suprématie de l’Église orthodoxe russe dans la protection des droits religieux des communautés orthodoxes).

L’importance de considérer la question ukrainienne dans une perspective régionale et mondiale plus large est donc l’une des tâches fondamentales de l’agenda politique actuel de lutte contre la stratégie de confrontation russe qui vient de porter un coup terrible à l’intégrité territoriale et à la démocratie de l’Ukraine.

Article rédigé le 22 février,
Au moment où nous mettons sous presse, Poutine vient de commettre l’irréparable.

 25 février 2022

Le lendemain de la célébration du « jour de la Patrie » en Russie, le 24 février 2022, Vladimir
Poutine a donné l’ordre à ses troupes d’attaquer l’Ukraine.
Il s’agit d’un crime contre l’humanité, au sens du « crime d’agression » défini par le statut de la Cour pénale internationale (article 8 bis) et d’une violation absolue de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945.

Questions immédiates :

Pourquoi Poutine attaque-t-il maintenant ?
Depuis plusieurs mois, Poutine construit une logique d’escalade, pensant sans doute que le moment est opportun après la débâcle américaine en Afghanistan, et sûr de ne pas risquer de réaction militaire de l’OTAN aujourd’hui.
Poutine a clairement fait monter la pression, sachant que son exigence de « graver dans le marbre » pour l’éternité la non-adhésion à l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie était inacceptable sous cette forme (alors que par ailleurs Français et Allemands ont toujours exprimé clairement depuis 2008 leur rejet d’une adhésion à court terme)…
Le 21 février 2022 Poutine a délibérément « brulé ses vaisseaux », rendant toute désescalade impossible. Ses discours étaient des déclarations de guerre : le néo-tsariste appelant à la « dénazification » de l’Ukraine, puis sa reconnaissance de « l’indépendance » des républiques séparatistes « dans leurs frontières administratives » des deux « oblasts » (districts), c’est-à-dire avec les 2/3 du Donbass sous contrôle ukrainien – signifiant la mort définitive du processus de Minsk (processus international de négociation pour le règlement du conflit du
Donbass).

Quels sont les scénarios possibles et les conséquences à court terme ?
Contrôler militairement le pays est « techniquement » possible (l’Occident ayant explicitement annoncé qu’il n’y aurait pas d’engagement militaire direct pour l’empêcher), mais politiquement et financièrement incroyablement coûteux. Prendre le contrôle de l’ensemble du Donbass est plus facile, mais tout de même très compliqué.
Sans doute certains généraux et Poutine lui-même pensent-t-ils que la guerre sera courte, comme en Géorgie en 2008. Ils veulent décapiter l’Ukraine (y compris par l’élimination physique de dirigeants).
Veulent-ils occuper durablement Kiev (ils n’avaient, contrairement à ce que pensait Sarkozy jamais eu l’intention de prendre Tbilissi en Géorgie en 2008) ? Ou « simplement » détruire les capacités militaires de l’Ukraine et prendre le contrôle de tout le Donbass ? Espèrent-ils un mouvement en leur faveur des russophones d’Ukraine (plus qu’improbable) ? L’avenir le dira. Mais, quoiqu’il arrive sur le plan militaire ces prochains jours, la guerre va durer. Les conséquences, déjà importantes, vont être énormes, sur le plan économique (à l’échelle mondiale, notamment sur le prix de nombreuses matières premières), géopolitique (bien sûr… et la Chine, qui pense à Taiwan « observe attentivement » ce qui se passe), évidemment pour les Ukrainiens, mais aussi pour les Russes surtout si la phase militaire du conflit dure. Si on compare à la crise géorgienne de 2008, (comparaison souvent faite avec ses territoires sécessionistes et l’intervention militaire russe), on peut multiplier plus que considérablement les effets et conséquences… Ce qui est quasi certain c’est que le retour « au calme » n’est pas pour demain.

Et, pour mieux comprendre….

Que faut-il retenir de l’histoire de l’Ukraine ?
Rappelons tout d’abord quelques points d’histoire, au moins récente. Il existe une forte personnalité linguistique et culturelle ukrainienne, une histoire longue depuis la création de la ville de Kiev par les Vikings (Varègues) et de l’espace féodal, chrétien et slave de la première « Rus », jusqu’aux inclusions de territoires aujourd’hui ukrainiens dans les Etats tsariste, autrichien, et polonais. A la fin du tsarisme en 1917, l’Ukraine a déclaré son indépendance et a été déchirée par une guerre civile opposant entre eux nationalistes ukrainiens de Symon Petlioura, armées allemandes et plus tard polonaises avec des alliés locaux, armées blanches nationalistes russes soutenues militairement sur le terrain par la France jusqu’en 1919, armées socialistes révolutionnaires et anarchistes ukrainiennes et armée rouge bolchévique.
Ces derniers ont triomphé et reconnu en mai 1919 une République socialiste d’Ukraine qui deviendra cofondatrice de l’URSS en 1922. Lénine a favorisé ce processus et il s’est opposé au nationalisme « grand-russien » qui pouvait empêcher la constitution de l’URSS. En 1941 certains ukrainiens, surtout à l’Ouest du pays ont bien accueilli les envahisseurs allemands et le leader Stephan Bandera a soutenu les nazis (même si ceux-ci l’ont un temps emprisonné pour avoir parlé d’indépendance). Conscient de la force du sentiment national ukrainien, Staline (pourtant organisateur de la grande famine qui a frappé particulièrement l’Ukraine en 1932-33) a offert aux ukrainiens une compensation symbolique, l’obtention du statut de « membre fondateur de l’ONU » à côté de l’URSS (dont elle était par ailleurs membre). Dans son discours néo-tsariste du 21 février 2022, Poutine a expliqué que l’Ukraine n’existait pas, que c’était une « malheureuse invention de Lénine et des bolcheviks ». La République d’Ukraine indépendante depuis 1991, compte plus de 45 millions d’habitants, sa superficie est celle de la France. La langue ukrainienne (langue officielle) est pratiquée par une majorité de la population, le russe par une forte minorité (et accessoirement aussi par la majorité des ukrainophones). L’Ouest, rural, longtemps sous domination autrichienne est plus ukrainophone que l’Est et le Sud, plus industriels sont plus russophones. Et à Kiev comme dans beaucoup d’autres villes, on parle les deux, parfois un mélange… La division linguistique n’est pas un facteur explicatif du conflit, de même que de supposées divisions
« ethniques ».

Est-il exact que les promesses de « sécurité collective » en Europe faites par l’Occident
n’ont pas été honorées ?
A la fin des années 1980 les dirigeants occidentaux avaient explicitement proposé à Mikhaël Gorbatchev un deal prévoyant le non-développement de l’Alliance Atlantique et de son bras armé l’OTAN et la construction d’une nouveau système de sécurité collective en Europe, avec pour pivot l’OSCE (L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Rien de cela ne s’est produit et l’OTAN s’est étendue – sans qu’il y ait d’ailleurs le moindre débat sur son fonctionnement et son rôle alors que les conditions qui avaient présidé à sa création n’existaient plus. Les partis de gouvernement de gauche ou de droite en Europe n’ont d’ailleurs rien proposé à ce sujet. Quand L’URSS s’est effondrée, les rapports de propriété ont été bouleversés, sous la houlette des organisations financières occidentales et, dans une atmosphère de pillage, des oligarques ont pris le contrôle d’une bonne partie de l’économie soviétique, en particulier en Russie et en Ukraine. En Russie, un pouvoir politique central a cependant été restauré autour de Poutine et ceux des oligarques qui n’acceptaient pas cette tutelle ont été écartés.

Ou en était l’Etat ukrainien avant 2014 ?
L’indépendance de l’Ukraine a été votée à 90% en décembre 1991 (80% dans l’Est, 50% en Crimée) et le pays a cédé les armes nucléaires présentes sur son sol à la Russie (à des fins de désarmement) en échange de la garantie de l’intégrité de ses frontières promise par les Etats- Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie (à Budapest en décembre 1994).
Il n’y a pas eu en Ukraine de consolidation d’un pouvoir exécutif puissant et le poids des oligarques est resté considérable, en particulier dans les régions industrielles, dans un pays ravagé par la corruption. Dans les années 2000, émergent d’un côté un pôle « pro-occidental » incarné un temps par Viktor Ioutchenko et Ioulia Tymochenko, pôle électoralement influent à l’Ouest et à Kiev qui a bénéficié en 2004 du soutien d’une partie de la jeunesse lors de la « révolution orange » et de l’autre côté, un pôle plutôt « prorusse » incarné par Victor Ianoukovitch et son Parti des régions arborant la couleur bleue et électoralement influent à l’Est et au Sud. Le pays n’est cependant pas pour autant clivé « Orange contre Bleu », c’est plutôt un dégradé d’Ouest en Est… mais avec partout la corruption des oligarques plus ou moins « bleus » ou « oranges », et toutefois des élections, des libertés publiques et une société civile assez solides.
Après des élections gagnées par les « bleus », Ianoukovitch a abandonné un projet d’accord avec l’Union européenne (qui déplaisait à Moscou), provoquant en 2014 la « révolte de Maidan », un fort mouvement populaire avant tout anti-corruption, y compris dans certaines villes de l’Est.

Quelle guerre a commencé en 2014 ?
Dans la confusion qui a suivi, en février 2014, les forces spéciales russes ont pris le contrôle de la Crimée. Cette province, donnée à l’Ukraine en 1954 par le pouvoir soviétique d’alors est peuplée de personnes qui se considèrent sans doute plus comme russes que comme ukrainiens russophones, mais aussi de russophones qui se sentent plus ukrainiens et de Tatars, la population autochtone musulmane d’origine, massacrée par les russes, puis
déportée par Staline et dont le retour dans sa patrie a toujours été entravé. Dans ce même contexte, en avril 2014, des milices locales, avec le concours de forces spéciales russes, ont tenté de prendre le contrôle des territoires électoralement « bleus » à l’Est de l’Ukraine. L’échec a été cuisant dans la grande ville de Kharkov, mais ils sont parvenus à s’emparer de deux régions du Donbass, autoproclamées « Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk ». Au départ l’objectif semblait être de déstabiliser l’ensemble du pays et ramener Yanoukovitch au pouvoir, mais très vite cet objectif a été abandonné, Yanoukovitch éliminé et le pouvoir des séparatistes consolidé dans les deux entités (au prix d’une répression forte). Depuis, dans cette région, la guerre n’a pas cessé, elle a fait près de 15 000 morts et provoqué le déplacement de 2 millions de personnes. De part et d’autre de la ligne de front la moitié de la population du Donbass , surtout les jeunes, est partie.
Un « processus de Minsk » a été défini en septembre 2014 pour sortir de la crise, dans la perspective d’une Ukraine fédéralisée ; il a été relancé en 2015 par les allemands et les français dans le « format Normandie » (discussions entre français, allemands, ukrainiens et russes – ces derniers en contact avec les séparatistes). Sans résultat.

La crise actuelle a-t-elle été déclenchée par l’OTAN ?
Bien sûr le refus occidental de construire une vraie sécurité collective au moment de la fin de l’URSS a produit des effets à long terme, tandis que les pays d’Europe centrale adhéraient à l’OTAN comme à une « police d’assurance américaine ». Et bon nombre de russes pouvaient considérer la chose comme une forme de menace.
Les pays de l’OTAN n’ont pas été avares non plus de diverses formes de provocations et gesticulations militaires ces dernières années. Cependant la crise actuelle n’a pas du tout été déclenchée par des actions des américains mais bien par la concentration d’un nombre inédit de forces militaires russes aux frontières de l’Ukraine, à l’Est, au Nord par le Bélarus et au Sud par la Mer Noire.

Quelles étaient les hypothèses sur les projets de Poutine avant son offensive militaire ?
On pouvait penser que l’objectif premier de Poutine était de restaurer la place de grande puissance de la Russie – en particulier vis-à-vis des américains, et – mais ce n’est pas nouveau – de considérer d’Union européenne comme un club d’impuissants. L’Etat russe, jadis cœur d’Empire, a été humilié par l’Occident et « déclassé » comme puissance. La politique de la restauration poutinienne consiste à poser des jalons de reconquête politique
(affirmation de puissance), idéologique (nationaliste), territoriale : la Russie a profité des crises à sa périphérie pour contrôler certains territoires (Abkhazie et Ossétie du Sud en Géorgie, Transnistrie en Moldavie) ou assurer une forme de tutelle sur des Etats voisins, tout récemment avec les crises des dictatures en Bélarus et au Kazakhstan, et sur l’Arménie démocratique, dans le contexte de la défaite des arméniens face à l’Azerbaïdjan.
Dans son entreprise de « restauration », Poutine peut compter sur quelques atouts : des ressources en hydrocarbures, mais aussi d’indéniables capacités militaires et militaro-industrielles, un certain savoir-faire idéologico-médiatique pour s’assurer la sympathie de nationaux-populistes ou de secteurs déclassés de population dans les opinions publiques occidentales, une capacité d’alliances (du moins pour le moment) avec la Chine, jusqu’à un certain point avec l’Iran, parfois avec la Turquie (mais celle-ci est foncièrement opposée à l’invasion de l’Ukraine -pays auquel elle fournit des armes.
La « restauration » du statut de grande puissance de la Russie passe par un interventionnisme au-delà des frontières de l’ancien empire, : soutien décisif au régime de Bachar El-Assad; la présence militaire et économique russe dans ce pays depuis 2015; l’interventionnisme ouvert de l’Etat russe ou avec les mercenaires du groupe Wagner en Afrique (Libye, Centre- Afrique, Mozambique, Mali…).
Avant même la crise actuelle Poutine avait donc déjà marqué des points. Il a réintroduit la Russie comme acteur majeur du jeu mondial…. Et forcé les américains et généralement l’occident à le considérer comme tel. Mais à long terme il risque d’en perdre beaucoup et dépendre de plus en plus du soutien chinois.

Quelle était la situation avant l’agression en Russie et en Ukraine ?
Poutine cherche à créer un climat d’unité patriotique face à « la menace occidentale » et dans sa « guerre de libération de l’Ukraine ». A bien des égards cela semble mieux marcher… en dehors de la Russie qu’en Russie même, dont les habitants ne sont guère partants pour une guerre prolongée et qui ne seront pas aussi enthousiastes que lors de la « prise » de la Crimée de 2014, qui avait alors provoqué une forme d’unanimité patriotique assurant à Poutine une popularité inégalée. Toujours est-il que le régime s’est incroyablement durci ces derniers temps avec la destruction systématique des oppositions politiques (à commencer par Alexis Navalny), des médias indépendants et de la société civile (comme l’ONG Mémorial)…
Aujourd’hui la répression à l’intérieur de la Russie est à un niveau inégalé depuis l’URSS des années 1970.
En Ukraine la menace poutinienne a eu plutôt pour effet de construire l’unité nationale et d’éloigner les ukrainiens de leurs cousins russes. Dans ce contexte l’extrême droite ukrainienne, électoralement faible, surtout après Maidan (2,5% aux législatives de 2019) mais active et organisée peut en profiter surtout sous occupation russe. Le président Volodimyr Zelinsky a été élu presque par hasard par des ukrainiens las des dirigeants corrompus –
(comédien il incarnait le rôle … d’un Président de la République dans un feuilleton télé !).
Pour le moment, l’ambiance est plutôt à l’unité nationale autour de lui. Après avoir tenté la dissuasion de la résistance civile et de la cohésion face au risque d’invasion, il fait face courageusement à l’agression d’une puissance militaire infiniment plus forte.

Existe-t-il des forces de paix sur le terrain ?
Du côté russe il est bien entendu extrêmement difficile de s’exprimer, pourtant ces forces existent, ainsi une a circulé en Russie d’artistes, intellectuels, militants civiques, qui osent déclarer : Nous, citoyens russes responsables et patriotes de notre pays, faisons appel aux dirigeants politiques de la Russie et lançons un défi ouvert et public au parti de la guerre, qui s’est formé au sein du gouvernement. Nous exprimons le point de vue de cette partie de la
société russe qui déteste la guerre et considère même l’utilisation d’une menace militaire et d’un style criminel dans la rhétorique de la politique étrangère comme un crime (1). Des militants russes et ukrainiens ont cosignés un appel international Assez de guerre en Europe ! (2)
Depuis l’agression des voix anti-guerre, relativement nombreuses, réussissent à se faire entendre et même à s’exprimer dans les rues dès le premier jour, malgré la répression gouvernementale (plusieurs centaines d’arrestations dans plus d’une cinquantaine de villes)…
Des pétitions d’intellectuels, d’artistes, de journalistes, de membres du corps médical, se
multiplient.
La propagande poutinienne sur le « génocide des russes en Ukraine », les « nazis de Kiev » ou « l’agression en cours de l’OTAN » est omniprésente en Russie, ce qui ne signifie pas ipso facto que la majorité des Russes y adhère, mais pas non plus que cette majorité est prête à s’engager contre la guerre… Si celle-ci dure (ce qui est possible), si la situation économique se dégrade (ce qui est certain), les choses peuvent évoluer…
En Ukraine, comme le disait avant l’offensive poutinienne Nina Potarska, de la section ukrainienne de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, il est difficile de s’exprimer quand le militarisme envahit tous les esprits. Pourtant des voix se sont élevées contre la logique de guerre, au sein d’une société civile encore vigoureuse. Dans la situation d’invasion actuelle, c’est encore plus dur, et nombre de militants sont absorbés par des tâches humanitaires ou rejoignent la résistance sous les drapeaux… Mais contrairement à la Russie, leur expression est toujours possible.

Que pouvons-nous faire ?
L’expression de notre solidarité politique avec les russes anti-guerre, menacés d’anéantissement, notre action solidaire avec les organisations de la société civile ukrainienne qui se sentaient bien seules avant l’offensive et réclament notre aide pour faire cesser les combats aujourd’hui.
Le propagande pro-Poutine demeure extrêmement présente en France (même si la Poutinophilie de l’extrême droite a été remise en cause par l’agression actuelle). A gauche le rappel incessant de la situation des années 1980-90, des erreurs (et surtout défaites) stratégiques de l’époque, de l’absence de la construction de mécanismes de sécurité équilibrés, semble justifier une paralysie actuelle, avec des arguments pour justifier celle-ci, concernant
ce qui a eu lieu il y a plus de trente ans ! Certaines forces de gauche ignorant la réalité ukrainienne et russe, ne voient en Ukraine qu’un pays soumis à l’Occident ou pire accréditent la propagande poutinienne d’un pouvoir « nazi » avec des hordes « fascistes » arpentant les boulevards. L’extrême-droite est présente en Ukraine (quoiqu’électoralement infiniment plus marginale qu’en France) mais il y aussi une société civile particulièrement dynamique, active dans la défense des droits humains, des migrants, des personnes déplacées du Donbass depuis
8 ans, dans les luttes des femmes et des LGBTQI+, ainsi que sur les luttes sociales et syndicales…
Ce « campisme » est une attitude fréquente dans certains milieux supposés progressistes en Europe et Amérique du Nord, dans le Monde Arabe, en Afrique, en Amérique Latine. Il consiste à trouver des vertus aux impérialismes rivaux des occidentaux, dont l’impérialisme néo-tsariste (par exemple à soutenir l’intervention russe quand il s’agit de sauver le régime criminel de Bachar Al Assad ou celle des mercenaires du groupe Wagner en Lybie ou en
Afrique sahélienne et centrale). Toute complaisance de ce type envers l’agression actuelle doit évidemment être vigoureusement dénoncée.
L’immédiateté actuelle, c’est faire reculer la soldatesque poutinienne, avant que les blessures ne laissent des cicatrices indélébiles et que l’engrenage de l’insécurité s’étende. Mais il est surtout avant tout nécessaire de défendre ceux qui sur place, en Russie, s’opposent aux actions guerrières et de ne pas laisser isolée la société civile ukrainienne. L’action par exemple de la coalition internationale CivilM+, qui lie des mouvements citoyens ukrainiens et russes, avec le soutien d’allemands, de français, de néerlandais et quelques autres est un exemple de ce qui peut être fait (3).

Et après ?
Nous ne savons pas dans quel état nous serons quand cette crise-ci sera terminée. Pour l’heure, nous ne pouvons que constater le défaut congénital des gauches vertes et radicales, pour ne pas parler des sociaux-démocrates, à penser ces sujets qui vont de la « dissuasion » à la « responsabilité de protéger », sinon en quelques slogans « pacifistes » et/ou « anti-impérialistes » creux, dont témoigne aussi cette campagne présidentielle française. Il faut
reprendre l’ensemble du sujet, pour la France, pour l’Europe, pour le Monde. Urgemment !

1 Cet appel est disponible en Russe sur https://echo.msk.ru/blog/echomsk/2972500-echo/
2 https://euroalter.com/no-more-war-in-europe/
3 Sur CivilM+, voir aechca.fr ou civilmplus.org.

Confrontées à la guerre, les églises ukrainiennes ont fait preuve d’un exceptionnel moment d’unité

I am grateful to the Conference of European Churches’ member churches for their support, and for the CEC’s strong statement on the war in Ukraine. It is very important for us.
The theme you have chosen is “Christ’s love moves the world to reconciliation and unity”. I was asked to speak about the war in Ukraine. And war is probably as far from Christ’s love, as one gets. However, the war shows—in a very radical way—the context in which unity and reconciliation can occur. I will start by showing the ways in which various Ukrainian churches have responded to Russian aggression, and then will raise three issues: unity, interconnectedness and reconciliation.
“War is the father of all and king of all; and some he has shown as gods, others men; some he has made slaves, others free”, said Greek philosopher Heraclitus (1). I do not know whether Ukraine will emerge from the war as a slave or free, but Heraclitus is right that war is a game changer. It creates new order and re-structures society. It is a moment when people and churches are called to “choose sides”, and the state of ambiguity becomes intolerable.

Ukrainian Churches’ statements
There have been many gestures of condemnation of war, and solidarity by various church leaders and ecumenical organisations worldwide—some very inspiring and some a bit ambiguous. Here, I would only like to speak about how the churches in Ukraine and Russia have responded. The churches have reacted both jointly and individually.
The All Ukrainian Council of Churches—which unites 16 churches and religious organisations, including Jews and Muslims—issued a statement with words of support for the Ukrainian Armed forces and a blessing to soldiers, asking the international community to help stop the Russian invasion (2). They also wrote a letter to President Putin asking him to stop the war before it is too late (3).

The Metropolitan of the newly created Orthodox Church of Ukraine Epiphany (4) and the Major Archbishop of the Ukrainian Greek Catholic Church Sviatoslav Shevchuk (5) asked everyone to pray for peace, but also talked about the duty of citizens to protect Ukraine. They both asked the international community for their support.
The Protestants too were outspoken in their condemnation of Russia’s aggression. The German Evangelical Lutheran Church of Ukraine insisted that the peace we must pray for, should be “a just peace, which will result in the expulsion of the aggressor from all occupied territories and a fair punishment for the crimes committed” (6). It called those who can serve in the armed forces to join the defence of their country, and invited “brothers and sisters from abroad to provide diplomatic and informational assistance […] and humanitarian aid”. The Ukrainian Union of Evangelical Baptist Churches—which is probably the biggest Protestant denomination in Ukraine—took a more pacifist stance: The Pastor Antonyuk asked communities to pray (he said, our weapon is prayer), but also mentioned the need to provide hospitality to the refugees (7).

Ukrainians and Moscow Patriarchate
Very important is the position taken by the Ukrainian Orthodox Church, which is in unity with the Moscow Patriarchate. Those of you who had the patience to listen to the hour-long speech by President Putin on the 21st of February, which announced the recognition of two separatist republics, will remember that one of the reasons stated for why Russia must intervene in Ukraine, goes as follows: “In Kiev, they are preparing reprisals against the
Ukrainian Orthodox Church of the Moscow Patriarchate” (8). Well, yesterday the head of this church, Metropolitan Onuphry of Kiev, called the Russian invasion “a repetition of the sin of Cain, who out of jealousy killed his own brother. Such a war can have no justification either before God or before people.”
This is a very important statement—it might have arrived a bit late, but better late than never. Since the start of the Ukrainian crisis eight years ago, this Church always insisted on a spiritual and cultural union with Russia, and pretended to be apolitical, neutral. It was often criticised for not taking a position. There was a moment five years ago, when Onuphry refused to honour the soldiers, killed in Eastern Ukraine, saying that he wanted to stay out of the conflict.
Today, I believe that the injustice of what Russia is doing—is so obvious, that the Ukrainian Orthodox Church cannot remain silent. And it is good that they refuse to be exploited by Russian propaganda. They are now saying: you come here to save us from “the Nazis”, but we do not need you. We will fight you.

Metropolitan Onuphry’s confrere in Moscow, Patriarch Kirill came short of condemning the war or even asking to stop it. He limited himself to “call on all parties to the conflict to do everything possible to avoid civilian casualties” (9). Russian aggression was termed “events taking place” and “a tragedy”. A prayer was raised to God to “preserve the Russian, Ukrainian, and other peoples who are spiritually united by our Church”.
I hope the Russian Orthodox Church will find courage to unambiguously call for an end to the Russian invasion of Ukraine.
Why did I focus so much on these declarations? I believe that in those declarations, issued by the churches, in the appeals voiced, one can read their whole ecclesial identity. Written hurriedly, with not much time for editing, they reflect how churches see their own position within society, how deep their inculturation goes, how they see their link to people they work with, how they relate to nationalism and warfare, and how they interpret Scripture. The
moment is really apocalyptic, in the etymological sense of the term: apokalypsis as unveiling, revelation. Churches reveal themselves. So do ecumenical organisations.

Now to three points I wish to make: unity, interconnectedness and reconciliation.

Unity
Ukrainian churches have shown an exceptional moment of unity. This is what war does. This unity might contain risks, but it might lead to reconciliation and unity. We shall see what effect the war will have on the unity of the Ukrainian Orthodox Church with their fellow believers in Russia, and on dialogue between two Orthodox jurisdictions in Ukraine—however, it is reasonable to expect that the influence of war on Ukrainian Orthodoxy will be tremendous.
Of course, one might wonder whether inter-Orthodox unity or inter-Christian relations, which conceive of dialogue as a service to national cohesion, does not transform Christ’s call for unity into a secular slogan, into a war refrain. The raison d’état behind such unity should not be left unquestioned. A church, which reduces its role to the service of a nation and its interest, betrays its universal vocation and eschatological identity, which transcends the
concerns of nation-building (10). Unfortunately, war might not be the best moment for nuance.
We must first survive.
I also expect the war will lead Ukrainian Protestants—especially the Baptists and the Pentecostals—who sometimes tended to live in relative isolation from what was going on in the country—to feel more responsible for society at large and the country’s predicament.

Interconnectedness
We live in a world where everything is interconnected. This is evident when we think of the ecological crisis, Covid-19 pandemic or discussions on sanctions against Russia. As Pope Francis writes in Fratelli Tutti, “we are a global community, all in the same boat, where one person’s problems are the problems of all. […] [N]o one is saved alone; we can only be saved together. […] [W]e are part of one another” (11). In Dostoyevsky’s The Brothers Karamazov, Markel, the brother of starets Zosima says: “every one of us has sinned against all men, and I more than any. […] everyone is really responsible to all men for all men and for everything” (12). When questioned by his mother on how, being so young and innocent, he can be responsible for the world’s evil, Markel answers: “I don’t know how to explain it to you, but I feel it so, painfully even” (13). I suggest this is a profound illustration of the inexplicable, incomprehensible interconnectedness of all. (One could wonder whether Dostoyevsky’s wisdom makes part of the canon of Putin’s “traditional values” he said he is defending in Ukraine, in his message two days ago (14).
What I think is important today, is that the churches and countries of Europe can also feel, “painfully even” their connectedness to what is going on in my country, their responsibility for Ukraine. I hope that churches in Europe, spiritually united with Ukrainian Orthodox, Protestant and Catholic sisters and brothers—may feel compassion and active solidarity—as a body, one member of which is suffering—and not let Ukraine suffer alone. This can involve
reaching out to your churches, governments, businesses asking for pressure to be put on Russia to stop the war, and to support Ukraine in any way possible.

Reconciliation
We do not know how the war will end, but one day it will. And it will not be easy to speak about reconciliation between Ukrainians and Russians. We are not enemies of the Russian people. I have received many words of support from Russian Orthodox clergymen and lay people over the last few days. Many Russians have protested against the war, both in Russia  and abroad, some were arrested. It demanded a lot of courage—and they are a credit to the Russian people and an example for Russian religious and political institutions. This Russian resistance to the war—however minimal—is important. It is important for Ukraine—not to hold Russians collectively responsible for what the government is doing. It is important for the people of Russia—to keep some semina verbi, some rays of light in the midst of madness. It is important for everybody—at least for the sake of reconciliation, which, sooner or later will come.

It is ironic that Russians who speak against the war are often the so-called “liberal secularists”
rather than the disciples of Christ. Here Russian philosopher Vladimir Soloviev comes to mind:
In his On the Decline of the Medieval Worldview he says: “if Christians in name have betrayed
the purpose of Christ—and would have ruined it, if only they could have—then why can’t
those who are not Christians in name, and who renounced Christ in word, serve the purpose
of Christ? In the Gospel, we read of two sons; one said, ‘I will go’ and he did not go; the other
said, ‘I will not go’ and he went. […] Which of the two […] did the will of his Father?” (15)
To conclude. Last August, our Institute of Ecumenical Studies in Lviv, launched a project on
ecumenism and peacebuilding— we began studying foreign cases of reconciliation: the
Balkans, Israel/Palestine, Northern Ireland etc. I would like to quote a phrase from the project
description: “One way of looking at the Ukrainian crisis, might be through defamiliarization.
By this we mean looking at the situation, through the lens of other conflicts, which helps to
maintain an epistemic and emotional distance from the domestic situation, allowing us to
contribute to a rational and practical resolution to the conflict”.

Yesterday we woke up in a situation in which de-familiarization does not work anymore, because our families are under threat. No emotional distance is possible, because both the reason and heart call on us to stop this bloodshed. It is a moment when to be super partes means to be with those who suffer and are terrified. It is a moment, when Christ’s love calls us to be united and supportive of those who are being killed for their desire to be free.
Blessed Are the Peacemakers, for They Will Be Called Children of God (Matt 5:9)

Churches Confront War in Ukraine, by Pavlo Smytsnyuk, Institute of Ecumenical Studies, Lviv, Ukraine
Speech at The Conference of European Churches (CEC)
European Regional Pre-Assembly – 25 February 2022

 

1 Heraclitus, Fragment LXXXIII (D. 53), in Charles H. Kahn, ed. The Art and Thought of Heraclitus: An Edition of the Fragments with Translation and Commentary (Cambridge: Cambridge University Press, 1979), 67.
2 https://vrciro.org.ua/en/statements/uccro-address-regarding-russian-military-aggression-against-ukraine
3 https://vrciro.org.ua/ua/statements/uccro-calls-on-president-putin-to-stop-the-war
4 https://orthodoxtimes.com/metropolitan-of-kyiv-the-truth-is-on-our-side-the-enemy-with-gods-help-will-be-defeatedvideo/
5 http://news.ugcc.ua/en/articles/appeal_of_his_beatitude_sviatoslav_on_outbreak_of_war_95772.html
6 https://nelcu.org.ua/nastav-chas-molytov-za-spravedlyvyj-myr/
7 https://www.baptyst.com/zvernennya-v-antonyuka-do-sluzhyteliv-i-tserkov-u-zv-yazku-z-pochatkom-vijny/
8 http://www.kremlin.ru/events/president/news/67828
9 https://mospat.ru/en/news/89020/
10 Cf. Pantelis Kalaitzidis, « The Temptation of Judas: Church and National Identities, » Greek Orthodox Theological Review 47, no. 1-4 (2002), 357-379
11 Francis, Fratelli Tutti, n. 32.
12 Fyodor Dostoevsky, The Brothers Karamazov, trans. Constance Garnett (London: W. Heinemann, 1951), 297.
13 Dostoevsky, The Brothers Karamazov, 297.
14 http://www.kremlin.ru/events/president/news/67843
15 Vladimir S. Soloviev, “On the Decline of the Medieval Worldview,” in Vladimir S. Soloviev, Freedom, Faith, and Dogma: Essays on              Christianity and Judaism, ed. Vladimir Wozniuk (Albany, NY: State University of New York Press, 2008), 168-169.