Nations Unies: un traité sur le commerce des armes en faveur de l’humain

Le traité sur le commerce des armes (TCA) ,qui doit être négocié en juillet 2012 à New York sous l’égide des Nations Unies, a une importance particulière aux yeux de la communauté catholique, très largement investie contre la circulation anarchique des armes.

En effet, si le TCA récompense de nombreuses années d’efforts, il constitue, de plus, un instrument susceptible de conférer une nouvelle ampleur à la  mobilisation.

La prise de conscience

La communauté catholique a pleinement participé à la prise de conscience des dommages causés par la prolifération incontrôlée, la circulation, le stockage et la détention d’armes dans des mains irresponsables. Forte de ce constat, elle a entendu contribuer à faire de cette question une priorité.

Au début des années quatre vingt dix, la fin de la guerre froide fait naître l’espoir de voir les conflits auparavant attisés par les deux Grands s’apaiser. Si, dans certains endroits, le désengagement des Etats- Unis et de l’URSS, voire leur coopération, favorisent effectivement le retour à la paix, ailleurs la violence subsiste, se déchaînant même parfois, du Rwanda à la Bosnie. L’insécurité se déplace et se morcelle. Ces situations particulièrement inquiétantes interpellent les chrétiens qui s’interrogent sur les moyens de prévenir le recours à la force et cette montée de la violence.

Il apparaît alors de plus en plus clairement aux organisations catholiques que les transferts d’armes favorisent grandement l’instabilité et la violence. Dans un texte prémonitoire, voire prophétique, le Conseil pontifical Justice et Paix consacre, dès 1994, l’une de ses études au commerce international des armes et il prévient les Etats : « Semer des armes à tous vents, c’est s’exposer à récolter la guerre sur son propre sol »[1] en plus de déstabiliser des régions entières. Cette réflexion sur le rôle des armes a été  prolongée par des mouvements catholiques, notamment Pax Christi, qui s’interroge sur l’impact négatif des armes sur la paix.

Parallèlement à leur responsabilité dans les conflits, les armes sont aussi mises en question pour leurs conséquences sur le développement économique et social. Les Eglises ont ainsi constaté, au cours de la décennie quatre-vingt-dix, que la circulation sans contrôle des armes perdurait et constituait un des principaux obstacles au développement. Elle alimente en effet l’instabilité dans certaines régions, favorise la confiscation des ressources – notamment des ressources naturelles, au bénéfice de groupes dépourvus de légitimité et au détriment du plus grand nombre – ou encore les violations des droits humains, pour ne citer qu’une partie seulement des conséquences néfastes qu’elles entraînent. D’ailleurs la réflexion éthique du Conseil pontifical Justice et Paix en 1994 mettait en exergue le principe de suffisance, affirmant que les Etats ne doivent acquérir que les armes qui leur sont strictement nécessaires.

En France, conjointement avec d’autres organisations dont Justice et Paix, le Secours catholique-Caritas France et le Comité catholique contre la faim et pour le développement –Terre solidaire établirent un constat analogue, relevant que la pérennité de leurs programmes d’action et le bénéfice attendu des projets lancés, en Afrique notamment, étaient remis en cause par des individus parvenant sans réelles difficultés à s’armer.

 

Toutes ces organisations ont en conséquence souhaité alerter la communauté internationale sur ce fléau. Aux côtés d’autres organisations non gouvernementales, de personnalités et d’un nombre croissant d’Etats, elles ont voulu rappeler, en premier lieu, que les armes ne renforcent pas systématiquement la sécurité des Etats, mais peuvent entretenir les tensions et menacer la paix ; en second lieu, qu’elles peuvent inciter dans certains cas ceux qui les possèdent – lorsqu’ils se laissent pénétrer par un sentiment de toute- puissance – à recourir à la force et à violer les droits de la personne. Ce faisant, elles freinent le développement et accentuent les inégalités.

 

La communauté catholique a ainsi été conduite à s’engager auprès de tous ceux qui partagent ce constat et à réclamer à leurs côtés une régulation plus stricte des transferts[2] d’armes. Leurs efforts visent en priorité à obtenir l’adoption d’un traité réglementant davantage le contrôle du commerce des armes.

 

Vers l’adoption d’un traité international sur le contrôle du commerce des armes

 

Les catholiques sont actifs au sein de la coalition internationale Control arms qui milite pour l’adoption d’un traité ambitieux et universel sur le commerce des armes.

Alerté par les Caritas africaines, Caritas Internationalis a mandaté en 2004 le Secours catholique-Caritas France pour conduire les activités de plaidoyer en faveur d’un contrôle plus strict des transferts d’armes. Caritas est ainsi présente au sein du Comité de pilotage de la coalition internationale Control arms[3] qui regroupe de très nombreuses ONG dans tous les pays[4].

Les efforts de ces organisations ont porté leurs fruits, tant au niveau national qu’à l’échelle internationale. Ainsi, la France se déclare actuellement favorable au TCA et elle a d’ores et déjà appuyé l’adoption par l’Union européenne d’un Code de bonne conduite en matière d’armements, devenu en 2008 une « Position commune »[5]. Surtout, en 2009, l’Assemblée générale des Nations Unies se fixa pour objectif « d’élaborer un instrument juridiquement contraignant établissant les normes internationales communes les plus strictes possibles pour les transferts d’armes classiques »[6]. Les quatre conférences préparatoires ont aplani le terrain pour aborder dans les meilleures conditions la conférence diplomatique au cours de laquelle le traité doit être conclu. La dernière des réunions préparatoires a eu lieu en février 2012. A son issue, il convient d’être optimiste, mais prudent. Optimiste, dans la mesure où le texte proposé par Roberto Moritan, l’ambassadeur argentin qui a présidé le travail reprend beaucoup d’idées défendues par la plate-forme d’ONG Control arms, idées qui sont de surcroit défendues par de nombreux Etats. Il faut toutefois demeurer prudent, car certains Etats ne se sont pas encore véritablement exprimés, tandis que quelques autres ont d’ores et déjà indiqué qu’ils étaient réticents à souscrire à un texte qui limiterait, selon eux, exagérément leur souveraineté nationale.

Dans ce contexte, ô combien décisif, les catholiques doivent plus que jamais réaffirmer avec force leur vision et les principes moraux qui doivent selon eux guider les Etats lorsqu’ils transfèrent des armes.

 

Les catholiques et les transferts d’armes

 

Les positions de la communauté catholique à l’égard  des armes se fondent sur le refus de la violence qui la conduit à être extrêmement exigeante à l’égard de l’utilisation des armes.

L’opposition à la violence est à l’origine de la mobilisation des catholiques. Elle ne débouche toutefois pas sur une position pacifiste. Le recours aux armes est en effet permis, au moins dans le cas de la légitime défense[7] et en l’absence de toute autre solution. Il résulte de cette possibilité le droit de posséder et d’acquérir des armes (conformément d’ailleurs à l’article 51 de la Charte des nations Unies) pour assurer sa capacité de légitime défense.

 

Le Conseil pontifical Justice et Paix a énoncé dès 1994 deux principes qui constituent aujourd’hui encore les fondements de la mobilisation. Celle-ci repose en premier lieu sur la conviction que les Etats ne peuvent se dispenser d’une réflexion morale concernant les transferts d’armes, en considérant que les armes ne sont pas des marchandises comme les autres, et en ne se préoccupant pas de ce que les destinataires de leurs transferts feront des armes qu’ils ont acquises. Les catholiques affirment au contraire avec force que, conformément au principe de responsabilité, les Etats sont responsables des armes qu’ils transfèrent.

 

Il appartient aux Etats de ne pas détenir davantage que ce qui est nécessaire à leur légitime défense, afin de ne pas alimenter la course aux armements, de favoriser les conflits ou de nuire au développement de certains pays. En effet, il est patent que des Etats sont prêts à sacrifier les dépenses de santé et d’éducation pour acquérir de nouveaux armements. Ce second principe de suffisance doit guider les Etats exportateurs autant que les Etats importateurs d’armes.

 

C’est pour promouvoir ces principes qui découlent de la certitude que le recours à la force ne constitue qu’un ultime recours, et que la primauté absolue du respect de la personne et de la satisfaction de ses besoins sont les premières des priorités, que les catholiques sont actifs au sein de la plateforme Control arms. Ils exigent qu’aucun transfert ne soit consenti lorsqu’il existe un risque substantiel que les armes transférées menacent la paix, favorisent le recours à la force, portent atteinte aux droits de l’homme et au droit international humanitaire. De plus, ces transferts s’opèrent au détriment du développement économique et social des nations destinatrices.

 

Le TCA peut participer à l’affirmation de ces principes et ainsi limiter les effets néfastes de la circulation anarchique des armes. L’enjeu est tel que les catholiques devront être vigilants et exigeants concernant le traité et surtout sa mise en œuvre par les Etats. D’ici là, le processus de ratification sera un long chemin.

Encadré

Intervention de Mgr Dominique Mamberti, Secrétaire pour les rapports avec les Etats à la Secrétairerie d’Etat (Vatican), devant l’Assemblée générale des Nations Unies à New York le 27 septembre 2011.

« Un commerce des armes qui n’est pas règlementé ni transparent, a d’importantes répercussions négatives. Il freine le développement humain intégral, augmente les risques de conflits, surtout internes, et d’instabilité, et promeut une culture de violence et d’impunité, souvent liée aux activités criminelles, dont le trafic de drogue, la traite des êtres humains et la piraterie, qui constituent toujours plus de graves problèmes internationaux. Les résultats de l’actuel processus TCA seront un test de la volonté réelle des États d’assumer leur responsabilité morale et juridique dans ce domaine. La communauté internationale doit se préoccuper de parvenir à un Traité pour le Commerce des Armes qui soit effectif et applicable, consciente du grand nombre de ceux qui sont affectés par le commerce illégal des armes et des munitions et de leurs souffrances. En effet, le but principal du Traité devrait être, non seulement celui de réguler le commerce des armes conventionnelles ou de faire obstacle au marché noir, mais aussi et surtout celui de protéger la vie humaine et de construire un monde plus respectueux de la dignité humaine. »

[1] Conseil pontifical « Justice et paix », Le commerce international des armes. Une réflexion éthique, Libreria editrice Vaticana, 1994.

[2] Le terme de transfert renvoie à l’achat, la vente, le transport, le financement, l’assurance, le transit, le prêt, le don, etc.

[3] Pour plus d’informations sur la plate-forme Control arms : www.controlarms.org

[4] En France, la plate-forme nationale qui relaie les activités de la coalition internationale d’ONG comprend Amnesty France, Oxfam France, l’Observatoire des armements, Handicap international, la Ligue des droits de l’homme, la Coordination de l’action non violente de l’arche, Médecins du Monde, le Mouvement pour une alternative non violente, Survie, Terre des hommes, le Secours catholique-Caritas France, le CCFD, Justice et paix, le Réseau foi et justice Afrique-Europe, Pax Christi et l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT).

[5] Contrairement au Code de conduite, la Position commune définissant des règles communes qui régissent le contrôle des exportations de technologies et équipements militaires présente l’avantage d’être juridiquement contraignante.

[6] Résolution 64/48 de l’Assemblée Générale des Nations Unies.

[7] D’aucuns souhaiteraient inclure la notion d’ingérence humanitaire, puis notamment la responsabilité de protéger.