Brésil : une faible démocratie mise à l’épreuve

L’histoire du plus grand pays de l’Amérique Latine est une succession d’alternances politiques, plus ou moins réussies, rythmées par des coups d’États et l’installation de régimes autoritaires. Après une période de dictature de 21 ans, un système démocratique a pu voir le jour en 1985 et permettre au Brésil, mais surtout au peuple brésilien, de voir advenir la période politique la plus stable qu’il ait jamais connue. Pourtant, la crise économique internationale de 2008 étant loin d’être achevée, ses séquelles, peu sensibles pendant la présidence de Lula, ont éclaté quelques années plus tard.

À partir de 2013, plusieurs événements ont convergé et accentué les crispations contre le gouvernement de centre-gauche du Parti des Travailleurs. Dilma Rousseff, première femme présidente du Brésil, en était à son premier mandat. Elle a commencé à subir de fortes pressions, que ce soient de nouveaux mouvements de droite libérale, de la presse, des banques ou des cadres des grandes entreprises. En cause, l’échec de l’approche néo-institutionnaliste au sein de l’économie du développement avec la conciliation du marché économique, lesquels sont évidemment composés de puissances aux intérêts contradictoires. La tension interne entre croissance de l’industrialisation et le « rentisme » financier a provoqué un conflit d’intérêt intenable : tous se sont retournés contre le gouvernement de Dilma. En outre, des scandales de corruption à l’intérieur de la « Petrobras », la plus grande entreprise du pays dont l’État brésilien est l’actionnaire majoritaire, ont été un élément décisif. Une opération anticorruption menée par la Police fédérale et par la justice, appelée « Lava Jato », est devenue la pierre de touche de l’affaire. Les manifestations populaires ont explosé dans le pays, du Nord au Sud ; le feu couvait sous la cendre avant l’embrasement général.

Palais de la présidence de la République fédérative du Brésil inauguré en 2014 © Par Michel Temer – https://commons.wikimedia.org

Pendant le processus de destitution de Dilma Rousseff, le Parlement brésilien est devenu un cirque d’horreur. Parmi les prises de paroles de cette époque, celle du député Jair Messias (c.-à-d. messie) Bolsonaro fut remarquée ; c’était un hommage au plus cruel tortionnaire militaire de la période de la dictature de 1964. Des cris aux contenus sexistes et antidémocratiques ont pu être entendus aussi bien dans les manifestations qu’au Congrès national et ont accompagné jour après jour la chute de la présidente accusée de détournement fiscal (ce qui après coup a été démenti). Dilma Rousseff sera destituée le 31 août 2016.

Dans ce contexte, le 7 avril 2018, Lula, unique personnalité de la gauche capable de faire face à l’extrême droite croissante, est mis en garde à vue sous accusation de blanchiment d’argent. En 3 mois (fait extraordinaire dans le cadre de la justice brésilienne), il sera jugé comme un criminel lambda et empêché de participer à la course présidentielle. Il restera en prison pendant 580 jours avant que la Cour Suprême brésilienne (STF) déclare la nullité des processus contre lui et la partialité du juge qui l’avait condamné.

Après l’espoir soulevé par les années Lula, le peuple brésilien est tombé dans une vague de désappointement généralisée, aggravée par des difficultés économiques. C’était un chaudron en bouillonnement, occasion idéale pour l’émergence d’un discours promouvant la lutte contre la corruption et soutenant les valeurs chrétiennes traditionnelles et la famille, accompagné d’une véritable propagande de diabolisation de la gauche. Bolsonaro, ex-militaire, député d’extrême droite, s’est alors présenté comme un nouveau « messie », l’unique personne capable de mettre le pays en ordre et le faire sortir de l’enlisement moral et économique. Il s’approprie le discours en faveur des familles, mais également le discours anticorruption.

Le plus étonnant reste que Bolsonaro est le contraire de ce qu’il prêche. Il a été marié 3 fois et, à chaque divorce, la tromperie et la violence étaient présentes. Trois de ses 5 enfants, également engagés en politique, font l’objet de plusieurs accusations, entre autres de corruption avec détournement de bien public et de relations très proches avec des milices de Rio. À la suite d’un coup de couteau reçu pendant sa campagne électorale, son discours moralisateur prend plus d’ampleur et l’appel à l’émotion du fait de son état de santé le conduit à la présidence de la République le 1er janvier 2019.

Depuis lors, la polarisation droite-gauche a pris des proportions inouïes. Le débat « politique » est extrêmement vif et très régulièrement se termine en violences physiques. Il y a des familles déchirées et des amitiés détruites. Les évangéliques et les catholiques conservateurs soutiennent plutôt l’extrême-droite de Bolsonaro, même s’ils se disent simplement de droite. Les protestants et les catholiques progressistes soutiennent le centre gauche, voire l’extrême gauche. Le jour même de la chute de Dilma, Bolsonaro s’est fait baptiser dans le Jourdain par un pasteur évangélique, Everaldo Dias Pereira, président de son parti politique à l’époque. Depuis, celui-ci a été mis en prison puis libéré sous l’accusation de corruption concernant des contrats publics. L’actuel président du Brésil joue un double jeu : il se tourne vers les évangéliques par un deuxième baptême, mais, dans le même temps, continue à se dire fidèle de l’Église catholique.

Aujourd’hui, il s’est passé presque 4 ans depuis l’élection de Bolsonaro. Il s’est montré un administrateur médiocre et incompétent. Il a nié la pandémie et le vaccin. Il s’est moqué des mourants de la Covid-19 en mimant une personne sans souffle en train de mourir. Les injures et les attitudes violentes contre l’opposition font partie de la manière d’être de l’hôte actuel du palais du Planalto (Palais du président de la République fédérale du Brésil). Par ailleurs, des affaires de corruption émergent régulièrement dans son gouvernement ; au parlement, avec « l’achat » de voix de parlementaires ; dans la santé, avec des accords pour acheter des vaccins à des prix exorbitants ; dans l’éducation, avec l’agrément de bus scolaires hors de prix ; et dernièrement, dans la culture, avec un scandale de concerts payés plusieurs millions par des municipalités à des chanteurs de musique « sertanejo » (country music) reliés aux exploitations agricoles intensives qui soutiennent son gouvernement. Le déboisement de l’Amazonie et son exploitation sans contrôle sont les plus élevés depuis la période de la dictature militaire et les programmes sociaux d’inclusion, démarrés par les gouvernements précédents, sont graduellement démontés.

Sondage réalisé le 7 août 2022
© https://fr.wikipedia.org/wiki/élection_présidentielle_brésilienne_de_2022

Le contexte politique et démocratique est aggravé par le démembrement et la fragilisation des institutions depuis le début de son mandat. On peut prendre pour exemple la FUNAI (Fondation Nationale des Indigènes), la Fondation Palmares (pour la préservation des valeurs et cultures du peuple noir), le ministère de l’Environnement et le ministère de la Santé qui ont vu leur budget chuter drastiquement et toute leur structure désorganisée. En ce qui concerne les fonctionnaires, on assiste à un insupportable jeu de chaises musicales (changement constant de cadres) qui peut s’apparenter à du harcèlement avec la prise de charges publiques par les militaires. Tout cet ensemble donne la tonalité de l’actuel gouvernement de la République. Le climat belliqueux s’est propagé jusqu’au STF (Cour Suprême) qui est objet constant d’agressions et de fake news de la part de Bolsonaro et de ses partisans. Le système électoral est aussi ciblé et les résultats du scrutin présidentiel de cette année 2022 sont déjà contestés avant même sa réalisation. La liberté de la presse est gravement menacée et aujourd’hui la privatisation du patrimoine public avance à toute vitesse.

Au milieu de cette situation chaotique, la misère et la famine, qui avaient pratiquement disparu pendant le gouvernement de Lula, surgissent à chaque coin du pays. La nourriture de base comme le riz et le haricot, le combustible et le gaz sont à des prix exorbitants et inaccessibles pour beaucoup. La violence très présente un peu partout, contre les indigènes, les noirs, les femmes, les plus pauvres, la communauté LGBTQIA+ et contre des religions non chrétiennes, atteint des limites jamais atteintes.

Dans ce contexte de misère, les banques prospèrent et leurs actionnaires touchent de plus en plus de dividendes. Ce système politique assure le profit d’un petit groupe de privilégiés au prix de la vie des plus pauvres. Tout mène à croire que ce qui est contesté aujourd’hui au Brésil, c’est la démocratie elle-même, car nous assistons non seulement à l’affaiblissement des programmes d’inclusion sociale, mais aussi à la mise en cause des instances démocratiques, depuis le système électoral jusqu’aux institutions de la République.

Ignatius Malagrida