Visite du pape François aux Émirats Arabes Unis : Qu’en dit la presse arabe ?

« Le miracle d’Abou Dhabi« , « une visite historique« , « Un pape en visite pour la première fois dans la Péninsule arabique » : les titres de la presse arabe et émiratie encensent la visite inédite (3-5 février 2019) d’un Pape aux ÉAU et rappellent ses principaux objectifs : adresser un message politique au pays hôte et porter le souci pastoral de l’Église catholique et des communautés chrétiennes locales.

 

La presse arabe et émiratie revient avec insistance sur la présence ancienne des communautés chrétiennes dans les terres d’Orient, leur répartition numérique dans les pays du Golfe, le statut juridique du culte chrétien et l’inauguration d’églises dans les États de la Péninsule : Qatar, Bahreïn, Koweït, Sultanat d’Oman. La presse arabe évoque l’amélioration de la condition des chrétiens en Arabie Saoudite, avec la politique d’ouverture menée par le Prince hériter Mohamed Ben Salman, qui a convié à Riyad les patriarches copte d’Égypte et maronite du Liban.

Le chiffre d’un million de chrétiens vivant aux ÉAU est avancé ; c’est plus que la présence cumulée des chrétiens en Irak, Syrie et Jordanie, qui s’est considérablement amenuisée avec les conflits.

Les enjeux de la visite

Le Pape était invité par le Prince héritier Mohamed Ben Zayed et le Conseil des Sages musulmans. Pour la presse émiratie, le Pape est venu suite à de nombreux colloques, organisés les années précédentes par le régime d’Abou Dhabi, sur les enjeux du dialogue interreligieux.

La visite du Pape aux Émirats coïncide avec celle de l’Imam de la Mosquée et Recteur de l’Université Al Azhar, le Cheikh Ahmad el Taieb, dans le cadre de l’année 2019 consacrée à la tolérance, réunissant ainsi les deux personnalités les plus importantes des mondes chrétien et musulman.

Une certaine divergence dans la couverture médiatique

Si la venue du Pape aux Émirats n’est pas critiquée en elle-même, une certaine presse arabe, comme les quotidiens palestinien AlQuds et qatari Alsharq, vilipendent la politique menée par les ÉAU, commanditaires des attentats du 11 septembre 2001, réfractaires à tout dialogue, bafouant les droits de l’Homme sur leur propre territoire et enfin, impliqués aux côtés de l’Arabie Saoudite dans la guerre du Yémen. Selon Alquds et Alsharq, le régime d’Abou Dhabi est indigne de cette année consacrée à la tolérance.

La visite du Pape a été l’occasion pour certains médias de jeter l’opprobre sur d’autres. Ainsi, la chaîne syrienne d’information Arabnetworknews a soutenu, le 5 février 2019, que la presse saoudienne n’avait pas couvert l’événement. Campagne de désinformation à l’évidence, puisque les quotidiens saoudiens Assharq el awsat et Alwatan ont salué cet événement, les 4 et 5 février derniers.

Ce qu’il en ressort

Malgré les chicanes traditionnelles entre les différentes presses arabes, la visite du Pape est un signal fort : elle a eu lieu dans un pays dont les citoyens sont exclusivement musulmans – les Chrétiens n’y sont que résidents ou travailleurs temporaires.

Le signal est d’autant plus fort qu’une messe a eu lieu dans un espace public, le stade d’Abou Dhabi, réunissant des milliers de chrétiens et de musulmans : une première dans la Péninsule arabique !

Un message politique à l’attention du pays hôte et de la Communauté musulmane

La visite de François aux Émirats s’est soldée par la signature d’un document solennel, adopté par les deux plus hautes instances spirituelles de la chrétienté et de l’islam. Le thème de cette rencontre et du document adopté ? La fraternité humaine. Ce vocable est unanimement salué par la presse émiratie, qui en liste les axes principaux : renforcement du dialogue entre les religions, promotion d’une vraie culture de paix, de tolérance et du vivre ensemble, condamnation sans réserve des actes de violence perpétrés au nom de Dieu et dénonciation du dévoiement des religions légitimant haine et violence.

La presse arabe souligne l’importance de cette rencontre : elle ne doit pas s’arrêter à une simple déclaration de bonnes intentions, mais doit permettre aux musulmans et aux chrétiens de ce temps d’entreprendre des actions en faveur de l’Homme et de l’humanité, d’œuvrer pour plus de justice et de paix, de faire respecter la liberté religieuse, de venir en aide aux pauvres et aux plus démunis, et, pour les plus consciencieux d’entre eux, de protéger la Création.

Un message d’espérance à l’égard des communautés chrétiennes

Dans une tribune du journal Al Rai, le Père Rifaat Badr a eu des mots d’espérance. Affichant sa fierté de citoyen arabe, il exprime son soulagement de percevoir l’intérêt des nonces apostoliques pour les pays arabes et les « causes nationales » qui brûlent le Moyen-Orient comme la cause palestinienne ou la question des migrants. D’ailleurs, le Pape n’a-t-il pas salué les efforts des gouvernements libanais et jordaniens en faveur de l’accueil fait aux migrants ? N’a-t-il pas appelé de ses vœux la mise en place de deux États dans la résolution du conflit israélo-palestinien ? N’a-t-il pas exhorté à la fin des hostilités au Yémen ?

La visite du Pape aux Émirats est porteuse de promesses. Après ce périple effectué aux confins du Levant, il est attendu aux confins du Maghreb, au Maroc, au mois de mars 2019. Au cœur des débats : la brûlante question du dialogue avec l’Islam et les enjeux migratoires.