Conflits et insécurité : Principes humanitaires et défis.

Le bureau de l’ONU pour la coordination de l’aide humanitaire classe les crises humanitaires selon cinq critères :

  • ampleur : taille de la zone affectée, nombre de personnes touchées
  • urgence : volume des déplacements de population, intensité des conflits, taux de mortalité
  • complexité : crise multidimensionnelle, nombreux acteurs, difficultés d’accès, risques sécuritaires pour les personnels
  • capacité : faible capacité locale de réponse, Etats faibles ou fragiles, rapport entre besoins et capacités disponibles
  • risque : forte médiatisation, attentes des bailleurs et du public

Pour la première fois, nous faisons face aujourd’hui à quatre crises simultanées de niveau 3, le plus élevé : République Centrafricaine, Sud-Soudan, crise syrienne, Irak.

 

Les quatre principes humanitaires

Les crises à caractère politique sont les plus lourdes et les plus exigeantes en termes d’analyse, de coordination et d’organisation.

Le respect des principes humanitaires y est difficile à assurer, quand différentes parties détournent l’action humanitaire par exemple en entravant l’accès aux victimes ou en organisant des opérations politico-militaires soi-disant humanitaires, telles que celles des Occidentaux aujourd’hui dans le nord de l’Irak, où les mêmes forces aériennes sont engagées dans des combats contre l’Etat islamique et dans des largages de vivres à des déplacés.

Les quatre grands principes humanitaires consacrés par deux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU sont l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance. Leur respect permet de distinguer l’action humanitaire de celles d’acteurs animés par d’autres objectifs, et de ne pas la voir comme une ingérence dans les affaires internes d’un pays.

Leur prise en compte permet d’accéder à la population touchée et de garantir la sécurité du personnel humanitaire et des bénéficiaires. Les acteurs humanitaires civils contrôlent ainsi directement les distributions, garantissent que cette aide est distribuée de manière impartiale et qu’elle parvient à ceux qui en ont le plus besoin.

L’attachement aux principes humanitaires s’exprime par l’adhésion de la grande majorité des ONG au Code de conduite Croix-Rouge/ONG applicable pendant les opérations de secours, en cas de catastrophes. 536 ONG en sont signataires.

Ce Code développé en 1994 par huit des principales organisations humanitaires mondiales[1] liste dix principes humanitaires, et non quatre :

 

  1. L’impératif humanitaire, priorité absolue. Le droit de recevoir et d’offrir une assistance humanitaire est un principe humanitaire fondamental dont devraient bénéficier tous les citoyens de tous les pays.
  2. L’aide est apportée sans aucune considération de race, de croyance ou de nationalité du bénéficiaire, et sans discrimination d’aucune sorte. Les priorités en matière d’assistance sont déterminées en fonction des seuls besoins.
  3. L’aide ne saurait être utilisée au service de convictions politiques ou religieuses, quelles qu’elles soient.
  4. Nous nous efforcerons de ne pas servir d’instrument à la politique étrangère des gouvernements.
  5. Nous respecterons les cultures et les coutumes.
  6. Nous chercherons à fonder nos interventions sur les capacités locales.
  7. Nous nous emploierons à trouver des moyens d’associer les bénéficiaires des programmes à la gestion des secours.
  8. Les secours doivent autant viser à limiter les vulnérabilités futures qu’à satisfaire les besoins essentiels.
  9. Nous nous considérons responsables, tant à l’égard des bénéficiaires potentiels de nos activités que vis-à-vis de nos donateurs.
  10. Dans nos activités d’information, de promotion et de publicité, nous présenterons les victimes de catastrophes comme des êtres humains dignes de respect, et non comme des objets de commisération.

 

Au vu de la nature des crises actuelles, les questions liées à la sécurité deviennent de plus en plus présentes, et des pratiques qui pouvaient être considérées comme « exceptionnelles », comme le recours aux escortes armées, deviennent malheureusement de plus en plus fréquentes. La communauté humanitaire est aussi confrontée depuis 2001 aux conséquences de la « guerre contre le terrorisme ». Des normes législatives et de contrôle ont été mises en place par l’ONU, les Etats-Unis, l’Union Européenne et de nombreux Etats. Partant de la légitime préoccupation de couper les ressources financières de mouvements terroristes sous couvert de transferts de fonds « humanitaires », ces législations entraînent une série d’effets pervers qui peuvent gêner, voire empêcher des organisations réellement humanitaires de faire leur travail, au détriment évidemment, en dernière instance, des personnes et communautés affectées par une crise.

La découverte de quelques cas isolés d’organisations qui se prétendaient humanitaires, mais ont contribué à financer des mouvements terroristes a engendré un détestable climat de suspicion dont de nombreuses organisations islamiques ont été victimes d’une manière ou d’une autre.

 

La dimension religieuse

Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau et nombre d’ONG se définissent comme confessionnelles[2] ou sont nées d’une inspiration religieuse[3]. La dimension religieuse est présente au cœur du contexte social et humain où se déroulent les crises, quand elle n’est pas elle-même un facteur de déclenchement ou d’aggravation d’un conflit. L’appartenance religieuse des communautés affectées, tout comme celle, éventuellement, des acteurs humanitaires, ne sont pas des éléments neutres ou négligeables.

Du point de vue des personnes affectées, après la solidarité immédiate au sein des familles et du voisinage, la solidarité communautaire est l’une des premières à se déclencher. Les premiers acteurs d’une réponse humanitaire sont toujours les personnes affectées elles-mêmes, bien avant que se déploient les secours officiels ou internationaux. Les lieux de culte deviennent des abris, des centres d’accueil, des lieux de soins ou de distributions. Les réseaux communautaires s’activent, les curés, les imams, les religieux et religieuses, les responsables laïcs à différents niveaux, se voient investis de rôles importants de réconfort et de coordination.

Mais les liens communautaires peuvent aussi être des lignes de clivage ou de conflit. Quand des combats opposent différentes communautés, la solidarité entre coreligionnaires peut se doubler d’une hostilité envers les autres groupes.

Du côté des organisations humanitaires confessionnelles ensuite, le risque existe d’être sollicité prioritairement par les victimes de sa famille religieuse, avec lesquelles existent des liens de coopération, au détriment d’une approche impartiale basée sur la nature et l’ampleur des besoins.

En situation de conflit, l’identité confessionnelle d’une ONG, locale ou internationale, est un facteur à prendre en compte dans l’analyse des risques et des opportunités.

L’Eglise catholique, par exemple, peut jouir au-delà même de la communauté chrétienne d’une reconnaissance et d’un respect, , qui lui confèrent une capacité d’action privilégiée. C’est le cas en RDC, où elle est perçue comme une des rares institutions qui inspirent confiance. Cela donne à une organisation comme Caritas-Congo une capacité d’action exceptionnelle dans des contextes dangereux où des acteurs des Nations Unies ne peuvent pas accéder. Une organisation peut au contraire être perçue comme alliée de fait à une des parties au conflit.  La perception est essentielle, même quand elle ne correspond pas à un positionnement objectif avéré.

Et même lorsqu’elles tentent de rester objectivement neutres, la nature « occidentale » des grandes ONG internationales suffit souvent, à elle seule, à les voir associées dans le discours collectif à une ingérence occidentale.

La montée en puissance d’importantes ONG internationales originaires de pays musulmans, en particulier des pays du Golfe, dans un contexte de crises lourdes et nombreuses où toutes les contributions additionnelles devraient être bienvenues, risque de polariser encore davantage la question. Si les principes humanitaires ne sont pas réaffirmés et mis en œuvre sans cesse par les uns et les autres, le risque existe que les acteurs humanitaires musulmans soient mieux acceptés dans certains pays, au détriment des ONG occidentales (chrétiennes ou perçues comme telles). De nombreux gouvernements se montrent plus ouverts à l’ « accueil » d’organisations humanitaires qui leur semblent mieux « partager les valeurs locales » et être moins porteuses d’un programme d’action occidental, chrétien, ou encore radicalement séculier/laïque.

 

L’impact politique

Enfin, le caractère multi-mandats de nombreuses ONG internationales doit aussi être abordé. Caritas par exemple, comme Oxfam, World Vision, Save the Children, Islamic Relief, intervient également dans le champ du développement, du renforcement des capacités locales, et du plaidoyer pour la justice et la paix.

Si certains des principes humanitaires, comme la participation des personnes et des communautés, ou le respect des cultures et coutumes, sont également au cœur des approches de développement, il n’en est pas nécessairement de même pour la neutralité ou l’impartialité, voire pour l’indépendance vis-à-vis de gouvernements, quand des programmes sont mis en place en coordination étroite avec ceux-ci (bailleurs publics occidentaux, gouvernements locaux), ou visent à dénoncer l’injustice de politiques publiques. Les positionnements des organisations sur des questions politiques peuvent avoir un impact sur leur capacité à poursuivre des actions humanitaires impartiales.

La plus grande attention est de mise, de la part des organisations non-gouvernementales pour préserver la force des convictions et les capacités à être accepté par toutes les personnes dans le besoin, quelles que soient leurs appartenances ou affiliations.

 

[1] Caritas Internationalis, Catholic Relief Services, The International Federation of Red Cross and Red Crescent Societies, International Save the Children Alliance, Lutheran World Federation, Oxfam, The World Council of Churches, The International Committee of the Red Cross(CICR).

[2] Faith-Based Organisations comme World Vision, Caritas, Christian Aid, ACT Alliance, Lutheran World Federation, Islamic Relief, Muslim Aid, …

[3] Oxfam fondée par des Quakers